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Un nouvel accord international révolutionne la lutte contre l’évasion fiscale des entreprises

Un accord international a été signé le 8 octobre dernier par les 136 pays à l’OCDE. Ce texte prévoit un impôt mondial minimum de 15 % pour les multinationales à compter de 2023. Le groupe de pays signataires représente collectivement 90% du PIB mondial, ce qui donnée une portée véritablement globale à cet engagement. Après des mois de blocage, l’Irlande l’Estonie et la Hongrie ont fini par se rallier au projet poussé par le Président américain Joe Biden. En revanche, le Kenya, le Nigeria, le Pakistan et le Sri Lanka n’ont pas adhéré à l’accord malgré leur participation aux échanges entourant cette réforme majeure du système fiscal mondial.

De fait, un grand nombre de sociétés échappent aujourd’hui encore largement à la fiscalité via une optimisation agressive, au détriment des recettes publiques. Ces dernières peuvent établir des succursales dans des pays où le taux d’imposition des sociétés est faible et y déclarer leurs bénéfices. Autrement dit, elles paient dans le pays le plus arrangeant, même si leurs bénéfices proviennent de ventes réalisées ailleurs. Aussi, entre 1985 et 2018, le taux d’imposition des grands groupes internationaux a diminué de moitié, passant de 49% à 24%. Une baisse qui concerne une somme totale rondelette : le revenu annuel de ces entreprises flirte avec les 900 millions de dollars. En France par exemple, en 2018, environ 12 milliards de dollars de recettes fiscales sur les entreprises ont ainsi été perdus, au profit de la Belgique, du Luxembourg et des Pays-Bas, principalement.

Un retour en grâce de l’impôt

Première grande avancée prévue par l’accord : les entreprises paieront des impôts dans les pays où elles vendent leurs produits ou services, plutôt que dans ceux où elles déclarent leurs bénéfices. Cela rend inutiles le déplacement des profits vers des filiales situées dans des pays fiscalement avantageux. Si le traité n’a pas été signé par tous, ses dispositions prévoient une une consolidation de l’impôt par les pays qui estiment que la part payée par un autre n’est pas suffisante. Les premiers pourront ainsi exiger le versement des montants en dessous du taux minimal de 15% aux entreprises qui cherchent encore à jouer sur la concurrence fiscale. Une disposition qui permet d’adapter le cadre de la fiscalité à une économie numérisée et mondialisée

« On ne sait pas à ce stade comment ça va fonctionner (…) mais l’idée même d’un plancher de 15% par rapport à ce qui se pratique dans un certain nombre de pays est une avancée » souligne justement Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS. Il s’agit également d’un exemple rare de réponse coordonnée internationale visant les paradis fiscaux. La mesure semble indiquer une nouvelle ère initiée en 2010 par le Président Barak Obama, avec l’abandon contrait du secret bancaire. Elle montre en tout cas qu’il est possible d’agir via une nouvelle forme de coopération internationale plus combattive, qui joue à la fois sur le fait de donner l’exemple et de s’assurer de ne pas en sortir perdant grâce à un système de sanction. Un changement de philosophie accéléré par le besoin de revenus pour redresser les finances publiques des Etats, mises à mal par la pandémie de Covid.

Si des Cassandres ont d’ores et déjà annoncé que les pays qui taxaient davantage que ces 15% allaient réduire leur marge, il s’agit d’une crainte assez peu fondée, puisqu’ils pratiquaient déjà des taux élevés avant cette mesure qui rééquilibre la tendance en leur faveur, les soustrayant à la pression d’une concurrence fiscale qui arrangeait le moins-disant. Plus largement, l’impôt semble revenir en grâce à l’aune des cirses multiples que traversent les pays développés, comme le souligne Lison Rehbinder, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire : « Les Etats ont besoin de recettes fiscales pour faire face aux grands défis actuels, comme la réduction des inégalités et les dérèglements climatiques ». Et le jeu en vaut la chandelle : cette réforme du cadre fiscal internationale pourrait générer 150 milliards de dollars de revenus supplémentaires par an, d’après l’OCDE.

Un accord imparfait

Trouver un point d’accord n’était pas une promenade de santé compte tenu des la diversité d’intérêts au sein du groupe. La Pologne et la Hongrie bataillent par exemple pour préserver la possibilité d’attirer des investissements en offrant des exemptions fiscales ; la Chine pour que ses entreprises ne soient pas considérées comme des multinationales tant qu’elles ne sont pas déployées dans un grand nombre de pays étrangers. « Derrière chacune de ces dispositions techniques, il y a des blocages politiques », notait un diplomate impliqué dans les négociations. « Un centième après la virgule, cela pèse plusieurs milliards de rentrées fiscales. Chaque État se bat pour préserver son modèle économique et ses avantages compétitifs. »

Ces négociations ont d’ailleurs conduit à un certain nombre de reculs, déplorés par plusieurs observateurs, en particulier les fortes contreparties et exonérations négociées par des pays à la fiscalité permissive. Des réserves partagées par Quentin Parinello, responsable du plaidoyer sur la justice fiscale d’Oxfam France : « l’Union européenne applique [l’accord], mais nous avons un système d’unanimité au sein de l’Union, donc les paradis fiscaux pourraient encore une fois faire du chantage. » Il est possible que lors de l’adoption de la nouvelle norme au niveau communautaire, ces derniers demandent à nouveau un assouplissement du régime, faute de quoi ils bloqueraient le processus. La partie n’est donc pas terminée, et dans le cadre des institutions européennes, les leviers de pression sont beaucoup moins efficaces contre les pays récalcitrants.

Pour autant, ce basculement de système constitue une victoire importante pour les pays développés, qui disposent désormais d’outils efficaces pour tenter d’inverser leur endettement croissant. « Le G7 et l’Union européenne vont récupérer les deux tiers des nouvelles recettes fiscales » note ainsi Susana Ruiz, responsable des politiques fiscales chez Oxfam. Une situation qui reflète les pertes enregistrées du fait de l’optimisation fiscales, compilées dans le graphique qui suit par les économistes Emmanuel Saez et Gabriel Zucman.

La situation est cependant moins reluisante pour les pays en voie de développement, dont les exonérations fiscales jouaient un grand rôle dans leurs stratégies d’attractivité. Sur la totalité des recettes permises par l’accord, ces derniers toucheront « seulement 3 % alors qu’ils représentent plus d’un tiers de la population mondiale », poursuit Susana Ruiz. Confrontés plus que jamais à des enjeux de développement durable et à des besoins d’investissements pour faire face aux conséquences du changement climatique, les entrées fiscales y sont urgentes. Le ministre de l’Économie argentin a d’ailleurs fait état de sa frustration : « On a le choix entre le pire, ne pas signer l’accord, et le très très mauvais, signer l’accord mais ça ne va pas nous servir et normaliser des paradis fiscaux comme l’Irlande ».

L’accord signé par les 136 membres de l’OCDE est donc imparfait. Pour autant, avec son adoption et la création d’un système compensatoire pour les pays victimes des paradis fiscaux, un tabou est tombé. Espérons qu’il sera le début d’une conversation plus large sur les besoins des Etats à un moment où la dépense publique doit soutenir les efforts de transition un peu partout dans le monde.

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