Si les sanctions américaines et européennes continuent de maintenir la Syrie de Bachar el-Assad dans un état d’isolement avancé, le dictateur syrien tente de contourner la chape de plomb internationale qui pèse sur son pays en resserrant ses liens avec d’autres puissances régionales. Si le souvenir des crimes du régime persiste, la Realpolitik reprend peu à peu le dessus et tend à faire oublier les fantômes des 500 000 morts de la guerre civile syrienne.
Rapprochement régional en cours
« He’s Back ». La couverture du magazine américain Newsweek, prévue pour le 22 octobre, affichant en pleine page le visage de Bachar el-Assad, a irrité l’opposition syrienne. Pourtant, quelques semaines plus tôt, le 3 octobre, un coup de téléphone a acté le retour de Bachar el-Assad sur la scène régionale. La conversation, parfaitement assumée et revendiquée, entre Bachar el-Assad et le roi Abdallah II de Jordanie a montré que les pays frontaliers de la Syrie souhaitaient tourner la page de la guerre civile. Un rapprochement en forme de priorité vitale pour Amman, qui lorgne sur le marché de la reconstruction syrienne et les juteux partenariats économiques qui en résultent. D’autant qu’avant la guerre civile, la valeur des échanges commerciaux entre les deux pays atteignait les 615 millions de dollars annuels. Une rente quasiment réduite à néant depuis. Le réchauffement des relations syro-jordaniennes est la conséquence logique d’une réhabilitation régionale entamée fin 2018 avec la réouverture des ambassades émiratie et bahreïnie à Damas, témoignant de la reprise officielle des relations diplomatiques et de la renormalisation du régime syrien au Proche-Orient.
D’autres pays arabes ont, peu à peu, aussi réaffirmé leur rapprochement avec le régime syrien, dont l’Égypte, Oman ou encore l’Irak. Les différentes administrations régionales semblent désormais reconnaître, à demi-mots, que Bachar el-Assad a gagné la guerre et qu’aucune alternative modérée ou démocratique ne semble devoir émerger. « Les relations au niveau régional ne reviendront peut-être jamais à ce qu’elles étaient avant 2011, (…) ; mais le Proche-Orient entre dans une nouvelle phase, une phase de post-conflit », affirme au Monde, Mouin Rabbani, spécialiste du Proche-Orient. Même du côté des États-Unis, une certaine forme de libéralisation face au régime semble se dessiner. « Obama et Trump ont maintenu une forte pression pour éviter de tels rapprochements. Ce n’est plus le cas sous Joe Biden », explique Aron Lund, analyste Moyen-Orient associé à la Century Foundation, à France 24.
Même au niveau des sanctions, la situation semble s’apaiser. Rappelons qu’en mai 2011, en représailles de la brutale répression des populations civiles syriennes par le régime de Bachar el-Assad, l’Union européenne avait pris un panel de sanctions destinée à sanctionner le commerce de biens pouvant servir à la répression de la population civile. Puis ce fut au tour des États-Unis en août 2011, qui ont placé le régime syrien sous embargo pétrolier. Quelques mois après, la Ligue arabe annonce publiquement geler les actifs financiers du régime. Pourtant, une dizaine d’années après, la Syrie semble de nouveau aux portes d’une Ligue arabe dont elle avait été exclue en 2012, poussée par l’Arabie saoudite, qui craint que Damas ne tombe dans le giron de Téhéran, son allié fidèle pendant toute la durée de la crise syrienne. Damas a aussi réintégré le réseau d’échanges d’informations Interpol, conscient de la qualité des services de renseignement syriens et leur expérience dans la lutte contre le terrorisme djihadiste.
Le Caesar Act menacé ?
Une première faille dans les sanctions américaines est même visible depuis septembre dernier. Pour soutenir le Liban, plongé dans le noir par de graves pénuries d’électricité, les Américains ont accordé leur feu vert au projet d’acheminement du gaz égyptien vers la Syrie, alors même que le Caesar Act prohibait toute transaction avec le régime. Il s’« agit ici d’éviter que l’Iran ne puisse se présenter comme le ‘sauveur énergétique’ du Liban en faisant parvenir au Hezbollah ses cargaisons de mazout par voie maritime jusqu’au port de Banyas en Syrie, puis terrestre à travers la zone frontalière syro-libanaise », explique à France 24 le chercheur à l’IRIS David Rigoulet-Roze. Les sanctions liées au Caesar Act sont aussi aujourd’hui remises en question par le lobbying de nombreux pays frontaliers de la Syrie, qui mènent un lobbying intense auprès de Joe Biden, moins imperméable au régime syrien que Barack Obama et Donald Trump.
Le Liban et la Syrie ont maintenu des relations énergétiques sous-jacentes pendant la guerre civile, prétendument par l’intermédiaire des frères Teddy et Raymond Rahmeh qui, selon le magazine Libération, commercialisaient clandestinement les excédents de leurs importations à des acheteurs syriens, pour permettre au régime de contourner les sanctions. Un commerce de contrebande pour ces deux oligarques libanais, connus pour leur rôle trouble d’intermédiaire dans l’affaire Korek, une affaire financière irakienne, aujourd’hui en arbitrage devant le CIRDI, dans laquelle les groupes Orange et Agility se sont vus expropriés de plusieurs centaines de millions de dollars par le gouvernement irakien.
Frilosité européenne et américaine
Le retour du régime syrien sur la scène internationale se heurte encore à la frilosité de l’Union européenne et des États-Unis. La France, le Royaume-Uni et les États-Unis avaient d’ailleurs très fortement contesté la validité de l’élection présidentielle du 26 mai 2021, accordant un quatrième mandat à Bachar el-Assad.
Même si de nombreuses ambassades européennes ont été rouvertes à Damas, comme celles de la Hongrie, du Danemark, de la Grèce et de la Bulgarie. Officiellement, pour des raisons migratoires afin de régler le sort des dizaines de milliers de réfugiés syriens, appelés par certains pays à retourner dans leur part, où une partie d’entre eux reste en danger de mort.
Mais, pour Bachar al-Assad, le retour définitif sur la scène internationale, n’est pas encore pour demain. « Personne ne veut être vu en photographie en train de serrer la main de Bachar al-Assad », nuance Aron Lund, qui rappelle que de « nombreux obstacles vers une normalisation plus importante en particulier avec les États-Unis et l’Union européenne ».