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Perspectives innovantes pour la filière nucléaire française ?

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De plus en plus perçue comme indispensable à la transition énergétique, la production électrique nucléaire, décarbonée et pilotable, est en perpétuelle adaptation. Les derniers efforts d’innovation dans cette filière de pointe utilisée dans une trentaine de pays au niveau mondial portent sur des réacteurs de petite dimension, les SMR (pour small modular reactor). Le projet français « NuWard » devrait aboutir à des réacteurs d’une capacité de 170 MW, dont la construction pourrait être industrialisée et donc facilement exportable.

« NuWard » un milliard d’investissements bienvenus pour une filière tricolore confrontée à une sérieuse concurrence à l’international

Le développement de nouvelles technologies dans une filière de pointe telle que le nucléaire est un projet de long terme qui mobilise des savoir-faire dont le développement et l’appropriation constituent un processus complexe. En France, la démarche SMR a été lancée en 2017, sous l’égide d’un quatuor composé d’acteurs connus du grand public, EDF, le CEA et NavalGroup, et de TechnicAtome, à qui échoit le design du réacteur compact.

La concurrence internationale est rude pour la filière française. D’après l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), 18 pays portent actuellement des projets de SMR. Souvent, ces projets ont bénéficié d’un effort de financement plus précoce que le projet tricolore. Le projet états-unien NuScale a ainsi vu son design certifié en septembre 2020 tandis que le réacteur chinois ACP100 est en construction depuis juillet 2020. Les Russes ont quant à eux mis en service une centrale flottante dès 2019. Au total, avec une ambition de validation du design du SMR d’ici la fin des années 2020 par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la France va devoir mettre les bouchées doubles pour rattraper son retard sur les projets les plus aboutis.

L’affirmation d’une volonté politique forte pour porter le projet « NuWard » de SMR français dans le cadre du plan d’investissement « France 2030 » est donc une nouvelle positive pour la filière nucléaire tricolore. L’effort d’investissement, porté à un milliard d’euros par ce plan, s’inscrit dans les standards internationaux sur les projets de SMR et pourrait donner les moyens d’avancer.

SMR et EPR misent sur la complémentarité

Le développement des SMR n’est pas concurrent du projet Evolutionary Power Reactor (EPR). Ces deux technologies apparaissent, selon leurs soutiens respectifs, comme tout à fait complémentaires. Lors de son audition au Sénat le 7 avril dernier, Bernard Doroszczuk, président de l’ASN, avait ainsi souligné leurs avantages respectifs. Il déclarait qu’« il faut certainement étudier l’option des SMR, car elle présente des avantages en termes de sûreté », mais également que « les SMR ont des inconvénients, dont celui d’être plus chers [que l’EPR] » et que « nous [l’ASN] nous sommes prononcés en 2019 sur les options de sûreté de ce nouveau réacteur EPR 2, que nous avons trouvées dans l’ensemble satisfaisantes ». Leur développement concomitant est donc souhaitable, en tenant compte de leurs atouts respectifs. 

L’EPR est en effet conçu pour fournir en électricité de vastes réseaux de distribution tels que celui de la France métropolitaine qui, pour des raisons d’économies d’échelle, s’organise de manière optimale autour d’un faible nombre de centrales injectant individuellement une puissance électrique de l’ordre de 1650MWe sur le réseau.

Le SMR, en revanche, devra permettre à des territoires aujourd’hui déconnectés des grands réseaux de distribution de disposer d’une implantation de réacteurs proches des grands points de consommation, fabriqués industriellement et moins contraignants sur le plan de la sécurité. Leur moindre puissance permettra effectivement un traitement entièrement automatisé de la phase de refroidissement, d’après Renaud Crassous, directeur de projet SMR chez EDF.

La filière nucléaire française mise encore sur ses nombreux atouts

La France dispose d’un écosystème d’acteurs très qualifiés pour permettre la mise en œuvre la plus qualitative des dernières innovations. Au cœur du projet français de SMR, TechnicAtome est en pleine croissance. Cette entreprise qui fabrique depuis 1972 les chaufferies des sous-marins nucléaires français est la cheville ouvrière du projet, avec un savoir-faire bien ancré, donc immédiatement mobilisable, mais qui sait aussi attirer de jeunes ingénieurs. Comme le souligne son PDG Loïc Rocard, « TechnicAtome est une société où il fait bon travailler et où il y a de la stimulation intellectuelle ».

En remontant la filière vers la fourniture du combustible, on trouve Orano, autre acteur français dont la maîtrise technique est reconnue, qui peut fournir à ses clients le combustible utilisé dans les centrales, mais prend également en charge le recyclage. La production d’électricité à partir des combustibles usés générés par les réacteurs des générations précédentes est en effet l’une des grandes innovations en cours dans la filière nucléaire.            

Cette maîtrise de la filière par des acteurs nationaux habitués à mener des projets conjoints apparaît comme une véritable opportunité pour l’économie française, car, comme le dit Renaud Crassous, « le projet SMR est dès le début adressé à l’international ». Le marché devrait émerger au cours de la décennie 2030 et, malgré son retard sur certains concurrents, c’est pour cette échéance que la filière française se prépare. La construction en série de petits réacteurs est une véritable opportunité pour ouvrir à l’export un secteur économique encore très marqué par les segmentations nationales.

Le nucléaire conserve la confiance du GIEC

La perspective d’une ouverture à l’export de la filière nucléaire est surtout une grande opportunité pour mener à son terme la transition énergétique au niveau mondial. En ce domaine, comme le relève le dernier rapport du World Energy Outlook, « accélérer la décarbonisation du mix électrique est le seul véritable levier à disposition des responsables politiques », et cela « inclut l’utilisation de l’énergie nucléaire ». De même, le rapport du GIEC « Sources d’énergie renouvelable et atténuation du changement climatique » rappelle que « par le passé, l’intensité en carbone a chuté grâce au développement de l’énergie nucléaire dans les années 1970 et 1980 (…) Ces dernières années, l’augmentation de l’intensité en carbone a été due essentiellement à l’usage accru du charbon dans les pays développés et en développement ».

Si le nucléaire est aujourd’hui utilisé par une trentaine de pays dans le monde, son accès à un nombre maximal d’économies est, selon le WEO, un préalable pour sortir du charbon, du pétrole et du gaz. Au moins en attendant des progrès technologiques majeurs dans les énergies renouvelables. « En effet, les ENR ne pourront être des solutions viables en masse qu’avec des dispositifs de performance améliorée des réseaux et de la consommation (type Smart grids) et surtout avec du stockage d’électricité à grande échelle », explique pour l’Énergie en Questions, le spécialiste des questions énergétiques, Nicolas Mazzuchi.       

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