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Après l’exécution de Troy Davis, Amnesty continue le combat

JOL Press : Comment avez-vous vécu l’annonce de l’exécution de Troy Davis ?

Francis Perrin : Réponse courte, mal. Amnesty International est un mouvement abolitionniste. Quel que soit le crime, pour nous, la peine de mort ne devrait pas exister. C’est cruel, inhumain et dégradant.

Dans le cas de Troy Davis, il existe, en plus, des éléments très lourds conduisant à un doute quant à sa culpabilité. Un exemple parmi tant d’autres, le plus frappant : l’enquête n’a permis de produire aucune preuve matérielle, pas d’empreintes, pas de preuves matérielles. Ce dossier est entièrement fondé sur des témoignages. On connaît la fragilité des témoignages humains. Sept des neuf témoins se sont rétractés.

C’est forcément troublant, même pour les opposants de l’abolition, c’est troublant. La peine de mort est un châtiment irréversible. Avant de l’exécuter, il faut être sûr. Cela explique que, parmi tous ceux qui se sont mobilisés en faveur de Troy Davis, il y ait eu à la fois des abolitionnistes mais aussi des non abolitionnistes.

Nous sommes très tristes, déçus, indignés. C’est ce que ressentent tous les membres d’Amnesty International. Nous suivons Troy Davis depuis des années. À trois reprises, la mise à mort avait été reportée. Il n’y a pas eu de quatrième report, le système est allé au bout de sa logique.

Au-delà, les États-Unis en tant que nation, la Géorgie en tant qu’État ont manqué une occasion, celle d’inspirer la confiance. C’est très difficile pour les autorités de bénéficier de la confiance de l’occasion, une occasion formidable a été manquée en laissant l’exécution avoir lieu. Au risque de tuer un innocent…

Pourquoi, selon vous, les diverses autorités compétentes ont-elles pris ce risque, celui de tuer un innocent ?

Il existe plusieurs explications. D’abord, les responsables américains ont une très grande confiance dans leur système judiciaire et politique. Ils ont sans doute de bonnes raisons de l’être, mais le système judiciaire américain n’est pas infaillible. Or, appliquer un châtiment irréversible supposerait un système parfait. Les jurys populaires déclarent coupables « au-delà de tout doute raisonnable ». Dans les dernières années, 140 personnes condamnées à mort ont été innocentées par la découverte de preuves supplémentaires.

Beaucoup d’Américains sont très fiers de leur système judiciaire. Mais on peut être fier de son système judiciaire tout en reconnaissant qu’il n’est pas infaillible. En plus, la justice n’aime pas admettre qu’elle s’est trompée. Dans le cas de Troy Davis, malgré les failles troublantes du dossier, il a été impossible de renverser la première décision du jury de 1991.

Y a-t-il des points communs entre ces erreurs judiciaires ?

On observe qu’elles se produisent souvent lorsque le cas a été mal engagé. S’il y a eu, faute d’argent, recours à un avocat commis d’office, débordé par trop de dossiers, si le procureur n’est pas le plus honnête qui soit, s’il y a des pressions policières, sur les témoins notamment, il est très difficile de renverser la vapeur.

Amnesty International milite pour une défense de qualité dans ce type de procès. Parfois, les avocats sont tellement dépassés qu’ils ne mettent même pas en avant des circonstances atténuantes. Quand on risque la peine de mort, la moindre des choses est de tout mettre en œuvre pour y échapper.

Et puis, il y a des raisons politiques. Barack Obama ne pouvait rien faire. Rien de plus que de déclarer qu’à titre personnel il était opposé à l’exécution. Il ne l’a pas fait. Ce qu’il était possible de faire, notamment de la part des autorités de l’État de Géorgie, c’était de faire pression sur le Comité des grâces et requêtes. Elles ont refusé d’intervenir.

Combien y a-t-il de condamnés en attente de leur exécution dans les couloirs de la mort américains ?

Autour de 3 200, selon nos estimations. C’est considérable. Avant de mourir, Troy Davis nous a demandé de poursuivre le combat pour la justice, pour sauver ces personnes. Notre ambition est d’aboutir à une abolition partout dans le monde pour un système de justice moderne, efficace et démocratique.

Aux États-Unis, la peine de mort a été abolie, puis certains États l’ont réintroduite…

Elle est de nouveau en recul. Récemment, trois États, le New Jersey, le Nouveau-Mexique et l’Illinois, ont rejoint le camp abolitionniste.

En dehors des États-Unis, quel regard portez-vous sur la situation en Europe ? La peine de mort sur le Vieux Continent, c’est fini, pour toujours ?

Si vous prenez l’Europe au sens large, l’Union européenne et l’ensemble des États nés de l’ex-URSS, il n’y a plus qu’un seul pays où est pratiquée la peine de mort, c’est le Bélarus. Depuis l’indépendance de cette ancienne république soviétique en 1991, on estime qu’environ 400 personnes auraient été exécutées. Dans les dernières années, le nombre des exécutions a sans doute été faible : selon nos informations, aucune en 2009, deux en 2010 et, sans doute – nous n’en avons pas la confirmation – deux en juillet 2011. Le Bélarus fait désormais partie de ces pays qui condamnent à mort et exécutent dans le secret, avec mauvaise conscience. Symboliquement, c’est important aussi d’obtenir que la peine de mort disparaisse complètement d’Europe. D’autres anciennes républiques soviétiques n’ont pas aboli la peine de mort, mais elles n’y ont pas recours, ils n’exécutent pas.

Dans l’Union européenne, le risque d’un retour en arrière est très faible, en dehors de circonstances exceptionnelles difficilement prévisibles. Partout, comme en France il y a 30 ans exactement, l’abolition a rassemblé – et continue à rassembler – une très large majorité des responsables politiques. Le vote de septembre 1981 était certes à l’initiative de François Mitterrand et Robert Badinter, mais de nombreux membres de l’opposition d’alors s’y sont associés, en particulier tous ceux qui, par la suite, ont exercé des responsabilités gouvernementales et étatiques. Il existe un verrou politique au plan national.

Il existe aussi un verrou juridique. Pour changer la loi, il faudrait dénoncer des protocoles internationaux, à l’échelle de l’Europe et de l’ONU. Ce ne serait pas impossible, mais extrêmement délicat. En termes d’image et de réputation, ce serait très dommageable pour tout pays tenté de revenir en arrière.

Quels sont les pays où la situation en ce domaine est vraiment préoccupante ? 

Deux pays sont « à la pointe » en matière de peine de mort : la Chine, n° 1 mondial des exécutions, et l’Iran. Malheureusement, Amnesty International n’est pas présent en Chine, les autorités chinoises ne le permettent pas, et nous agissons donc de l’extérieur en faisant en sorte que la situation soit connue.

Quelles sont les autres causes qui mobilisent particulièrement Amnesty International France aujourd’hui ?

Amnesty International est un mouvement de défense des droits humains. Nous sommes actifs sur de nombreux fronts. Deux campagnes sont en cours : la première, « Exigeons la dignité », sur le lien entre violation des droits humains et pauvreté, depuis mai 2009, pour montrer que la pauvreté est souvent le produit de graves violations des droits humains ; la seconde, « Sécurité et droits humains », pour lutter contre le terrorisme et ses effets sur les droits humains. Et, bien sûr, nous allons poursuivre notre action abolitionniste, en souvenir de Troy Davis aux États-Unis, et partout dans le monde.

Francis Perrin est un ancien président d’Amnesty International. Cette organisation non gouvernementale a été créée en 191 à Londres par Peter Benenson. Elle compte environ trois millions de membres à travers le monde.

Propos recueillis par Franck Guillory – JOL Press

>A lire aussi : le billet de Cécilia Attias : Exécution de Troy Davis : la peine de mort a-t-elle un sens dans les démocraties modernes ?

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