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Le Kazakhstan s’engage sur la voie de réformes politiques radicales

Nur-Sultan, Kazakhstan (copyright Ilya Varlamov)

Par Eugène Berg, essayiste et diplomate français. Spécialiste de la Russie et professeur au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS, Paris)

Trois mois après l’épreuve qu’il a traversée, le Kazakhstan, fidèle à la parole donnée par la voix de son président Kassym-Jomart Tokayev, a décidé de franchir une nouvelle étape dans l’histoire encore récente de son pays, le plus vaste d’Asie centrale, en lançant une grande réforme constitutionnelle, qui tournerait définitivement la page du pouvoir personnel de Noursoultan Nazarbaïev, qualifié de « père de la patrie ».

Lors de son intervention du 16 mars devant le Parlement, le président Tokayev a indiqué plusieurs pistes qui devront être rapidement examinées par le gouvernement. « Avec vous, nous avons commencé à créer un nouveau Kazakhstan » a ainsi affirmé le président, comprenant l’importance de la paix, de la stabilité et d’une unité inébranlable. La voie vers la libéralisation politique avait déjà été définie dans son programme électoral de 2019. La transformation politique a été promulguée par le biais d’initiatives spécifiques lors de ses discours sur l’état de la nation en 2019, 2020 et 2021. Ainsi, plus de dix lois ont été adoptées dans ce domaine. La loi sur les rassemblements pacifiques permet désormais aux militants, y compris aux personnalités publiques d’opposition, d’organiser des rassemblements et d’y exprimer leurs opinions. Il s’agit désormais de franchir une nouvelle étape et de mettre en œuvre un vaste programme de réformes politiques, établi sur la base des recommandations avancées par les députés du Parlement, le Conseil constitutionnel, la Commission électorale centrale, la Cour suprême, la communauté des experts et les membres du Conseil national de la confiance publique.

Le rééquilibrage des pouvoirs au Kazakhstan

Première annonce qui imprime d’emblée la nouvelle direction à emprunter, Kassym-Jomart Tokayev affirme vouloir limiter les prérogatives de la fonction présidentielles et donner plus de poids au Parlement, composé du Sénat (chambre haute) et du Mazhilis (chambre basse). Ce rééquilibrage des pouvoirs tournerait ainsi le dos aux dérives qui ont permis à son prédécesseur, Noursoultan Nazarbaïev, de faire perdurer son pouvoir personnel. Dans cet esprit, sans abandonner entièrement le caractère présidentiel du régime, il s’agirait de doter le Parlement d’un poids plus important. Le Sénat renforcerait ainsi son rôle dans la promotion des intérêts des régions, des groupes sociaux et ethniques sous-représentés. Dans ce but, le président en exercice ne pourra être membre d’aucun parti politique, lui permettant, dans l’esprit de la Constitution française de 1958, d’être l’arbitre au-dessus des partis. Le président Tokayev a également suggéré que l’on réduise le nombre de députés ou sénateurs nommés directement ou indirectement par le président. À l’avenir, 70 % des parlementaires seront élus au scrutin proportionnel, 30 % au scrutin majoritaire, sur une base régionale permettant d’assurer une juste représentation des opinions, sans conduire à une multiplication excessive des partis accédant au Parlement. D’autre part, afin d’assurer une plus grande pluralité de la vie politique du pays, l’enregistrement de nouveaux partis sera facilité, en réduisant le nombre minimum requis de militants qui passerait de 20 000 aujourd’hui à 5 000. Enfin, Kassym-Jomart Tokayev a souhaité le rétablissement de la Cour constitutionnelle et suggéré que le Procureur général et le Commissaire aux droits de l’homme devraient avoir la possibilité de saisir celle-ci.

Un renforcement des pouvoirs régionaux et locaux et de la société civile

La réforme politique s’étend également aux pouvoirs des collectivités locales et régionales. Il s’agira principalement de renforcer le rôle des maslikhats (organes représentatifs locaux), accroître le rôle des institutions de la société civile et des médias et mieux protéger les droits de l’homme. Actuellement, le président dispose du droit d’annuler ou de suspendre les actes juridiques émis par les akims régionaux (gouverneurs ou maires). Cette prérogative régalienne pourrait également être abolie. Le président, attaché au principe « des régions fortes » a annoncé le rétablissement de trois provinces qui avaient fusionné avec d’autres au début des années 1990. La région d’Abai sera établie avec la capitale dans la ville de Semei. La région d’Ulytau sera établie avec la capitale dans la ville de Zhezkazgan. La région d’Almaty sera divisée en deux régions : la région d’Almaty avec comme capitale Taldykorgan et la région de Zhetisu avec Kapshagai.

Le Kazakhstan a ratifié le deuxième Protocole facultatif relatif aux droits civils et politiques visant à abolir la peine de mort en 2020. Il s’agira désormais d’introduire systématiquement le recours à l’enquête en cas de recours à la torture. Il est proposé de revoir les lois sur les médias afin de les rendre plus ouverts, compétitifs et responsables. Les organisations publiques et les militants devraient participer à la préparation des réformes pour assurer des discussions ouvertes sur tous les projets nationaux. Au total, c’est plus de 30 articles de la Constitution qui devront être amendés pour mettre en œuvre les initiatives du Président. Par ailleurs, plus de 20 lois seront adoptées d’ici la fin de l’année.

La lutte contre la corruption et les privilèges

Le troisième chantier ouvert par le président porte sur la lutte contre la corruption. Le président Tokayev a ainsi souhaité que la loi interdise à l’avenir aux proches du président d’exercer des responsabilités politiques ou bien encore d’occuper des postes de direction dans une entreprise publique. D’ores et déjà, cette lutte contre la corruption associée a été mise en œuvre. La police a ainsi arrêté l’un des neveux de Noursoultan Nazarbaïev dans le cadre d’une enquête sur des détournements de fonds, tandis qu’un homme d’affaires lié à la famille de l’ancien président a également été arrêté.

« Nous devons préserver notre indépendance, renforcer l’identité nationale et nous concentrer sur la transformation du pays. C’est notre devoir envers les générations futures… Nous devons suivre le principe fondamental – des points de vue différents, mais une seule nation dans un nouveau Kazakhstan », a conclu le président dans son adresse. « Cette transformation du système des institutions gouvernementales et l’augmentation de la participation civique contribueront à la formation d’une nouvelle culture politique au Kazakhstan ». Au moment où, partout dans le monde, se renforcent les régimes autoritaires et alors que les dirigeants  se perpétuent au pouvoir, la voie qu’emprunte le Kazakhstan, qui n’a pas  reconnu les  républiques  de Louhansk et de Donetsk en Ukraine, apparaît originale et relevant d’une volonté d’indépendance à l’égard de ses puissants voisins.

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