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L’affaire Peng Shuai atteste d’un léger recul de l’appareil répressif chinois

Où est Peng Shuai (#WhereIsPengShuai) ? C’était le nom de la campagne lancée sur les réseaux sociaux après la disparition pendant près de trois semaines de la numéro un mondial de tennis en double. La jeune femme s’était volatilisée après avoir publié une lettre où elle accuse de viol l’ancien vice-premier ministre chinois Zhang Gaoli (2012 – 2018). Les faits remontent, d’après elle, à trois ans. Son message a été vu 26 millions de fois en une demi-heure – le temps qu’il aura fallu pour la Parti communiste chinois (PCC) pour censurer la publication et toutes ses reproductions. La Chine a très vite bloqué toute référence à ce message et à la sportive de son réseau internet très contrôle. Le membre permanent du bureau politique du Parti communiste chinois est le premier haut dignitaire du régime à être ainsi à être visé par une accusation d’abus sexuel.

La réponse médiatique chinoise s’est faite en plusieurs temps. Mercredi 17 novembre, la télévision d’Etat CCTV a tout d’abord montré un bref courriel étant attribué à Peng Shuai qui contredisait son message initial a circulé sur les réseaux. Il expliquait que « les informations, notamment concernant l’accusation d’agression sexuelle, sont fausses ». Des propos qui n’ont pas convaincu, avec des internautes révélant qu’il s’agissait d’une capture d’écran assez grossière. « Les dernières déclarations de Peng Shuai, publiées par un média public, ne doivent pas être prises pour argent comptant », a pour sa part réagi William Nee, de l’association Défenseurs des droits de l’Homme en Chine.

« Le gouvernement chinois a une longue expérience consistant à détenir arbitrairement des gens impliqués des affaires controversées, à les empêcher de parler librement et à les contraindre à des déclarations publiques C’est au gouvernement chinois de prouver qu’elle n’est pas en détention », poursuit-il. Malgré les efforts des autorités pour étouffer l’affaire, les réactions internationales se sont multipliées, demandant des explications ou faisant état de leur indignation. Si bien que Peng Shuai est finalement réapparue dimanche 21 novembre lors d’un tournoi de tennis à Pékin, sous liberté très surveillée, avant d’être filée en train de dîner avec son entraineur dans un restaurant.

Un tollé international

De fait, Peng Shuai n’est pas la première ressortissante chinoise à être avalée par le système répressif chinois après une sortie disruptive, qui fragilise le récit mis en place par le PCC. En 2020, le turbulent fondateur d’Alibaba, Jack Ma, avait mystérieusement disparu pendant deux mois, après avoir critiqué les banques publiques chinoises. L’actrice Vicki Zhao (aussi connue sous le nom de Zhao Wei), Fan Bingbing, la comédienne alors la mieux payée de Chine ou encore l’ancien directeur d’Interpol, Meng Hongwei, ont également fait les frais de la répression politique chinoise, et ont été forcés de reconnaitre publiquement des crimes vraisemblablement montés de toutes pièces après avoir été détenus pendant plusieurs mois.

Visiblement à la surprise du PCC, la disparition de la tenniswoman a su cette fois mobiliser le monde sportif international : les joueuses Naomi Osaka et Serena Williams, Andy Murray et Novak Djokovic ont ainsi pris la parole pour dénoncer l’affaire. Plusieurs joueurs ont fait savoir qu’ils boycotteraient les tournois chinois faute de lumière sur cette affaire. La vague d’indignation a aussi concerné les institutions sportives internationales, en particulier l’Association du tennis mondial féminin (la Women’s Tennis Association ou WTA) qui demande des preuves « indépendantes et vérifiables » de la liberté de l’athlète. Jeudi 18 novembre, Steve Simon, son président, a affirmé qu’il envisageait d’exclure la Chine si Pékin ne faisait pas la lumière sur cette disparition.

Dans le même temps, l’ONU a demandé une enquête indépendante sur les accusations de viol, montrant que les efforts de censure ont eu un effet contreproductif. « Sur internet, on appelle ça l’« effet Streisand », du nom de l’actrice qui, en voulant cacher une information, n’avait fait que braquer le projecteur dessus. Pékin n’a pas fini de ramer pour faire oublier une affaire qui met à mal l’exemplarité que prétend incarner le régime », notait avec justesse l’éditorialiste Pierre Haski. La Maison Blanche, trop heureuse de pouvoir dénigrer son « rival systémique » envisage un boycott diplomatique des Jeux Olympiques d’hiver prévus en février à Pékin. La crainte est désormais que d’autres pays, en particulier en Europe, lui emboîtent le pas, retirant une grande part du prestige de cet évènement.

Un contrôle renforcé en Chine

Devant l’ampleur prise par cette histoire, Pékin ne veut pas perdre la face. « Ce que décrit Peng Shuai entre dans un schéma typique, celui d’un homme abusant de son pouvoir pour obtenir des faveurs sexuelles. Mais ce qui est inhabituel, dans le cas de Peng Shuai, c’est le statut politique particulièrement élevé de l’accusé », note Yaqiu Wang, experte de la Chine pour l’ONG Human Rights Watch. « Dans un pays où les informations non officielles sur les hauts dirigeants sont interdites, et où un nombre incalculable de personnes a été envoyé en prison pour les avoir critiqués, les allégations de Peng la mettent en grand danger. » Un danger toujours réel si l’attention internationale se détourne trop vite de l’affaire.

Pour essayer de faire taire les critiques, une visioconférence de Peng Shuai avec Thomas Bach, président du Comité international olympique (CIO) a été organisée dimanche. Mais elle non plus n’a pas convaincu. « C’était agréable de voir Peng Shuai dans les récentes vidéos, mais cela ne répond pas à l’inquiétude de la WTA sur son bien-être et sa capacité à communiquer sans censure ni coercition », a réagi une porte-parole. « Cela ne change rien à notre appel à une véritable enquête transparente et équitable sur ses accusations de viol ».

Le New York Times souligne notamment Peng Shuai aurait été accompagnée par un « ami » pour l’aider à s’exprimer en anglais – alors qu’elle parle la langue couramment après quinze ans sur le circuit international. En effet, cette vidéo ne fait que montrer que la CIO a choisi de ne pas monter au créneau pour l’athlète et d’aller dans le sens de la propagande chinoise. Une prise de de position qui a valu au comité d’être vivement critiqué pour sa tiédeur, alors qu’il s’agit de l’organisme le mieux placé pour obtenir une concession sur le sort de l’athlète si près du lancement des JO. Ses détracteurs ont notamment rappelé que Thomas Bach était coutumier de ce type d’esquives. « L’expérience nous montre que la diplomatie silencieuse offre souvent la meilleure opportunité pour trouver une solution à des questions de cette nature », s’est défendu un porte-parole du CIO.

A ce jour, la diplomatie chinoise a réussi à totalement ignorer le sujet. Une prise de parole reviendrait en effet un une reconnaissance officielle de l’affaire. Il n’est par ailleurs pas anodin que les annonces la liberté de Peng Shuai aient été faites par Hu Xijin, influent rédacteur en chef du journal officiel la Global Times, totalement inféodé au régime. Ces publications ont été faites sur Twitter, un réseau social inaccessible en Chine. L’intention était donc bien de répondre aux critiques internationales tout en étouffant l’affaire en interne. Le nom de Peng Shuai fait encore l’objet d’une censure totale sur les réseaux chinois. Le verrou digital est total. Afin d’éviter toute contagion interne, le PPC est allé jusqu’à censurer le mot « tennis ». L’onde de choc semble donc contenue par le régime, malgré la libération de joueuse – qui est un recul en soi. Cette dernière n’est pour autant pas sortie d’affaire et il faudra que la communauté internationale reste vigilante sans quoi elle risque de disparaitre à nouveau.

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