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Ce 11-Septembre qu’on aimerait oublier…

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Du coup, l’anti-américanisme s’est exprimé beaucoup plus ouvertement que les autorités ne le tolèrent habituellement. Surprises par la vigueur de ces sentiments, les autorités saoudiennes donnent désormais à entendre qu’il y a des limites à ne pas franchir. De plus, le gouvernement saoudien est bien conscient des réformes politiques, sociales et économiques nécessaires pour assurer le succès du royaume à l’échelle planétaire. Dix ans après les attentats du 11-Septembre, l’Arabie tente, doucement mais sûrement, de se moderniser.

 

Ce jour-là, en Arabie Saoudite

Abdulaziz Al Rabah se souvient que c’était un mardi. L’appel à la prière du soir résonnait dans sa ville natale de Hafr al-Batin, et la police, religieuse et barbue, l’avait chassé, lui et ses amis, du terrain de football du quartier.

« Avez-vous vu ce qui s’est passé en Amérique ? » a demandé l’un de ses amis, âgé de 13 ans, les yeux écarquillés. À toute vitesse, Al Rabah a couru chez lui pour regarder avec sa mère le journal télévisé par satellite qui révélait, pour la première fois au monde entier, les images du 11 septembre 2001 et les États-Unis en pleine agonie. « Elle était triste de voir deux gars se jeter dans le vide », se souvient-il. Al Rabah explique que sa famille avait de l’affection pour les Américains, et, quelques jours plus tard, ils eurent honte d’apprendre que 15 des 19 kamikazes étaient saoudiens. Il se souvient aussi que certains de ses camarades de classe « étaient heureux » que les États-Unis soient touchés.

Le même Al Rabah, 23 ans, est désormais journaliste pour le journal Shams, à Riyad, la capitale saoudienne. Il porte des tee-shirts et des jeans déchirés, surfe sur Internet, et, comme beaucoup de Saoudiens de son âge, il aimerait que son pays soit complètement connecté au reste du monde et qu’il y soit respecté. S’il est inspiré par les soulèvements menés par les jeunes, et qu’il se joint même à des Saoudiens qui « veulent tout changer pour tout améliorer, les droits humains, la liberté d’expression et les droits des femmes », Abdulaziz Al Rabah n’est pas partisan de la violence et ne souhaite pas voir son pays sombrer dans le désordre et le chaos comme ce fut le cas de certaines régions arabes. Pour lui, comme pour beaucoup d’autres Saoudiens, ce qui va venir désormais reste incertain. « Personne ne sait ce qui arrivera l’année prochaine, dans deux ans, dit-il. C’est un peu le brouillard, vous voyez. »

 

Un jour fatidique pour l’Arabie Saoudite

J’ai rencontré Al Rabah tout en découvrant Riyad lors d’un récent séjour de trois ans en Arabie Saoudite où j’ai pu voir de près comment les événements de la dernière décennie ont affecté le premier producteur mondial de pétroleTout comme ce fatidique jour de grand ciel bleu du 11 septembre 2001 a changé l’Amérique, il a aussi changé l’Arabie saoudite, un allié important des États-Unis, mais aussi la terre où certaines des graines de l’attentat du 11-Septembre ont été semées.

Le premier choc vient de l’humiliation ressentie par la mise en avant de l’importance du rôle de la communauté saoudienne dans l’attentat. Le second choc : Al-Qaïda, qui dirige l’insurrection et qui traumatise le royaume, 164 morts à la clé. Les attaques terroristes du 11-Septembre annoncent le début de quelque chose. Cet événement aura poussé le gouvernement à prendre conscience à quel point sa branche wahhabite de l’islam, intolérante, ennemie de l’Occident, a participé à la création d’Al-Qaïda. Du coup, ce gouvernement lance une série d’initiatives pour lutter contre ces idées, y compris une campagne de promotion qui prône un islam « modéré ».

 

Le 11-Septembre et ses interprétations

Comme Al Rabah, de nombreux Saoudiens se souviennent très bien de l’attaque d’Al-Qaïda le 11 septembre 2001, ou bien ils en ont entendu parler. Certains étaient consternés, d’autres se sont réjouis. Beaucoup nient que les Saoudiens aient pu planifier et mettre en œuvre les attentats terroristes réussis contre les États-Unis. Et pourtant, des thèses circulent qui voudraient faire croire que l’Arabie Saoudite est aux mains de forces obscures ennemies des gouvernements des États-Unis ou d’Israël.

Le ministre de l’Intérieur, le prince Nayef Abdel Aziz, qui a nié pendant des mois après les attentats du 11-Septembre que les Saoudiens aient fait partie des kamikazes, a suggéré dans une interview en novembre 2002 que les Juifs pouvaient se dissimuler derrière ces attaques, en expliquant que les réseaux terroristes comme Al-Qaïda entretenaient des liens avec « les agences de renseignement étrangères qui vont à l’encontre des intérêts arabes et musulmans, avec pour pilote le Mossad israélien. »

 

Al-Qaïda aux sources de l’intransigeance wahhabite ?

Durant la soirée du 12 mai 2003, des explosions massives déchirent trois complexes résidentiels dans la capitale saoudienne, Riyad. Douze kamikazes réussissent à tuer plus de trente personnes, dont neuf Américains. Ce fut le point de départ d’une violente campagne orchestrée par Al-Qaïda pour laquelle la Maison des Saoud était aussi un ennemi de l’islam. Les chefs religieux arabes et certains représentants du gouvernement avaient, à ses yeux, rapidement condamné les attaques du 11-Septembre. Mais il a fallu l’insurrection d’Al-Qaïda pour leur faire comprendre que leur dogme, version littérale de l’islam, qui considère les musulmans non wahhabites et les non musulmans comme des êtres inférieurs, a été en partie responsable de la doctrine du mouvement terroriste d’Al-Qaïda. Le mépris wahhabite nourrit un état d’esprit d’intolérance. Il était commun, par exemple, d’entendre des imams maudire les non musulmans dans les sermons lors des prières du vendredi.

 

Vers une révolution saoudienne ?

Mais aujourd’hui, le gouvernement saoudien sait qu’il est menacé de l’intérieur s’il conserve sa rigidité. Il est conscient des réformes politiques, sociales et économiques nécessaires pour assurer le succès du royaume dans un marché concurrentiel, qui est mondialisé depuis le XXIe siècle. Mais sa marge de manœuvre est faible car la famille royale craint de perdre du pouvoir si elle décide d’entreprendre des réformes. Le roi a récemment renforcé ses liens avec le clergé pour l’aider à affronter la tempête de révoltes dirigées par un groupe de jeunes qui a déjà renversé deux dirigeants arabes et qui en a menacé d’autres. « Les gens ne reviendront pas en arrière, pense Al Rabah. Si la population se sent forcée, il y aura une révolution. » Je lui ai dit que je n’étais pas sûr que les Saoudiens soient assez courageux pour s’y risquer. « C’est ce que nous disions au sujet des Égyptiens ! » m’a-t-il répondu. Sur fond de lutte de pouvoir et de crainte de révoltes civiles, l’Arabie Saoudite semble éviter un éventuel sujet de dissension. L’évocation du 11 septembre 2001 serait-elle devenue un encombrant et dangereux souvenir ?

 

Global Post/Adaptation Marguerite Laferrère-JOL Press

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