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Erdogan tourne-t-il le dos à l’Occident ?

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Istanbul, Turquie. Si la capacité à imposer un ultimatum est signe de puissance sur la scène diplomatique, alors, dans les deux dernières semaines, on peut considérer que la Turquie entend jouer dans la cour des grands.


Ultimatum par-ci, ultimatum par-là, Ankara n’arrête pas. Selon sa doctrine officielle, le gouvernement turc place sur le même plan, sans distinction, tous les pays de la région et, pour cette démonstration de force, il a tenu à se tenir à ce principe : ses trois ultimatums visaient un État arabe, l’État hébreu et l’Union européenne.


Pour le peuple syrien


Premier servi, le président syrien Bachar Al Assad. Lui pose visiblement un cas de conscience au gouvernement d’Ankara depuis le début du mouvement de protestation, il y a six mois. D’abord, la Turquie a demandé à Assad d’écouter le peuple syrien et d’engager des réformes. Pas d’écho. Au terme de cinq mois, le ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a exigé que la Syrie mette fin à la répression violente « immédiatement et sans condition », au risque d’encourir des mesures de rétorsion.


« Ceux qui oppriment leur peuple ne pourront pas rester au pouvoir », a menacé le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan lors de sa récente visite en Égypte. À cette occasion, les gouvernements turc et égyptien ont annoncé une ère nouvelle de coopération entre les deux pays pour renforcer leur lien historique.


« La politique étrangère de la Turquie est en train de tirer partie des liens religieux. Elle ne s’adresse pas aux gouvernements du Moyen-Orient mais aux peuples, et insiste sur la justice et le rassemblement à travers la religion, tout en mettant l’accent sur des valeurs occidentales », estime Ali Karaosmanoglu, directeur du Centre de recherche de la paix et de la politique étrangère.


Le face-à-face avec Israël


Le Premier ministre a été reçu en Égypte en héros. La foule brandissait des drapeaux turcs et chantait les louanges du leader, populaire en grande partie pour ses prises de position de plus en plus radicales contre Israël. Et pour cause, entre la Turquie et Israël, autrefois proches alliés, le torchon brûle.


Les relations entre les deux pays ont d’abord souffert de l’offensive israélienne à Gaza en 2009. Puis, il y eut l’échec des négociations entre Israël et la Syrie, lors desquelles la Turquie a servi d’intermédiaire. Mais ces relations se sont surtout détériorées depuis l’assaut des forces israéliennes sur une flotille turque en route vers Gaza, dont a résulté la mort de neuf citoyens turcs.


Après l’attaque, la Turquie a adressé son deuxième ultimatum, visant Israël cette fois-ci : que le gouvernement israélien présente ses excuses après l’assaut, paie une compensation aux victimes et retire ses troupes de Gaza – sinon, la Turquie expulserait l’ambassadeur israélien et plaiderait contre Israël devant une cour internationale de justice. Israël a rejeté ces conditions, et la Turquie a tenu ses promesses.


La question chypriote


Le dernier ultimatum que la Turquie a donné concerne l’Union européenne. Il y a quelques années, une telle posture aurait été impensable, mais l’intransigeance et le double jeu de certains dirigeants européens au sujet de son entrée dans l’Union européenne ont pu épuiser la patience turque.


« En ce qui concerne l’Union européenne, demeurait toujours une lumière au bout du tunnel ; mais maintenant, cette lumière a disparu », estime Karaosmanoglu. Si la République de Chypre prend la présidence de l’Union européenne en juillet 2012, « nous suspendrons nos relations avec l’UE », prévient le vice-Premier ministre, Besir Atalay.


La question de Chypre fut un obstacle majeur à l’entrée de la Turquie dans l’Union. La République de Chypre – le sud de l’île – est le seul gouvernement internationalement reconnu depuis sa division en 1974, au moment de l’invasion du nord par des forces turques en réponse à un coup orchestré par la Grèce. Depuis, Chypre s’est opposée à certaines conditions de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, et a contribué à l’échec du processus.


En plus, Chypre s’est engagée dans un partenariat avec Israël pour explorer les ressources de pétrole et de gaz dans l’est de la Méditerranée. Les deux pays ont signé un accord sur une zone économique exclusive et des droits d’explorer les ressources naturelles, accord que la Turquie a voulu retarder en attendant l’unification de l’île.


La Turquie considère que ces explorations sont une « provocation », et a menacé d’envoyer ses propres vaisseaux dans l’est de la Méditerranée en quête de gisements.


Toujours fidèle à l’Otan


Les ultimatums turcs envers Israël et l’Union européenne soulèvent la question de savoir si le pays ne commence pas à tourner le dos à son statut traditionnel de partenaire de l’ouest. Pour apaiser ces craintes, alors que la Turquie s’oppose ouvertement à la politique d’Israël en Palestine, elle vient d’annoncer qu’elle allait accueillir un projet de construction d’un bouclier antimissile de l’Otan.


« C’est un signal fort, la Turquie reste un allié de l’Occident », estime Irem Koker, éditeur de la rubrique internationale de Hurriyet, le quotidien turc. « C’est la démarche la plus concrète que la Turquie ait entreprise dans les cinq dernières années pour le prouver. »


Ankara jette le chaud et le froid, sous l’œil attentif de l’Europe et des États-Unis. Un revirement d’alliance aurait des conséquences considérables sur l’équilibre de toute la région. Exalté par le « printemps arabe » et l’opportunité que l’arrivée de nouveaux pouvoirs dans le monde arabe peut constituer, la Turquie d’Erdogan s’imagine peut-être un nouveau destin. Reste à savoir si elle en a réellement les moyens.


 


GlobalPost/Adaptation JF – JOL Press

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