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Les causes et conséquences de la crise entre la France et l’Algérie

Jusque-là les relations entre la France et l’Algérie étaient au beau fixe. Depuis les aveux d’Emmanuel Macron durant la campagne présidentielle de 2017, où il reconnaissait que les exactions de l’armée française lors de la guerre d’Algérie étaient des crimes contre l’humanité, un climat apaisé régnait sur les relations pourtant orageuses entre Paris et Alger. En attestaient également les appels réguliers avec le Président Abdelmadjid Tebboune. Les choses ont toutefois pris une tournure moins chaleureuse avec les récentes déclarations – certes, en privé – du Président français sur le régime « politico-militaire » algérien accusé d’entretenir une « haine » servant de « rente mémorielle » sur la guerre d’Algérie.

Ce dernier a même remis en question l’existence d’une nation algérienne avant la colonisation. Une sortie qui suit de près l’annonce que le nombre de visas alloués aux ressortissants algériens, tunisiens et marocains sera divisé par deux pour protester contre le « refus » de ces pays de délivrer des laissez-passer consulaires nécessaires à leurs ressortissants expulsés de France. Il s’agit d’une série de coups très durs à l’encontre d’un allié déjà compliqué. Depuis, malgré une légère ouverture côté français, Alger ne décolère pas. Le pays a rappelé son ambassadeur à Paris et interdit le survol de son espace aérien aux avions militaires français participant à l’opération Barkhane. Une mesure qui montre qu’il ne s’agit pas d’une simple nouvelle brouille, dont les deux pays sont coutumiers, mais bien d’une crise plus sérieuse.

Une sortie révélatrice de la frustration française

Si les sorties françaises ont été faites dans la confidentialité supposée d’une rencontre avec des « petits-enfants » de la guerre d’Algérie, il est difficile de croire que ces dernières n’aient pas été calibrées pour accompagner un moment politique. En ce d’autant lorsqu’on connait l’actualité des relations entre Paris et Alger. Derrière ces propos rapportés deux jours plus tard par le journal Le Monde, on retrouve une multiplication des sujets d’agacement côté français.

Déjà les entreprises hexagonales sont en perte de vitesse sur la plupart des segments où elles étaient présentes sur le marché algérien (énergie, blé, transports…). Mais la vraie frustration de Paris est davantage à chercher dans le registre sécuritaire : entre la gestion de la menace terroriste au Sahel et les freins mis par Alger au retour sur son sol des algériens expulsés de France. Il y a certes une réelle difficulté à retracer l’origine des expulsés, qui souvent brouillent les pistes espérant rester en France. Mais sur 7731 obligations de sortie du territoire, à ce jour seules 23 expulsions ont été confirmées par Alger. Une réponse qui témoigne au minimum d’une « mauvaise volonté » notoire des pouvoirs publics algériens, estime Neïla Latrous, journaliste politique sur France Info. Pour autant, la menace et l’ultimatum ne sont généralement pas les voies les plus efficaces en diplomatie.

Une double affaire interne

Sans surprise, l’affaire a provoqué la fureur de du président Tebboune – le seul qui n’a pas fait la guerre d’Algérie ce qui n’est pas anodin. Ce dernier, « qui n’a pas l’air d’avoir compris les ressorts de la politique intérieure française et le profil atypique d’Emmanuel Macron », note un ancien diplomate. La rhétorique antifrançaise chronique a repris de plus belle au sein du gouvernement et de la presse algérienne. De fait, la France – comme le Maroc – ont l’habitude de servir de bouc émissaire aux autorités algériennes lors de crises internes. Et pour le pouvoir actuel, la situation n’est pas simple :« L’Algérie s’est sentie menacée par tous les changements de régime à ses portes, en Libye, en Tunisie, au Mali, la chute des prix du pétrole, dès 2014, qui a fragilisé son économie [et] la colère de la population – incarnée par la révolte pacifique du Hirak (…) Pour l’Algérie comme pour la France, le poids des fantômes de la colonisation est un instrument bien utile », estime la reporter Claude Guibal

L’experte poursuit :« Les dirigeants algériens ont toujours compris que les tensions avec la France et les menaces internationales étaient bien le seul sujet sur lequel ils pouvaient parvenir à fédérer derrière eux la majorité de leur population. » Une analyse très juste, tant cette nouvelle crise semble avant tout pilotée par des motifs de politique intérieure – et ce d’un côté comme de l’autre. En effet, de l’aveu même du candidat Emmanuel Macron : la question de la mémoire de la guerre d’Algérie « est d’abord un problème franco-français ». Devant la montée en puissance de Zemmour et de ses thèses clivantes – parfois farfelues – ces déclarations devaient servir au candidat à reprendre en main le récit franco-algérien, et plus largement post-colonial. Pour rappel, l’éditorialiste, candidat qui ne dit pas son nom, déclarait déjà en 2014 : « L’Algérie n’existe pas, c’est une invention de la France ».

« [Emmanuel Macron] veut occuper ce terrain-là au nom de ne pas laisser le monopole de la parole à l’extrême droite » résume ainsi le géopolitologue Pascal Boniface. Il s’agit en somme d’une nouvelle itération du « en même temps » macronien. Son gouvernement tend la main à Alger en reconnaissant les torts français lors de la guerre d’indépendance tout en défendant les intérêts du pays – et les intérêts électoraux de M. Macron. Une ligne qui, parce que mal calibrée, déçoit au sein de la population algérienne. En atteste l’accueil glacial de ces déclarations par les dirigeants du Hirak. De fait, si la critique du régime est accueillie de manière favorable par l’opposition, les très maladroites remarques sur la nation algérienne ne passent pas.

Des risques réels de perte d’influence

Depuis l’affaire des sous-marins nucléaire, la diplomatie française semble avoir fait le choix d’un ton plus musclé auprès de ses partenaires les plus difficiles. Les désaccords avec Alger sont certes réels, mais rajouter de l’huile sur le feu n’est pas forcément la solution la plus productive. Et ce d’autant que l’exclusion des avions de la force Barkhane d’Algérie va pénaliser les forces françaises. Rappelons par ailleurs que la main tendue qu’avait été le rapport de l’historien Benjamin Stora sur la guerre n’avait pas suscité les réactions escomptées dans une Algérie qui se déchire – signe que peut-être, l’heure n’était pas une sortie intempestive.

Devant cette accumulation des points de tension entre les deux pays, il est fort à parier que le triste anniversaire du 17 octobre 1961 – commémoration du massacre d’algérien indépendantistes à Paris – serve de prétexte à des mots d’apaisement côté français. La réaction des autorités algériennes reste incertaine. Les conséquences de ces manœuvres de politique interne risquent en revanche d’être bien réelles.

« La France perd de l’influence dans les trois pays qui lui étaient très proches : Tunisie, Maroc et Algérie. Et quels que soient leurs motivations des déclarations comme cela ont des impacts négatifs dans les perceptions [de la France] » met en garde Pascal Boniface. Le quotidien tunisien la Presse titrait ainsi « Quand Macron fait du Zemmour », et sur la même page incluait in encart de l’ambassadeur de Chine en Tunisie où il plaidait pour un rapprochement des deux pays. La Russie et la Turquie ne sont pas en reste, et ont su jouer de l’histoire complexe qui nous lie à l’Algérie pour s’implanter dans le pays. Et une fois présents, ils œuvrent activement à détériorer nos liens avec Alger.

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