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Xi Jinping veut réécrire l’histoire chinoise à son avantage

Xi Jinping, après des annonces tonitruantes sur le changement climatique, est le grand absent de la COP 26 à Glasgow. En plus de son intention de sortir des jeux institutionnels et de la temporalité dictés par l’Occident, le dirigeant chinois est occupé à organiser un remaniement profond du pouvoir du pouvoir dans le cadre du 6ème plénum du Parti communiste (PCC). Ce grand rendez-vous a commencé ce matin, loin des regards indiscrets. Il rassemble les 400 plus hauts cadres du parti qui prend les décisions majeures pour l’avenir du pays. « Cette résolution s’inscrit à l’évidence dans la démarche de Xi Jinping visant à prolonger sa présence à la tête du parti après le XXe congrès », note Alice Ekman, analyste responsable de l’Asie à l’Institut d’études de sécurité de l’Union européenne.

Le Plénium doit approuver une « Résolution sur l’histoire » – comprendre un grand ménage qui sera l’occasion de réaffirmer son pouvoir total et son récit national. Une telle résolution ne serait en effet pas nécessaire s’il se préparait à quitter son poste. Il prépare donc un narratif fait sur mesure pour vanter son bilan et consolider sa position à la tête du pays. La manœuvre est remarquable car seules deux résolutions similaires ont été ratifiées depuis la naissance du parti communiste chinois : une en 1945, par un Mao qui voulait prendre pouvoir au sein du PCC, et une seconde en 1981, lorsque Deng Xiaoping a autorisé la critique de la révolution culturelle, instaurant de fait une ère d’ouverture pour la Chine communiste après la chute de Mao.

Force est toutefois de constater que cette dernière motion ne sera probablement pas un geste d’ouverture : après un peu plus d’une à tendance progressiste, la Chine est plus que jamais dans une trajectoire de personnification du pouvoir de nationalisme exacerbé.

Une reprise en main du récit national chinois

Avec cette résolution, Xi Jinping se place comme l’héritier naturel – mais aussi l’égal – des deux figures de proue de la glorieuse histoire du PCC. « Il s’agira d’une relecture historique sur la façon de penser le passé, le présent et l’avenir du parti dans le but de renforcer le pouvoir et la légitimité de Xi Jinping », analyse le sinologue Jean-Pierre Cabestan. Un temps l’homme du consensus entre des factions déchirées entre ces deux incarnations opposées du parti, Xi Jinping a clairement opté pour une gestion plus autoritaire du pays. Pour rappel, en juillet dernier, il avait célébré le 100e anniversaire de la fondation du parti en costume Mao, annonçant la couleur de ce qui allait suivre. Cette relecture de l’histoire doit en effet ouvrir la voie au 20e Congrès du PCC, qui se tiendra en 2022, lors duquel Xi doit se succéder à lui-même pour une troisième fois.

Autre signal fort : la « pensée présidentielle », déjà inscrite dans la Constitution, est devenue l’an dernier une application pour smartphone et une matière (à part entière) dans toutes les universités de Chine. Cette nouvelle résolution doit « renforcer le contrôle idéologique total de toutes les structures du parti comme de la société civile », note ainsi Valérie Niquet, spécialiste de la Chine à la Fondation pour la recherche stratégique. L’objectif est bien de réécrire l’histoire afin de mieux contrôler le futur. « Même si personne ne connaît encore la substance de ce texte qui s’annonce majeur. Cette résolution sera un indicateur très clair sur la façon dont Xi Jinping conçoit son pouvoir dans la nouvelle ère. Avec Mao, la Chine s’est levée ; avec Deng, la Chine s’est enrichie ; et avec Xi, la Chine est devenue une puissance », souligne Mathieu Duchâtel, expert de la Chine et directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne.

L’exercice de ce pouvoir prend d’ailleurs des formes nouvelles, avec des pressions de plus en plus assumées à l’étranger pour défendre le récit proposé par Xi. Cela s’accompagne de efforts de censure en dehors des frontières du pays des sujets qui lui déplaisent,. En atteste la tentative de faire annuler la présentation de la biographie du président chinois – Xi Jinping, l’homme le plus puissant au monde – organisée par l’université de Duisbourg, en Allemagne. « L’université Tongji de Shanghaï et le consul chinois à Düsseldorf, Feng Haiyang, sont intervenus pour empêcher la tenue de cet événement » d’après l’éditeur de l’ouvrage.

Une rhétorique offensive qui fait écho aux attaques de diplomates chinois contres de opposants mais aussi des universitaires travaillant sur la Chine ainsi qu’aux accusations d’ingérence de plus en plus nombreuses visant les Instituts Confucius – des établissements culturels publics chargés de promouvoir la culture chinoise dans le reste du monde. Ces derniers sont ainsi critiqués pour « être contrôlés par le Parti communiste chinois » pour défendre les intérêts du régime à l’étranger d’après un rapport sénatorial, publié début octobre. La Suède a d’ailleurs choisi de fermer tous les Instituts Confucius sur son territoire en mai 2020, alors qu’en 2019, le directeur de l’Institut Confucius rattaché à l’Université Vrije de Bruxelles a été chassé du pays après avoir été accusé d’espionnage.

L’illusion d’unité au PCC

Qu’il s’agisse de sa politique économique, le culte de la personnalité qu’il a mis en place, son agressivité en matière de politique étrangère, les ponts de discorde son nombreux, mais toute contestation est sévèrement réprimée. Pour autant, XI ne gagne pas à tous les coups, comme le montre son recul sur un projet de taxe foncière, très impopulaire au sein du Parti. On a d’ailleurs pu assister à des manœuvres de reprise du contrôle avant la tenue du plénum, comme la mise au pas de grands noms du secteur privé, l’inculpation de Sun Lijun ou encore la chute de l’ex-ministre de la Justice Fu Zhenghua. Afin de maintenir l’illusion d’unité au sein du parti, aucun désaccord ne sera rendu public. Pour autant « depuis 2012, il s’est fait beaucoup d’ennemis au sein des élites et de la classe moyenne », comme le rappelle Pierre Cabestan, et les mécontents sont de plus e plus nombreux au sein de PCC.

Reste à savoir quelle sera la position officielle adoptée par le régime dans sa réécriture de l’histoire sur l’ère Deng Xiaoping. Il est fort à parier que la doctrine de ce dernier soit critiquée pour sa « tiédeur » là où Xi s’érige en défenseur de la grandeur chinoise, bafouée pendant le siècle des humiliations. Mais là encore, un rejet en bloc est improbable : il ouvrirait la voie à la critique du parti et afficherait au grand jour les divisions qui l’animent – ce qui a été le début de la fin en URSS, lorsqu’une critique virulente de la gestion du bloc par Staline a été non seulement rendue possible mais adoptée par les dirigeants. Pékin le sait, d’où le retour de grâce de la figure de Mao dans le récit national chinois avec Xi Jinping.

L’unité, même s’il ne s’agit que d’un écran de fumée, est plus que jamais cruciale a l’heure où des ennemis externes sont font de plus en plus véhéments. Aussi, le nouveau récit du PCC sera informé par le contexte actuel : la quasi guerre froide sino-américaine, la montée des tensions autour de Taiwan – récemment alimentées par la visite du chef de la diplomatie taïwanaise en République tchèque et en Slovaquie, mais aussi la visite de sénateurs français à Taipei récemment – la crise des sous-marins australiens qui est l’acte final du divorce avec Cambera… A cela il faut ajouter de sérieuses menaces qui pèsent sur l’économie chinoise ou encre le retour du Covid forçant la fermeture de certaines villes. « Ce plénum de Pékin est donc un moment important d’une partie bien plus ambitieuse et risquée, qui se joue à l’échelle du monde, où tout le monde n’obéit pas aussi facilement au Président Xi », note ainsi l’analyste Pierre Haski.

« L’affirmation de plus en plus soutenue de la puissance chinoise dans l’ordre international issu de la seconde guerre mondiale conduit au paradoxe qui suit : la Chine conteste ouvertement un système dont elle a su, mieux que d’autres, tirer le plus grand bénéfice au cours des quarante dernières années mais qui, selon elle, lui dénie le rôle de premier plan auquel elle aspire dans l’organisation de la planète et, sans doute, menace la pérennité de son régime politique », soulignait récemment Nicolas Chapuis, ambassadeur de l’Union européenne à Pékin. Pour Xi Jinping, la solution à ce paradoxe semble être d’affirmer que l’essor du pays n’est lié qu’à sa gestion diligente par le parti, tout particulièrement le « nouveau timonier » qu’il ambitionne d’être. Tout indique donc que c’est le narratif que défendra sa résolution. Reste à voir quel sera sa réception par les autres hauts responsables du Parti, pour voir s’il parvient à consolider sa position pour le Congrès de 2022.

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