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Kazakhstan : retour sur les événements de janvier

Un véhicule brûlé devant un bâtiment administratif incendié à Almaty, 7 janvier 2021. Alexandr Bogdanov/AFP

Réputé pour être l’un des pays les plus stables d’Asie centrale, le Kazakhstan a plongé, le 2 janvier 2022, dans une vague de violence inattendue. L’origine de ce mouvement se trouve notamment dans l’augmentation du prix du gaz et un contexte international troublé par la crise sanitaire et la chute des cours des énergies fossiles. Après quelques semaines d’instabilité, la colère s’est refermée mais les événements ont laissé des traces.

La libéralisation du marché des hydrocarbures à l’origine des émeutes

C’est une réforme qui pourrait sembler presque anodine. Elle fut pourtant à l’origine d’une vague de violence dans un pays peu habitué aux explosions populaires. Le 1er janvier 2022, le gouvernement décide de libéraliser les prix du butane et du propane, mettant fin au traditionnel tarif réglementé en vigueur qui garantissait, jusqu’à alors, du GNL (gaz naturel liquéfié) bon marché aux Kazakhs. Une décision qui s’inscrit dans la progressive libéralisation du Kazakhstan menée par le président Kassym-Jomart Tokayev. Le pays, qui s’engage sur la voie de la diversification économique, tire en effet sa richesse de ses ressources naturelles. Respectivement 12e et 13e producteur mondial de pétrole et de gaz naturel, le PIB du pays dépend très largement de ses exportations de matière fossile.

Mais les conséquences de la fin des subventions à la pompe ne se sont pas fait attendre et le prix du GNL double en l’espace de quelques jours, passant de 60 tengués — la monnaie locale — le litre à 120 (soit environ de 0,12 à 0,24 euros). Une hausse inacceptable pour les populations d’un pays largement dépendant de la voiture, dont 70 à 90 % des automobiles roulent au GNL. Dès le 2 janvier 2022, des manifestations débutent dans la région de Manguystaou, dans l’ouest du Kazakhstan. La situation économique du pays, fragilisé par les conséquences de la crise sanitaire sur le cours des hydrocarbures et les difficultés de son partenaire commercial russe, cristallise les inquiétudes, puis les colères. Le président Tokayev concède pourtant une réduction du prix du GNL en le ramenant même en deçà de son tarif d’origine, instaure un moratoire sur l’augmentation des prix des produits alimentaires, des carburants et des services publics et limoge son gouvernement… mais cela a pourtant paru insuffisant pour calmer la grogne populaire.

« Le vieillard dehors ! » : grogne populaire contre… l’ancien président

La colère des manifestants prend rapidement une tournure plus politique. L’ancien président de la République du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbaïev, qui a cédé sa place à Tokayev en mars 2019, est accusé de tirer les ficelles de la vie politique kazakhe. Le président actuel a, de son côté, dû faire face à la crise, tout en restant globalement épargné par les manifestants. D’autant qu’il a, depuis son arrivée au pouvoir, amorcé une libéralisation politique. « Tokayev a fait des efforts pour libéraliser le régime. Il a notamment fait passer des lois pour desserrer l’étau des manifestations sur la place publique, il a créé une structure qui permet de rassembler autour du président de la République les différents chefs des partis politiques pour discuter des réformes à l’œuvre dans le pays », explique en ce sens Michael Levystone, chercheur au centre Russie/nouveaux États indépendants à l’Institut français des relations internationales (IFRI), au micro de RFI. Lors des événements de janvier, Tokayev donne des instructions au gouvernement et aux autorités locales pour trouver des solutions pacifiques aux problèmes économiques par le biais du dialogue avec toutes les parties prenantes, conformément à son concept d’ État à l’écoute.

L’origine des émeutiers en question

Soulèvement populaire quasi-spontané ou mouvement organisé et téléguidé de l’étranger ? Les rumeurs et analyses peinent à identifier pour l’instant la teneur du mouvement. S’il ne fait aucun doute qu’une partie des manifestants ait en effet été excédée par la hausse des prix à la pompe, la structuration du mouvement et sa capacité d’action font planer le doute. Selon le journal Le Monde, deux hypothèses se dégagent : la première évoque le rôle de groupes criminels constitués, profitant des événements pour semer le trouble dans les principales agglomérations du pays. Des témoignages éparses, venus de certains manifestants, évoquent en effet la présence de groupes armés s’en prenant non seulement aux policiers, mais encore aux pompiers et ambulanciers, massivement mobilisés. « Au total, durant les premiers jours des troubles à Almaty, 3388 unités d’armes ont été volées, dont 1629 fusils dans 10 magasins de chasse attaqués et pillés », rapporte le Bureau du procureur général du Kazakhstan. L’autre suppose que certains anciens gradés des services de sécurité du régime auraient tenté d’attiser la colère populaire pour se venger d’avoir été écarté du régime par le nouveau président.

Samedi 8 janvier, Karim Massimov, l’ancien chef des services de renseignement du pays et proche de Nazarbaïev, est arrêté pour « haute trahison », renforçant cette hypothèse. Le 11 janvier, le président Tokayev prononce un discours devant le Majilis (chambre basse du parlement), appelant à tirer les leçons des événements et à rappeler l’unité et la cohésion de la société kazakhstanaise. Le 19 janvier, l’état d’urgence, déclaré le 5, est levé dans toute la région et le calme revient dans le pays. Le président Tokayev annonce le départ total et définitif des troupes des États membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) venus en renfort, dont la mission était d’assurer la protection des sites les plus stratégiques du gouvernement kazakh, notamment les aéroports, hôpitaux et entrepôts d’armes, menacés par la frange la plus radicale des manifestants.

Une enquête à grande échelle pour traduire tous les responsables en justice est en cours dans le pays. Le 12 février, dans le cadre d’une réunion extraordinaire du Conseil de sécurité, menée sous la présidence du chef de l’Etat, le Bureau du procureur général a dressé un premier bilan humain des manifestations. 779 personnes ont été placées en garde à vue, dont 137 étaient déjà très défavorablement connus des services de police kazakh, pour leur appartenance à des groupes criminels organisés ou pour des casiers judiciaires déjà bien remplis. 103 personnes ont été relaxées, faute de preuves, tandis que des enquêtes pénales pour des cas de torture et bavure ont été ouvertes par le Bureau du procureur général dans 170 affaires. Enfin, 19 membres des forces de l’ordre ont été tués pendant les manifestations. Le Kazakhstan s’est d’ailleurs engagé, auprès de la communauté internationale, à une transparence maximale sur le résultat de ses investigations.

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