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3 000 disparus victimes de la répression d’Assad

Beyrouth, Liban. Pendant deux mois, une veuve a passé au peigne fin la ville syrienne d’Homs. Une mère à la recherche de son fils disparu.

Yazan, 16 ans, a été vu pour la dernière fois entraîné dans une fourgonnette blanche par des hommes des forces de la sécurité syrienne qui venaient de le frapper à coups de bâtons jusqu’à ensanglanter son nez et ses oreilles et à le faire s’évanouir, selon ses amis. Yazan manifestait au milieu de milliers d’autres à Homs pour que cesse la dictature de la famille Assad depuis 41 ans.

« Il ne s’est pas évaporé, lance la mère de Yazan. Les forces de sécurité le retiennent et je veux qu’ils me le rendent. » Yazan est un pseudonyme, demandé par cette femme, qui craint pour la sauvegarde de son fils. Elle commence à désespérer de retrouver son plus jeune enfant. Elle s’est rendue dans tous les bureaux des agences de sécurité connues, fortes d’au moins 17 divisions.

 

Menaces sur la famille

 

Mais dans un pays où les agents de sécurité arrêtent et torturent les citoyens impunément, une mère isolée perdue dans des bureaux enfumés ne peut compter sur aucune aide. Encore et toujours, les hommes aux vestes de cuir et au pistolet à la ceinture lui répètent qu’ils n’ont pas Yazan.

Alors qu’elle insiste, ils la dissuadent de poursuivre ses recherches sous la menace de l’arrestation de son aîné de 19 ans si elle continue à les harceler de questions.

Mais cette mère ne cessera pas de les poser, ces questions. « Si mon fils est mort, je veux ensevelir son corps, a-t-elle dit un expert des droits de l’homme. Et s’il est toujours vivant, je veux le voir et sentir à nouveau son odeur. »

 

Au mépris des lois internationales

 

Des disparitions brutales comme celle de Yazan, on en a décomptées une moyenne d’une par heure depuis le début du soulèvement en Syrie, à la mi-mars, affirme le groupe des libertés international Avaaz, qui a recensé désormais près de 3 000 cas individuels.

Selon les termes d’un traité international, les disparitions forcées sont définies comme l’arrêt, la détention ou l’enlèvement d’une personne par l’État ou ses agents avec le refus des autorités de communiquer les éléments d’identité du disparu, ce qui a pour effet de retirer à cette personne la protection de la loi.

Les disparitions forcées sont un crime contre la loi internationale, rappelle Amnesty International. « Innombrables sont les gens que nous savons avoir été détenus. Nous parlons là uniquement de personnes dont les familles ne savent pas si elles sont mortes ou vivantes. Ce sont des gens qui ont disparu », selon Wissam Tarif, directeur de l’Insan, organisation syrienne des droits de l’homme, qui a travaillé avec le groupe Avaaz pour constituer les dossiers des disparus par la force.

 

Arrêtés dans la rue, hors manifestations

 

Les organisations de défense des droits et leurs réseaux en Syrie ont évoqué le cas de tous les disparus auprès de leurs familles, tous ceux auxquels les autorités ont affirmé que leur parent n’était pas détenu. « Des proches ont fait l’objet de menaces, ont été molestés, battus et même mis en détention s’ils questionnaient les forces de sécurité au sujet de leur parent », témoigne Tarif. La plupart des 3 000 personnes ont disparu au cours des manifestations d’opposition au régime, mais d’autres ont été enlevées alors qu’elles se contentaient de circuler à pied dans leur quartier, appréhendées de force par des membres des forces de sécurité agressifs, qu’il s’agisse d’hommes de main en civil, de police secrète ou de membres locaux du parti Baath au pouvoir.

 

26 000 arrestations : un chiffre époustouflant

 

L’absence de communication entre branches rivales de la sécurité signifie que quelqu’un qui a été arrêté par l’une d’elles puis relâché après interrogatoire peut se voir mis en détention par une autre branche d’un service de sécurité pour le soumettre au même interrogatoire, affirment des activistes. Ce qui complique énormément la recherche des disparus. Depuis le 15 mars, Avaaz a confirmé l’assassinat de 1 634 personnes au cours de la répression orchestrée par le régime, sur un total prodigieux de 26 000 arrestations de personnes dont 13 000 restent en détention. Le régime d’Assad conteste le nombre des tués et des détenus, et réplique que plus de 500 membres des forces de sécurité ont trouvé la mort en cherchant à restaurer l’ordre.

 

Tel père, tel fils…

 

La campagne systématique d’arrestations et de disparitions a visé bien des couches de la société syrienne. Ceux qui en ont été les victimes ont parlé de « vague de terreur ». Les forces de sécurité ne se sont pas contentées de s’en prendre aux manifestants des rues, elles ont également arrêté des médecins, des ingénieurs et des étudiants, bref, tout agent actif dans la société.

Avaaz estime que des citoyens de Daraa ont constitué la cible principale des forces du régime qui reprochent à la ville d’avoir été le foyer de l’insurrection populaire.

Les disparitions forcées en Syrie commencèrent quand Hafez al-Assad, le père du président Bashar al-Assad, ordonna la répression d’un soulèvement armé lancé par les Frères musulmans en 1979. Quelque 17 000 Syriens disparurent entre 1980 et 1987 à en croire un document écrit adressé au Conseil des Nations unies des Droits de l’homme par Radwan Ziadeh, directeur du Centre de recherches sur les droits de l’homme de Damas.

À titre de comparaison, pas moins de 30 000 personnes disparurent au cours de la « guerre sale » d’Argentine, sous la coupe de la junte militaire, de 1976 à 1983, selon le groupe de défense des droits de l’homme. Au moins 17 000 disparus ont été recensés au moment de la guerre civile en Algérie de 1992 à 1997, affirment les activistes.

 

Terreur permanente

 

Wissam Araji, l’un des disparus en Syrie, a été vu pour la dernière fois dans la nuit du 21 avril à Duma, une ville proche de Damas, et qui fut un foyer de manifestations. « Nous ignorons où peut bien se trouver Wissam. Je crains pour sa vie et j’ai sans cesse peur que la sécurité n’assaille notre maison et ne m’enlève, moi ou un autre membre de la famille », tremble Alaa Araji, frère de Wissam, témoignage relevé dans un dossier de l’Insan. « Depuis que Wissam a disparu, ma mère ne cesse de pleurer, et mon père ne sait quoi faire. Cette disparition nous a tous paralysés. »

 

« Ils tuent tout le monde »

 

Abdel Aziz Kamal al-Rihawi, jeune Syrien de 18 ans, fut porté disparu le lendemain à Harasta, ville située dans la campagne de Damas. Un proche a expliqué à l’Insan que Rihawi l’avait contacté par téléphone et lui avait dit : « Ils tuent tout le monde. Je rentre dès que je peux me sortir de là. » Ce furent les derniers mots que sa famille entendit de sa bouche. « Nous pensons que certains des disparus portés sur la liste sont morts. Nous savons que des corps sont conservés à l’hôpital Tishreen et à l’hôpital militaire d’Aleppo », dit Tarif. Depuis le 21 juillet, Avaaz a instruit plus de 1 000 arrestations et constaté une forte augmentation des disparitions au cours de la montée en puissance des efforts du régime en vue du ramadan, ce mois sacré de jeûne, censé redonner de la force à l’opposition puisqu’il donne lieu à de grands rassemblements dans les maisons et les mosquées.

 

Global Post/Adaptation OM – JOL-Press.

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