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Perspectives de la présidence française de l’Union européenne

Le 1er janvier 2022 la France accèdera à la présidence tournante de l’Union européenne – un roulement qui intervient une fois tous les treize ans. Paris succède ainsi à la Slovénie pour un semestre à la tête du Conseil de l’UE – qui réunit les ministres des Etats membres – à ne pas confondre avec celle du Conseil européen, qui réunit les dirigeants européens. Le pays qui occupe cette position dispose de compétences spécifiques : il arrête et modifie notamment le budget européen avec le Parlement et organise les travaux de l’ensemble des réunions des ministres de l’UE. Dans ce cadre, les actions françaises devraient suivre trois thèmes principaux : le numérique, la transition écologique et le social.

Dans ces récentes interventions, en préparation de cette présidence, Emmanuel Macron s’est plus que jamais affiché en pro-Européen. Par une succession de références, il a voulu se placer dans l’héritage de Valéry Giscard d’Estaing. L’occasion, d’abord, d’envoyer un signal aux électeurs de centre-droit, au moment ou toutes les attentions étaient tournées vers la primaire des Républicains. Mais aussi de se s’associer à un des grands architectes de l’UE, chargé en 2001 de simplifier les différents traités européens en rédigeant le traité constitutionnel adopté dans la controverse (avec, notamment, le rejet du projet de traité constitutionnel par le peuple français par le référendum de 2005, qui est revenu pratiquement inchangé deux ans plus tard avec le traité de Lisbonne).

Deux visions fortes pour l’Europe

« Les Français perçoivent la présidence française de l’Union européenne plutôt comme une bonne chose, notamment parce qu’ils la voient comme un moyen de porter leurs préoccupations nationales — terrorisme, santé, travail, pouvoir d’achat… — sur la scène européenne, comme l’avait fait Nicolas Sarkozy en 2008 », souligne Jean-Daniel Levy, directeur délégué Harris Interactive France. Paris devra cependant composer avec d’autres voix incontournables pour décider de l’agenda Européen. La France pourra bénéficier d’un soutien assez fiable au Conseil européen. « On est dans une configuration où politiquement et personnellement, il y a des affinités entre Charles Michel [qui préside le Conseil européen] et Emmanuel Macron, les deux pouvant tout à fait coopérer », note Eric Maurice, responsable du bureau de Bruxelles de la Fondation Robert-Schuman

Paris sera également en phase avec de nombreux objectifs stratégiques de la Commission européenne, comme le Pacte vert, la construction d’une Europe de la santé ou la protection des données personnelles. Pour autant, la France devra composer avec une nouvelle voix qui entend bien peser sur les affaires européennes : la nouvelle coalition Allemande. En plaçant la cheffe de file écologiste Annalena Baerbock en charges des affaires étrangère, l’Allemagne veut réidéologiser sa diplomatie. Et si les deux pays voisins s’accordent sur un « green deal » et une taxe carbone aux frontières, des désaccords majeurs sont à prévoir sur les questions énergétiques (en particulier la taxonomie verte).

De même, si tout semble indiquer que Berlin soutiendra l’instauration d’un salaire minimum en Europe, voulue par Paris, certains questions économiques promettent d’être contentieuses, en particulier l’endettement. Il n’est, en effet, pas certain que le nouveau gouvernement allemand soit emballé à l’idée de « repenser le cadre budgétaire » de l’Europe comme l’a proposé Emmanuel Macron. En outre, la question de la défense européenne risque aussi de donner lieu à des divergences. Ces désaccords ne seront pas incontournables – on dit bien après tout que l’UE est une « machine à créer du compromis ». Un procédé qui doit être porté par la volonté commune à Paris et Berlin de passer de l’unanimité à la simple majorité qualifiée pour les décisions diplomatiques de l’Union.

L’enjeu des élections françaises

Un certain nombre d’objectifs communs aux deux pays seront également plus délicats à pousser compte tenu de la tournure des débats entourant la présidentielle française. Des points de désaccord sont en effet mis en exergue par la campagne, alors que certains points d’accord souffrent de la tendance nationaliste qui prend de l’ampleur dans l’hexagone. « Berlin veut aller plus vite et plus loin que Paris. Le contrat de coalition allemand y va fort : il se donne pour objectif une Europe ‘fédérale’. Quitte à devoir en passer par une révision des traités et une convention constituante européenne » souligne l’éditorialiste Jean-Marc Four. Une vision qui risque de se heurter de front aux demandes de souveraineté renforcée portées par l’intégralité des candidats de droite de l’actuelle majorité, ainsi qu’une partie de la gauche.

Ces prises de position font écho à une défiance croissante de l’opinion française à l’égard d’une Union trop lente et peu avantageuse pour le modèle français. D’après une récente enquête Kantar pour l’institut Delors, s’ils restent majoritairement attachés à l’UE (56 %), seuls 36% des français font confiance en l’efficacité des institutions européennes, contre 50% dans la plupart des pays de l’Union et il dépasse 70% en Irlande ou au Portugal. Pour autant, les français comptent sur l’Europe pour prendre en charge certains dossiers centraux : 73% sont favorables à une politique énergétique européenne commune, 68% d’une taxe carbone aux frontières de l’Europe et 63% favorables à une armée européenne commune. Reste à voir si ces sujets réussiront à s’imposer dans le débat national ou si les questions sécuritaires monopoliseront la campagne.

Un autre point de tension prévisible est l’adaptation de la politique d’accueil de l’immigration de l’UE. Le déplacement organisé – et souvent mensonger – de groupes de migrants par la Biélorussie vers l’Europe a révélé une vulnérabilité stratégique dont les Etats membres auraient tout intérêt à se saisir. Mais là où l’Allemagne favorise une approche économique, possible car le pays capte principalement une immigration de compétence favorable à sa croissance dans un contexte de maintien de l’industrialisation et de vieillissement rapide de la population, en France le sujet est traité de manière identitaire ou idéologique. Un clivage qui promet, au moins temporairement, de bloquer la dynamique franco-allemande sur ce dossier, là où elle serait nécessaire compte tenu de la réticence des petits pays à prendre part à une politique commune et solidaire d’accueil.

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