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La Grèce n’a pas le monopole de la tragédie…

La Grèce récidive. À son palmarès, le premier défaut de paiement d’une dette souveraine, que l’histoire ait retenu, en 377 avant J.-C. Et, depuis 2 388 ans, de tels incidents se sont reproduits à maintes reprises.

 

Le défaut de paiement, un défaut courant

Ils ne sont pas les seuls à fauter. Les prétendus bastions de la fiabilité financière, tels l’Allemagne, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis, ont connu à travers leurs histoires des moments de tensions liés à leurs dettes souveraines. En réalité, si on en croit les livres d’histoire pour pointer les mauvais élèves, tous les pays du monde à l’exception de quelques États asiatiques ou nordiques – et la Belgique – ont, au moins une fois, échoué à honorer leurs obligations vis-à-vis de créanciers.

 

Les leçons de l’histoire

Au cours des derniers siècles, de telles défaillances ont été si fréquentes que l’incapacité des gouvernements à tirer les leçons du passé pourrait paraître plus comique que tragique, si elle n’avait pas coûté des millions de vies humaines.

Compte tenu de l’expérience accumulée, en avons-nous seulement tiré la moindre leçon ? Et, si la réponse est positive, ne serait-ce pas le moment de mettre les acquis en application, alors même que les difficultés actuelles de la Grèce menacent d’entraîner l’ensemble de l’économie mondiale dans un désastre sans précédent ?

 

Des raisons d’être pessimiste

Au vu de l’histoire, la plus forte probabilité, selon Costa Vayenas, est que la situation s’aggrave et que les conséquences en soient douloureuses. Analyste spécialisé dans les marchés émergents pour le compte de la banque d’investissement UBS, il a notamment étudié un cas à l’occasion duquel une douzaine de cités grecques s’étaient trouvé incapables de rembourser des dettes contractées auprès d’un temple. « La première leçon à tirer du passé est que, lorsque vous êtes en défaut sur une dette souveraine, l’incident s’accompagne généralement d’autres défauts », explique-t-il. « L’histoire nous montre que le phénomène est rarement limité à un seul pays, il tend à s’élargir, à devenir systémique. De nombreux pays sont concernés – lorsque les choses vont mal, elles vont mal pour beaucoup de gens. »

C’est ce que l’on constate au cours des 200 dernières années : de telles crises se sont produites au moment des guerres napoléoniennes, au cours des années 1840 pendant lesquelles près de la moitié du monde était en situation de défaut, durant la « grande dépression » des années 1830 et, enfin, lors de la crise financière asiatique à la fin des années 1990.

 

La forte probabilité d’un scénario catastrophe

Les observations semblent confirmer les scénarios catastrophes prédits par certains en cas de défaut grec. S’ils se produisent, le risque que d’autres nations fassent défaut sera réel, en raison de leur exposition à la dette grecque ou à cause des tentatives coûteuses et vaines menées par la zone euro pour étouffer la crise.

En première ligne, les partenaires les plus faibles au sein de l’Union européenne, notamment les économies déjà renflouées comme le Portugal ou l’Irlande. L’Espagne pourrait aussi souffrir, mais il n’y aurait rien d’inhabituel, pour le pays recordman du monde des défauts au cours des 400 dernières années (13 en tout). Mais l’Espagne et la Grèce ne sont pas les seuls pays d’Europe à accumuler les défauts.

 

Personne n’est à l’abri

L’Angleterre a connu trois défauts avant 1600, en commençant par l’incapacité d’Édouard III à remplir ses engagements vis-à-vis de ses prêteurs italiens en 1340. En France, avec huit crises entre 1558 et 1788, prêter de l’argent était une activité dangereuse, et les défauts étaient parfois appelés « saignée ». Ils impliquaient souvent… l’exécution des créanciers [l’affaire des Templiers, avec l’accaparement – ou sa tentative – de leur fortune par Philippe le Bel, en est un exemple, NDLR]. Dans la période moderne, les pays émergents ont dominé la carte des défauts. Le Nigéria a connu pareille situation à cinq reprises depuis son indépendance en 1960, en dépit d’importantes ressources financières. L’Indonésie a fait défaut quatre fois au XXe siècle, et la Chine, en 1921 et 1939, avec la période communiste.

Les grandes économies ne sont pas à l’abri. La Russie post-communiste, vacillant sous le poids des déficits fiscaux chroniques et le coût énorme de la guerre en Tchétchénie, a finalement laissé tomber les investisseurs en 1998 après le double choc de la crise financière asiatique et l’effondrement des ressources provenant des matières premières. L’Argentine a souffert en 2001 après avoir connu hyperinflation et récession.

 

L’euro, une devise étrangère dans la zone euro

En pointant les leçons à tirer de cette longue liste de désastres, Vayenas établit une distinction entre les dettes contractées dans la monnaie du pays ou dans des devises étrangères.

Les dettes dans la monnaie locale constituent une option préférable puisqu’il suffit alors – solution de court terme – à l’État de faire marcher la planche à billets pour honorer ses dettes. C’est différent s’ils ont emprunté de l’or ou des liquidités d’un autre pays, ce que de nombreux pays émergents sont contraints de faire dans la mesure où les investisseurs n’ont pas suffisamment confiance dans leur propre devise. « D’une certaine manière, c’est ce que vous observez en Europe », explique-t-il. « Les pays de la zone euro ont emprunté dans une monnaie qu’ils ne peuvent pas imprimer. »

 

La prévoyance des pays émergents

Pour lui, de nombreux pays émergents, sous la menace de défaut, ont tiré des leçons de ce scénario, profitant des périodes de prospérité pour accumuler des devises étrangères. En même temps, de nombreux pays ont réalisé l’importance de pouvoir s’appuyer sur des institutions bancaires solides, soutenues par du capital plutôt que par des actifs douteux, tels les tristement célèbres subprimes, responsables de la crise financière mondiale de 2007. « En conséquence, au moment de la crise de 2007, certaines des banques les plus solides au monde étaient des banques de pays émergents qui avaient déjà traversé des périodes difficiles », ajoute Vayenas.

 

Un défaut forcément récurrent

D’autres pays peuvent-ils aussi apprendre, et faire en sorte que les séries de défauts appartiennent désormais au passé ? C’est peu probable, à en croire les économistes Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff. Une telle affirmation serait prématurée, démontrent-ils dans une note pour le National Bureau of Economic Research. « La technologie a évolué, la taille des êtres humains s’est accrue, les modes ont évolué. Pour autant, la capacité des gouvernements et des investisseurs à se tromper mutuellement, en suscitant des périodes d’euphorie qui se terminent généralement en larmes, c’est une donnée », expliquent-ils.

Assurément, c’est une tragédie – et la Grèce n’a pas le monopole de la tragédie.

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