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La coalition allemande : un nouveau départ pour le pays mais aussi pour l’Europe

Après des négociations à la fois sprint et marathon lancées en Septembre, le dirigeant du SPD, Olaf Scholz, est parvenu à trouver un accord de coalition avec les Verts et les libéraux (FDP). Ce dernier, placé sous le signe du progrès (« Fortschritt »), est le fruit de longue et délicates tractations entre le SPD et deux formations que de nombreux point opposent. Les Verts, arrivés deuxièmes aux élections législatives, seront finalement chargés de l’économie, l’énergie et du climat, tandis que le SPD se réserve la défense, l’intérieur et la santé.  Le Bundestag pourrait voter en faveur de l’élection de M. Scholz au poste de chancelier dans la semaine prochaine – un vote qui mettra fin au règne des Chrétiens-Démocrates et l’indélogeable Angela Merkel.

La coalition dite du « feu tricolore » s’est d’ailleurs construite autour d’un constat et d’une volonté : les mandats successifs de la Chancelière ont provoqué une situation de blocage qu’il fallait interrompre – et ce alors même que les sociaux-démocrates (SPD) faisaient partie du dernier gouvernement. Là aussi, il s’agissait de tourner un mage : celle de l’Allemagne qui réagit, qui pondère. Sans aller jusqu’à se vivre comme superpuissance, il s’agit de prendre davantage les devants pour promouvoir la vision allemande. Le gouvernement à venir s’est ainsi engager à mettre en œuvre « la plus importante modernisation de l’industrie allemande depuis plus d’un siècle » et veut devenir « un pays d’immigration moderne » – comprendre plus ouvert, mais pas naïf. Un programme certes national, mais qu’il est impossible de ne pas analyser comme une déclaration de la politique internationale à venir – en particulier au niveau européen.

Un positionnement résolument europhile

La coalition s’est immédiatement montrée soucieuse de confirmer son solide ancrage européen – ce qui ne sera pas une surprise pour qui a suivi la campagne. Une position affirmée haut et fort par la cheffe de file des écologiste Annalena Baerbock, qui a annoncé vouloir « revenir à une politique européenne souveraine ». Sa nomination aux affaires étrangères présage un rapprochement avec le Quai d’Orsay, comme sous Joschka Fischer, premier Vert à occuper cette fonction (1998-2005). Baerbock a même appelé à la création d’un ministre européen des affaires étrangères et l’adoption de votes à la majorité qualifiée et non plus à l’unanimité dans ce domaine. Il est également prévisible, compte tenu de la couleur politique du gouvernement à venir, qu’il soit plus exigeant sur le respect de l’Etat de droit au sein de l’Union européenne.

« M. Scholz et ses alliés veulent mettre [la Conférence sur l’avenir de l’Europe] au service de leurs ambitions européennes. A leurs yeux, celle-ci doit être mise à profit pour engager des réformes, y compris si cela implique de modifier les traités, afin de « conduire à l’évolution de l’UE vers un Etat fédéral européen », peut-on lire dans une très bonne analyse du quotidien le Monde.« C’est un peu la réponse allemande au discours de la Sorbonne. Les Allemands vont même plus loin dans leur ambition d’intégration européenne que Macron. Ils sont plus royalistes que le roi », explique Sébastien Maillard, directeur de l’Institut Jacques-Delors. Et pour cause, « A part la Belgique et le Luxembourg, peut-être être l’Espagne et l’Italie, personne ne le soutenait vraiment. La France se dit ouverte, mais dès qu’il s’agit de prendre position, on ne l’entend plus », rappelle un diplomate européen.

Une ouverture se présage également sur les règles budgétaires européennes : la limite le déficit budgétaire des Etats membres à 3 % et la dette publique 60% de leur PIB, adoptée en 1997 pourrait être remise en cause. Rappelons que Scholtz avait salué la création d’un instrument d’une dette commune européenne dans le cadre le plan de relance anti-Covid de juillet 2020 – il l’a qualifié de « moment Hamiltonien ». Il s’est depuis dit prêt à « créer une réassurance européenne pour les systèmes nationaux de garantie des dépôts ». Pour autant, si des avancées sont envisageables, « la dette commune européenne comme règle, ce n’est pas demain la veille », tempère Frank Baasner, directeur de l’Institut franco-allemand de Ludwigsburg. L’Allemagne reste l’Allemagne – rigoureuse.

Qui prendra le leadership Européen ?

Au-delà de ces 7 pages consacrées à l’Europe, et des appels à une plus grande intégration, en coulisses les choix de cette coalition remet au gout du jour certains enjeux structurants pour l’avenir de l‘UE. Il y a bien sûr la question de l’immigration, d’une intégration à deux vitesses, mais l’enjeu le plus primordial sera sans doute celui de l’énergie. Les Verts ont réussi à imposer une louable sortie du charbon en 2030 (63 centrales sont encore actives à ce jour). Le futur gouvernement a ainsi dû rehausser ses objectifs de production d’énergies renouvelables – elles devront constituer non plus 5% mais 80 % de mix électrique allemand d’ici à 2030.

Force est de constate que la France et l’Allemagne, le couple au cœur des décisions de l’Union, prennent des voies différentes vers la neutralité carbone. Pour réussir cette transition à marche forcée, Berlin compte bien organiser des avenues de financement des renouvelables, et se refus catégorique du nucléaire annonce un bras de fer pour la répartition des subventions – comme on l’a déjà vu avec la définition du cadre de la taxonomie verte. Après la hausse soudaine du prix de l’énergie en octobre, 10 États membres, dont la France, avaient publié mi-octobre une tribune pour appeler à inclure l’atome dans les plans de financement verts de l’UE. Une proposition qui avait provoqué une levée de boucliers au Luxembourg et en Autriche – et qui n’enchantera pas à Berlin, où l’influence des écologistes s’est sensiblement renforcée.

S’il est improbable qu’une opposition directe et paralysante apparaisse entre les deux capitales – après tout, en Europe, tout se négocie – Paris semble avoir anticipé l’arrivée du nouveau gouvernement allemande et avoir manœuvré pour pouvoir négocier en position de force. L’occasion de forger de nouvelles alliances, comme on l’a vu avec le rapprochement entre la France et l’Italie de Mario Draghi au travers du rarissime traité du Quirinal (second accord de ce genre seulement, imitation du traité de l’Elysée signé avec l’Allemagne en 1963). « Côte à côte, la France et l’Italie, 2ème et 3ème économies européennes pèsent lourd. Une taille critique. Et les positions des deux gouvernements sont aujourd’hui très proches sur la plupart des dossiers européens », notait Jean-Marc Four sur France Inter. Le message est clair : Rome compte à nouveau en Europe, et singulièrement aux yeux du président français qui souhaite l’imposer en troisième pilote et repolariser l’EU à son avantage.

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