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L’Algérie menace de couper le gaz à l’Espagne

Le torchon brûle entre l’Espagne et l’Algérie. Après le rappel de l’ambassadeur algerien en Espagne la semaine dernière, le ministère algérien de l’Énergie a menacé, mercredi 27 avril, de rompre le contrat de fourniture de gaz au pays européen si cet dernier venait à revendre le gaz fossile algerien a son voisin et grand rival, le Maroc. “L’Espagne a pris une décision souveraine dans le cadre du droit international et il n’y a rien d’autre à ajouter”, a déclaré José Manuel Albares, chef de la diplomatie espagnole. 

Le gouvernement espagnol avait en effet annoncé en février qu’il allait aider Rabat à « garantir sa sécurité énergétique ». Pour ce faire, il était question de renvoyer une partie du gaz acheté à travers le pipeline Gazoduc Maghreb Europe (GME). Seul hic : ces infrastructures avaient été mises en place par l’Algérie afin d’approvisionner le pays en passant par le Maroc (le route la plus simple avant que ses relations avec son voisin ne se détériorent sensiblement en août 2021). Aussi, Alger voit d’un très mauvais œil le fait que l’Espagne se serve de ses infrastructures afin d’alimenter un pays qu’elle essaie d’asphyxier.

Cette annonce intervient alors que l’approvisionnement en gaz vers l’Europe est déjà sous pression du fait de la guerre en Ukraine, et de la volonté des Etats membres de l’UE de trouver des sources alternatives afin de réduire leur dépendance énergétique vis à vis de la Russie (45% de ses importations). Et ce d’autant plus que l’UE vient tout juste de refuser de payer le gaz russe en roubles et se prépare à une rupture avec Moscou. La semaine dernière, le géant russe Gazprom a stoppé les livraisons de gaz vers la Bulgarie et la Pologne. La commissaire à l’Énergie Kadri Simson a même dit se préparer à une “suspension des approvisionnements” en gaz russe dans les jours qui viennent. 

Le dilemme espagnol

Au départ de cette crise, on trouve la décision de l’Espagne de soutenir pour la première fois publiquement le plan d’autonomie marocain  au Sahara occidental, le 18 mars dernier. Pour Madrid il s’agit de la “base la plus sérieuse, réaliste et crédible pour la résolution du différend”. Dans ce conflit larvé depuis 47 ans, Alger soutient le Front Polisario, mouvement indépendantiste de l’ancienne colonie espagnole aujourd’hui le Sahara Occidental, de facto sous l’autorité de Rabat. Pour rappel, cette vaste zone désertique est considérée comme un « territoire non autonome » par l’ONU. L’Espagne a finalement choisi de s’aligner sur la vision marocaine. 

Pourtant, les relations entre Rabat et Madrid n’ont pas toujours été au beau fixe. Le Maroc avait en effet tenté de recourir à l’arme migratoire en organisant le passage de réfugiés en grand nombre vers l’enclave espagnole de Ceuta avec qui elle partage une frontière terrestre. Il aura finalement eu gain de cause. En face, le groupe algérien Sonatrach fournit plus de 40 % du gaz importé par l’Espagne. Aussi, les relations exerçables entre les deux pays placent l’Espagne dans une position inconfortable, prise entre la menace migratoire d’une part et le chantage gazier de l’autre. 

L’Algérie a la croisée des chemins 

La réaction d’Alger est en grande partie liée au conflit autour de ce territoire contesté. Mais elle s’explique plus largement par les évolutions rapides d’une région en pleine mutation géopolitique et ou le pays a du mal à se retrouver une place. “Il y a évidemment la vieille rivalité entre l’Algérie et le Maroc, dont la frontière terrestre est fermée depuis bientôt trente ans et qui n’ont plus de relations diplomatiques depuis août 2021”, note ainsi l’analyste Pierre Haski. “Il y a aussi la recomposition des alliances dans la région Méditerranée-Moyen Orient, avec les « Accords d’Abraham » conclus par Israël avec plusieurs pays du Golfe et le Maroc. Les relations israélo-marocaines se développent vite, y compris sur le plan sécuritaire, et, là encore, c’est un sujet de contentieux avec l’Algérie.”

Tous ces changements sont défavorables à l’Algérie qui se retrouve de plus en plus isolée, et tente donc de forcer la main de Madrid, sinon pour qu’elle adopte sa position, au moins pour qu’elle retrouve une position plus neutre. Fragilisée par des tensions internes, Alger joue sur les tensions créées par l’invasion russse en Ukraine afin de tenter de reprendre la main. Le pays, troisième fournisseur de gaz de l’UE, est véritablement à la croisée des chemins, alors que ses besoins énergétiques croissent de manière inquiétante, faisant passer la part des exportations dans sa production de 75 à 50% en 20 ans.
Pour le pays, les enjeux sont multiples : la remise en cause encore vivace de la légitimité de son gouvernement en dépit de la fin officielle du Hirak, un modèle économique obsolète, trop dépendant des exportations hydrocarbures, le besoin urgent de moderniser ses infrastructures  et le spectre d’une crise alimentaire liée à la réduction de la production de blé ukrainienne… Viennent s’ajouter à la liste les engagements européens de réduction de leur consommation d’énergies fossiles – également de gaz, donc. La fin de la dépendance de l’Europe à l’égard des combustibles fossiles va certainement lui porter préjudice et pourrait déstabiliser encore davantage son gouvernement, comme le soulignait l’excellente analyse, “The geopolitics of the European Green Deal”.

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