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Quels phénomènes expliquent le retour des putschs militaires dans le Sahel ?

Le 24 janvier dernier, le gouvernement du Burkina Faso a été renversé par une juste militaire. Le putsch a été mené sous les ordres du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, nouvel homme fort du pays. Il fait écho à une autre prise de pouvoir par l’armée dans la région : au Mali, là encore soutenue par un pan considérable de la population. Si bien que 3 pays africains membres du G5 Sahel sont désormais dirigés par des juntes militaires, et que le seul le Niger est encore dirigé par un Président élu.

Si certains avaient pu penser que pensait les coups d’état militaires étaient de l’histoire ancienne en Afrique, la déconvenue est rude. La montée de l’insécurité et de la précarité a en effet poussé une partie de la population, notamment plus jeune, vers une désillusion démocratique. « C’est la rançon de la faillite de pouvoirs civils qui ont déserté leurs devoirs de délivrance des services les plus basiques », note justement le journaliste Vincent Hugeux. « C’est ce qui explique que les coups d’état militaires à répétition, au Mali et depuis peu au Burkina Faso, ont été accueillis avec joie par les populations. Les constitutions ou les présidents élus ne pèsent plus lourd lorsque la confiance a disparu, et l’armée apparait comme un ultime recours ; la suite dira si c’est une illusion, mais c’est la réalité politique actuelle », estime pour sa part l’éditorialiste Pierre Haski.

Un avis partagé par la docteure en Science politique Niagalé Bagayoko : « Aujourd’hui il y a un doute face à la capacité des scrutins électoraux à apporter un changement dans le quotidien des populations et une exaspération sécuritaire face à l’incapacité des gouvernements et des acteurs internationaux à faire face à une montée de l’insécurité multiforme ». Au Burkina Faso, le président Roch Marc Christian Kaboré avait pourtant été lu démocratiquement en 2015, succédant aux 27 années au pouvoir de Blaise Compaoré, chassé par une insurrection populaire un an plus tôt. Son mandat avait toutefois été fragilisé dès son ouverture par des attaques terroristes d’envergure à Ouagadougou, puis une montée en puissance du djihadisme.

La montée du djihadisme

Au-delà des reculs de la démocratie, c’est bien l’impuissance de dirigeants à juguler la menace terroriste qui apparait comme le problème déterminant. En dépit d’un soutien régional et international, nous assistons à une véritable renaissance des mouvements djihadisme dans cet espace. Elle est incarnée par deux grandes mouvances : le groupe de soutien de l’Islam et aux musulmans, qui regroupe surtout des leaders d’origine sahélienne et revendique une filiation avec Al Qaeda, et l’Etat Islamique au grand Sahara, particulièrement présent autour du lac Tchad. Si ces derniers affichent des pratiques médiévales et une violence aveugle, notamment contre les populations, leur influence est d’autant plus compliquée à contrer qu’ils portent un projet de société alternatif.

L’idée de faire autrement est particulièrement attractive pour une population sans perspectives, qui ont perdu ses illusions sur l’aide internationale et les vœux économiques pieux de politiques défaillants. « Ça a été mis sur le compte des programmes d’ajustement structurels imposés par la Banque Mondiale et le FMI, puis la dévaluation du franc CFA » explique le journaliste camerounais Louis Magloire Keumayou. « Derrière la lutte contre le terrorisme qui absorbe une grande part du budget et permet pas d’avoir la facilité de faire d’autres investissement dans des secteurs vitaux comme la santé, l’éducation, l’emploi… ».

Ces difficultés à endiguer la montée du fondamentalisme religieux et des bandes armées montrent qu’une réponse uniquement sécuritaire manque le cœur de cible. Et ce d’autant alors que les djihadistes jouent le rôle de services sociaux, de fait absents dans de nombreuses régions. « A force de mener la guerre contre le djihadisme sans proposer de solutions pour sécuriser ce qui a été conquis, on laisse la population se convertir en djihadistes ou en soutient des djihadistes » souligne Louis Magloire Keumayou. A contrario, les putschistes sont présentés comme étant « complètement en phase avec les revendications de la jeunesse ». Leur forte expérience du terrain les rend en tout cas plus à même de comprendre les enjeux de la lutte contre le terrorisme et de diriger l’action militaire. Pour ce qui est de l’action sociale, éducative et économique, l’histoire jugera.

L’Afrique nouveau carrefour de la diplomatie internationale

Ces bouleversements politiques ne sont pas sans conséquence au niveau géopolitique. Une des illustrations les plus évidentes de cette évolution est l’annonce de l’expulsion de l’ambassadeur de France au Mali – une dizaine d’années après que l’armée française ait été appelée à l’aide pour faire face aux attaques terroristes venues du Nord du pays. Le président de la transition malienne Assimi Goïta demandait une « révision de certains accords de coopération militaire », ce qui a fait réagir vivement le Ministre des affaires étrangères français, Jean-Yves Le Drian. Ce dernier a qualifié d’« illégitime » le pouvoir militaire malien, ce qui a fait bondir la junte.

Cette attitude française questionne : qui décide de la « légitimité » d’un dirigeant étranger ? Le niveau de la crise semble indiquer qu’un point de non-retour a été franchi, ce qui interroge sur l’avenir de l’intervention militaire française au Mali, l’opération Serval devenue Barkhane. Cette dernière pâtit de sa proximité avec des dirigeants considérés comme incompétents et d’une absence de résultats tangibles malgré 9 ans de présence militaire. Paradoxalement, son absence serait, elle, clairement ressentie. Son impopularité croissante a donné lieu à un nouveau courant « anti-impérialisme », qui a gagné le jeunesse sahélienne – un phénomène largement alimenté par la Russie, qui a identifié l’Afrique comme le nouveau carrefour de la diplomatie internationale.

Moscou a en effet compris que les juntes auraient besoin d’un soutien peu regardant sur les droits de l’Homme et la forme de gouvernement qui occupe le pouvoir. Un soutien que leur refuse pour l’instant l’occident. La Russie s’est substituée aux donateurs historiques – et en partie décrédibilisés, tant en Afrique pour les contreparties exigées pour toute aide, mais aussi dans le camp occidental où certains n’hésitent pas à qualifier cette posture de « fétichisme » démocratique. « Nous constatons que la dégradation des relations internationales s’accélère, avec l’intensification des rivalités entre grandes puissances avec une sorte de continuum contestation-compétition-confrontation qui se traduit par une confrontation dans les zones grises et par une remise en cause des équilibres existants » analysait récemment le Général d’armée François Lecointre, Chef d’état-major des Armées.

Pour autant, la France – et plus largement l’Europe – n’est pas seule à s’inquiéter de ces putschs. « La communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest s’implique dans les crises en cours, avec notamment à sa tête le Ghana ou le Nigéria [et] a mis en place des sanctions très strictes contre les militaires maliens », rappelle ainsi l’éditorialiste Jean-Marc Four. Mais gare à ne pas précipiter ces nouveaux gouvernements dans le bras de rivaux stratégiques. En effet, c’est bien pour maintenir son influence que le France a composé avec des dirigeants parfois loin d’être exemplaires. Rappelons par ailleurs que la Cédéao regroupe des chefs d’États soucieux de ne pas se faire renverser à leur tour. En cela, elle peut être déconnectée des désirs de sa population – en particulier la jeunesse. Pour l’heure, seule la Russie et la Chine parvient vraiment à leur parler.

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