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Crises en chaine au Royaume-Uni

La crise du prix de l’énergie frappe toute l’Europe. Mais tous les pays ne sont pas également munis pour y faire face. Le Royaume-Uni souffre particulièrement du fait d’une conjecture de facteurs pénalisants. Pour comprendre l’ampleur de la crise, il faut savoir que le mix énergétique britannique accorde une place prépondérante à l’éolien (25%) et au gaz naturel (32%) – à titre de comparaison, la moyenne Européenne combinée de ces deux sources est d’environ 30%. Aussi, sous l’effet de prix du gaz qui se sont emballés, en période de vents faibles, après un hiver prolongé en Europe, la facture d’électricité outre-manche a explosé pour dépasser 700% de son prix moyen en septembre dernier.

La crise du prix de l’énergie a frappé d’autant plus fort que les tarifs pratiqués par les fournisseurs d’énergie sont plafonnés pour protéger les consommateurs au Royaume-Uni. Une situation qui a provoqué des faillites à la chaine depuis fin-Septembre. Ces derniers se retrouvent à vendre à des prix inférieurs à ceux auxquels ils s’approvisionnent, si bien que des 70 acteurs du secteur au début de l’été, il pourrait n’en rester qu’une dizaine d’ici au mois de Décembre. « Le secteur dans son ensemble tourne avec une marge négative. Il est tellement fragile que les énergéticiens sont de plus en plus inquiets face à l’idée de reprendre les clients des fournisseurs en faillite », a indiqué la directrice générale de Energy UK, Emma Pinchbeck.

Pour ne rien arranger, depuis une semaine et demie, les stations-service britanniques font face à une pénurie d’approvisionnement de carburant. Si l’état assure disposer de de réserves suffisantes, une grave pénurie de chauffeurs de poids lourds et de camions-citernes a perturbé les chaînes d’approvisionnement, et le secteur fonctionne aujourd’hui en moyenne à 40% de sa capacité. Au plus fort de la crise, le week-end du 25-26 septembre, la capacité moyenne des stations-service est tombée à 16,6%. Ces dysfonctionnements ont causé un vent de panique, avec des automobilistes se rendant en masse pour faire le plein, causant des rixes et des scènes de chaos mais surtout une hausse du prix du carburant, atteignant son plus haut niveau depuis huit ans et se rapprochant d’un record.

L’ombre du Brexit

Pour ne rien enlever à l’embarras du gouvernement conservateur, derrière cette pénurie on retrouve l’ombre du Brexit. De fait, il pourrait s’agir de la première vraie crise provoquée par le divorce. Premier facteur aggravant, Londres ne fait plus partie du marché intérieur de l’énergie et ne bénéficie plus de la répartition commune et harmonisée (EUPHEMIA). Ce système solidaire permet de réguler les variations trop importantes des prix. Aujourd’hui, si le Royaume-Uni veut acheter de l’énergie au bloc, il doit faire la queue au même titre que les états tiers et participer à d’onéreuses enchères.

En outre, la pénurie de chauffeurs est également liée au départ d’un important nombre d’européens qui occupaient ces fonctions, découragés par les nouvelles conditions de travail post Brexit. Un récent sondage mené par la Road Haulage Association (syndicat de l’industrie du transport routier) a ainsi révélé que 60% des départs étaient liés au divorce avec l’UE. En réaction, le gouvernement britannique a lancé un programme de 10.000 visas temporaires pour des chauffeurs de camion venant d’Europe, mais celui-ci a connu un succès limité : le Times a découvert que, jusqu’à présent, seuls 27 personnes se sont portées candidats dans ce cadre. D’où le récent recours à l’armée pour aider à l’approvisionnement en carburant des stations-services.

Dernier développement de la crise énergétique britannique : le bras de fer sur les droits de pêche dans la Manche s’est invité dans le débat, avec la menace de couper les livraisons d’électricité à Jersey – île britannique qui dépend de l’approvisionnement français. L’accord post-Brexit, conclu in extremis à la fin de l’année dernière entre Londres et Bruxelles, prévoit que les pêcheurs européens puissent continuer à travailler dans certaines eaux britanniques à condition d’obtenir une licence. Or Londres n’a à ce jour accordé que 200 licences définitives, alors que Paris en réclamait plus du double. « Si les Britanniques ne respectent pas leur part, nous ne ferons pas à 100 % notre part », a ainsi prévenu Clément Beaune, secrétaire d’Etat aux affaires européennes.

Les conservateurs en mauvaise passe

Alors que Londres est dans la tourmente, Paris – qui reprend par ailleurs la prochaine présidence tournante de l’UE – a adopté une position intraitable : « Ils ont raté le Brexit, c’est leur choix et c’est leur échec, pas le nôtre », a déclaré Clément Beaune. « Ça n’est pas en tapant sur nos pêcheurs, en nous menaçant chaque jour, en étant mauvais joueurs et en créant des tracasseries ou des problèmes aux Européens, aux Français, et à nos pêcheurs en particulier, que vous réglerez des pénuries de dindes à Noël ». Une allusion au fait que les pénuries alimentaires sur certains aliments exportés s’aggravent.

Dans le même temps, 150 000 porcs pourraient être tués puis incinérés, générant des pertes énormes pour le secteur, faute de main d’œuvre pour en assurer la transformation pour leur commercialisation dans les temps. Le secteur demande désormais lui aussi des visas temporaires pour permettre à des bouchers étrangers de venir sur le sol britannique. Devant les pénuries en cascade, la menace sérieuse d’une inflation commence à se fait sentir. Et ce d’autant que les perturbations sont dans la droite ligne des prédictions du plan d’intervention Yellowhammer réalisé par le gouvernement britannique en cas de Brexit sans accord – qualifié par les pro Brexit de Project Fear et de propagande. Ce dernier mettait en garde contre une inflation galopante.

Quoiqu’il advienne, les déconvenues s’accumulent, et il est fort à parier que tôt ou tard le gouvernement britannique ait à en payer le prix. Le Premier ministre a même été contraint de reconnaitre que certaines marchandises pourraient manquer à Noël. Et les signaux envoyés à la population peinent à convaincre – en l’occurrence, assurer que ces perturbations sont tout à fait normales et anticipées. « La stratégie de de Boris Johnson n’est guère lisible. La force de Boris Johnson c’est d’être parvenu à séduire les électeurs des classes défavorisées qui avaient l’habitude de voter à gauche, en faveur des travaillistes. Aujourd’hui, ce sont eux, les ouvriers, les bas salaires, qui sont les premières victimes » note le journaliste Franck Mathevon.

Aussi, des rumeurs circulent sur la tenue de nouvelles élections législatives au printemps 2022. Les sondages donnent encore les conservateurs gagnants malgré leurs déconvenues, aussi pour fédérer le pays derrière sa politique, Johnson aurait tout intérêt à agir rapidement, avant que sa popularité ne continue de s’éroder. Pour autant, la manœuvre est risquée, car il existe une vraie lassitude électorale au Royaume-Uni après des échéances à répétition (seuls 27% des britanniques sont favorables à un vote avant le terme du mandat de Johnson), et qu’une campagne exposerait son bilan à une critique malvenue en pleine crise. De plus, la base conservatrice pourrait également se diviser devant les hausses d’impôts que le gouvernement a été contraint d’annoncer ces derniers mois pour aider à la relance de l’économie. Sans parler d’une éventuelle résurgence hivernale du Covid.

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