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Afrique : un boom internet semé d’embuches

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En Afrique, le taux de pénétration de l’internet a progressé de plus de 20% ces dix dernières années. Il n’empêche que le continent africain reste bon dernier à l’échelle mondiale et qu’il devra lever certaines contraintes techniques et organisationnelles s’il veut franchir un nouveau cap. 

L’Afrique est en plein boom, et son internet aussi. Alors qu’en 2010, son taux moyen de pénétration atteignait péniblement 9,3% sur le continent, la décennie a été marquée par des développements profonds en matière d’utilisation du web. C’est du moins ce que met en lumière une analyse de données de la Banque mondiale sur le portail en ligne Statista.

Un internet africain en plein essor

Il en ressort que « la plus forte augmentation relative a été observée en Éthiopie, qui est passée d’à peine 0,8 % à 25,0 %, soit une augmentation de plus de 3 200 %. Des progrès tout aussi spectaculaires ont été réalisés dans d’autres pays qui avaient des taux très faibles en 2010, comme la Sierra Leone, la Guinée et la RDC (République démocratique du Congo, ndlr) », peut-on lire dans un billet sur Statista.

Autres informations, émanant cette fois de la plateforme ReportLinker, l’Afrique va attirer des milliards de dollars (Mds$) d’investissements grâce à la croissance exponentielle de l’économie internet. En 2021, le marché des datas centers, par exemple, a généré 6,55 Mds$ d’investissement. Un chiffre qui devrait exploser de 12,19 Mds$ à l’horizon 2027. 

Les progrès sont bien là. Et la marge de progression reste énorme, l’Afrique ayant encore un long chemin à parcourir pour rattraper son retard sur le reste du monde. Statista explique que, si « aucun pays (du continent africain, ndlr) n’affiche un taux inférieur à 1 %, et si seulement sept sont inférieurs à 10 %, le taux moyen n’est toujours que de 31,7%. »

Recherche adresses IP désespérément

Pour espérer passer à la vitesse supérieure, l’Afrique va encore devoir surmonter un obstacle de taille : celui de la pénurie d’adresses IP qui sévit sur le continent. Pour rappel, il s’agit d’un identifiant unique qui permet de connecter un appareil. Sans adresse IP, pas d’internet.

Ces adresses sont gérées par l’Internet Assigned Numbers Authority (Iana) et par les registres Internet régionaux (RIR). Ces derniers ont en charge l’attribution et l’enregistrement des adresses IP dans des zones géographiques déterminées. Ils sont au nombre de 5 : le centre de coordination des Réseaux IP Européens (Ripe), qui couvre l’Europe, l’Asie centrale, la Russie et l’Asie occidentale ; le Centre d’information du réseau d’Amérique latine et des Caraïbes (Lacnic) ; le centre d’information du réseau de l’Asie-Pacifique (Apnic) ; le registre internet Américain (Arin) ; le réseau africain (Afrinic), créé en 2004 et enregistré sur l’île Maurice.

C’est cette organisation à but non lucratif qui, en charge de gérer et distribuer les adresses IP pour l’Afrique et l’océan Indien, connaît une pénurie d’adresses IP depuis 2017. Cette situation s’explique du fait que lesdites adresses sont basées sur un protocole de quatrième génération baptisé « IPv4 », déployé à partir de 1982. S’il reste le plus utilisé, il connaît un épuisement constant d’adresses IP disponibles. En 2017, IPv6 devait remédier au problème en devenant la nouvelle norme internet. Mais ce nouveau protocole n’a pas fondamentalement pas changé grand-chose pour l’Afrique. Car si celui-ci coexiste sans difficulté avec IPv4, les deux protocoles ne sont pas interopérables.

Une organisation qui pose question

Au-delà des limites techniques à laquelle l’Afrique est confrontée, c’est aussi la gestion de l’Afrinic qui pose question et freine le développement d’Internet, de l’avis de ses détracteurs. Le sophisme bien connu, selon lequel “tout ce qui est rare est cher” est ici on ne peut plus vrai : la pénurie d’adresses IPv4 a, en effet, entraîné une explosion de leur prix : 30$ l’unité en 2021 contre 8$ en 2017. Une belle manne financière qui a fait des envieux dans les couloirs de l’Afrinic. Envieux qui avaient tout intérêt à ce que les adresses IP restent une denrée rare. Chercheur en cyber-sécurité, Ron Guilmette a publié des données révélant que le coordinateur des politiques d’Afrinic, Ernest Byaruhanga, a pris le contrôle d’IPv4 par le biais de sociétés fictives, pour un total de 50 millions de $ (M$).

Des révélations qui ont entraîné la démission du fraudeur. Son successeur Eddy Kayihura s’est engagé à réformer l’organisation. Pour autant, l’Afrinic demeure en situation de monopole et n’est soumise à aucun organisme de contrôle. Elle peut ainsi conserver un contrôle quasi total sur les adresses IP. Un contrôle synonyme de pouvoir, qui mène à des dérives dénoncées par certains médias, comme la suspension ou la révocation d’adresses IP.

Malgré son formidable potentiel, l’internet africain demeure prisonnier d’enjeux techniques et géopolitiques qui le dépasse. Et une fois n’est pas coutume sur le continent, l’appétit chinois – qui était encore perçu comme une formidable opportunité il y a quelques années – se révèle surtout préjudiciable au développement africain, nourrissant mauvaises pratiques voire corruption.

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