Mardi 11 octobre, le gouvernement israélien a voté un accord avec le Hamas qui ouvre la voie à une libération de Gilad Shalit en échange de celles de 1 027 prisonniers palestiniens. Le soldat franco-israélien aura passé plus de 5 ans en captivité. Gidéon Kouts, correspondant en France et chef du bureau européen de la radio-télévision publique israélienne IBA, évoque les réactions à cette annonce, ses possibles effets sur la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien et la situation politique en Israël. Entretien.
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JOL Press : L’annonce de la signature d’un accord entre Israël et le Hamas permettant la libération de Gilad Shalit est-elle, pour vous, une surprise ?
Gideon Kouts : Une surprise ? Oui et non. Elle aurait dû arriver il y a bien longtemps. La véritable surprise aura été la lenteur des négociations. On savait que des négociations étaient en cours et donc elles devaient nécessairement aboutir. À plusieurs reprises, au cours des cinq dernières années, on a pensé que sa libération allait intervenir, en vain. Ces négociations aboutissent dans des termes très proches de ceux qui avaient été avancés il y a trois ans.
LES RAISONS D’UN « HAPPY ENDING »
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JOL Press : Qu’est-ce qui fait, justement, que, cette fois, ces négociations ont abouti ?
Gideon Kouts : Côté israélien, on peut penser que la récente contestation sociale a pu jouer un rôle. Lors des manifestations, le nom de Gilad Shalit était souvent prononcé. L’absence d’avancées dans ce dossier était un motif d’insatisfaction supplémentaire. Benjamin Netanyahou s’est vu contraint d’assouplir ses positions.
Pour l’autre partie concernée, le contexte plus général a dû jouer. Avec les « printemps arabes » et, en particulier, la situation en Syrie, la position du Hamas se retrouve nettement affaiblie. Et puis, l’offensive diplomatique de Mahmoud Abbas, de l’Autorité palestinienne et du Fatah a peut-être aussi obligé le Hamas à agir, en se débarrassant d’un otage embarrassant.
NETANYAHOU ET LE HAMAS SE RETIRENT UNE ÉPINE DU PIED
JOL Press : Peut-on dire que cela constitue une victoire pour Benjamin Netanyahou ?
Gideon Kouts : Non, il est difficile de parler de « victoire ». Si la plupart des Israéliens sont ravis de la libération prochaine de Shalit, demeurent beaucoup de critiques. Ceux qui s’opposent à la signature de l’accord se font entendre, et prétendent notamment que le prix payé est bien trop élevé.
JOL Press : Et sur le plan international, Benjamin Netanyahou y gagne ?
Gideon Kouts : Sur le plan international, il faut attendre et voir. Par exemple, le président Nicolas Sarkozy a appelé Benjamin Netanyahou. C’est une occasion de renouer des liens quelque peu distendus dans les dernières semaines, notamment avec l’épisode de l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, et la demande de reconnaissance d’un État palestinien comme 194e membre.
[image:3,l]En outre, voilà qui remet le Hamas dans le jeu. Cela démontre, comme l’a rappelé ce matin le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, qu’il est possible, à certaines conditions, de négocier avec le Hamas. Il faut attendre encore avant de savoir si ce sera possible, et si ce sera productif. Même si Khaled Mechaal, le chef du Hamas en exil, a déjà annoncé de nouveaux kidnappings, il doit être satisfait du résultat obtenu avec la libération des prisonniers.
UN IMPACT LIMITÉ SUR LE PROCESSUS DE PAIX
JOL Press : Les commentateurs ont parlé d’un accord « gagnant-gagnant », vous êtes d’accord ?
Gideon Kouts : Les deux parties y trouvent leur intérêt, les deux parties peuvent aussi y perdre. Certains reprocheront à Benjamin Netanyahou d’avoir légitimé le Hamas. Une partie de l’opinion publique palestinienne reprochera au Hamas d’avoir cédé ou de ne pas avoir été suffisamment intransigeant fasse à Israël, notamment sur l’identité des prisonniers relâchés. L’Autorité palestinienne avait aussi été critiquée après l’intervention de Mahmoud Abbas devant le Conseil de l’Europe dans laquelle il plaidait pour un « printemps palestinien » et avait fait de la reprise des négociations un préalable à la libération de Gilad Shalit.
Il n’y a certainement pas de grand vainqueur.
JOL Press : Vous voulez dire que la libération de Gilad Shalit n’aura pas d’effets sur la recherche d’une résolution au conflit israélo-palestinien ?
Gideon Kouts : Elle peut jouer dans les deux sens. Aujourd’hui, il n’y a pas de négociations avec le Hamas. Et il y a la question de la reprise des négociations avec l’Autorité palestinienne. Tout dépendra aussi du vote de l’assemblée de Ramallah vendredi prochain. Et puis les efforts du Quartet, UE, États-Unis, Russie, ONU.
La libération de Gilad Shalit peut avoir un effet positif dans le sens où les différentes parties se diraient qu’il est temps de tourner la page. Mais tout dépend aussi de l’attitude qu’auront certains des prisonniers palestiniens libérés. Une des craintes, au sein de l’opinion publique en Israël, serait que le Hamas se réorganise et qu’il reprenne des actions violentes.
UNE OPINION PUBLIQUE SOULAGÉE MAIS LUCIDE
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JOL Press : Justement, quel est l’état de l’opinion publique ?
Gideon Kouts : L’opinion publique est très heureuse de l’annonce de la libération prochaine de Gilad Shalit. Il y a eu un engouement énorme, une mobilisation considérable pour cette affaire.
La reconnaissance d’un État palestinien par l’ONU est considérée par une majorité d’Israéliens comme purement symbolique et ne devant mener à rien. La création de fait d’un État palestinien est perçue comme une menace par une majorité d’Israéliens. Mais l’opinion publique avait été préparée à ce que septembre soit difficile, préparée par le gouvernement et les médias. La crainte, c’était une reprise des violences dans les territoires occupés, et à partir des territoires occupés.
En même temps, il y a l’idée que si, sous la pression internationale, les pourparlers de paix reprenaient, Israël pourrait obtenir des contreparties en échange.
JOL Press : L’opinion publique est-elle favorable à une reprise des négociations ?
Gideon Kouts : Oui, mais pas à n’importe quel prix, pas de n’importe quelle façon. Les Israéliens refusent des négociations sous la menace. C’est pourquoi ils privilégient la position du Quartet qui prévoit une reprise des pourparlers avec pour objectif d’aboutir d’ici à un an. Les scénarios du « grand soir » de type Accords d’Oslo en 1994 et 1995, c’est fini. La position du Quartet n’est pas si éloignée de celle de la France, sauf que la France prévoit qu’un État de Palestine puisse obtenir sans attendre un statut d’observateur à l’Assemblée générale de l’ONU et, cela, les Israéliens n’y sont pas prêts.
Le « PRINTEMPS ISRAÉLIEN » CHANGE LA DONNE
JOL Press : Israël connaît une vague de mécontentement social, on a même parlé de « printemps israélien » avec ses « indignés » à Tel Aviv. Est-ce à dire que la situation sécuritaire, le règlement du conflit israélo-palestinien passent au second plan ?
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Gideon Kouts : Ce sont deux problèmes distincts. Pendant longtemps, les clivages politiques se sont opérés sur la base des questions sécuritaires. La contestation sociale est une contestation plus générale. Au-delà, des clivages habituels, les gens se réunissent sur les questions sociales. C’est une nouveauté ou plutôt un retour aux sources, une sorte de normalisation des oppositions entre la droite et la gauche, une gauche qui fait à nouveau des luttes sociales sa priorité. Le message des manifestants qui descendent dans la rue consiste à dire qu’il faut cesser de se focaliser sur les questions sécuritaires en faisant comme si les problèmes sociaux n’existaient pas.
L’ÉTAT DU JEU POLITIQUE
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JOL Press : Justement, dans quel état se trouve la gauche israélienne ?
Gideon Kouts : Une ancienne journaliste, Shelly Yacimovitch, vient d’être élue à la tête du Parti travailliste, en devançant un ancien syndicaliste, Amir Peretz. Son élection a été bien accueillie et son parti est de nouveau en nette progression. Au centre, Tzipi Livni, à la tête de Kadima, le parti fondé par Ariel Sharon en novembre 2005, n’a pas fait ses preuves en tant qu’opposante en chef. Un nouveau rapport de forces est en passe de s’établir mais il est encore difficile de voir quelle autre coalition pourrait supplanter celle que dirige Benjamin Netanyahou.
JOL Press : Avigdor Lieberman, le ministre des Affaires étrangères issu des rangs de la droite extrême nationaliste, peut-il tirer profit de son opposition à la négociation avec le Hamas ?
Gideon Kouts : Avigdor Lieberman et ses deux collègues, Ouzi Landau, ministre des Infrastructures, et Moshé Yaalon, ministre des Affaires stratégiques, en votant contre l’accord avec le Hamas, lors de la réunion extraordinaire du gouvernement mardi 11 octobre, ont manifesté leur mécontentement. Ainsi, ils ont rempli leur devoir vis-à-vis de leurs partisans. La coalition gouvernementale n’éclatera pas à cause des concessions faites pour la libération de Gilad Shalit. Et il n’y aura pas de répercussions immédiates.
Il y a d’autres problèmes, d’autres sujets de désaccord, comme la reprise des négociations avec les Palestiniens ou la question de la colonisation. Sur ce plan, l’affaire Shalit est secondaire.
JOL Press : Benjamin Netanyahou peut donc dormir sur ses deux oreilles, son avenir politique est, pour l’instant, garanti ?
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Gideon Kouts : Les prochaines élections doivent avoir lieu en 2013. Pour l’instant, il n’y pas de raisons d’imaginer des élections anticipées. Mais, compte tenu du système politique israélien, une crise est possible à tout moment et la coalition peut se disloquer, pour des désaccords d’ordre diplomatiques ou suite à un mouvement de contestation sociale. Benjamin Netanyahou jouit encore d’une solide popularité dans le pays, ses jours ne sont pas comptés.
Gideon Kouts est le correspondant à Paris et le chef du bureau européen de la radio-télévision publique israélienne IBA. Il est aussi l’ancien président de l’Association de la presse étrangère (APE) à Paris et enseigne à l’Université Paris VIII-Saint-Denis.
Propos recueillis par Franck Guillory – JOL Press