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Les campagnes russes et leurs villages fantômes

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Pskov, Russie. Quelques kilomètres après la sortie du minuscule hameau de Molodoshkovo, la route sans goudron aboutit à un chemin boueux. Même si le hameau compte seulement quatre habitants, dont trois qui ont plus de 75 ans, il y a 11 maisons à Molodoshkovo – sans compter celles qui sont en ruine.

 

Certaines régions plus touchées que d’autres

Du Portugal au Japon, la stagnation démographique touche presque tous les pays développés, mais la dépopulation rurale est un phénomène particulièrement grave en Russie. Parmi les régions les plus touchées figure celle de Pskov, dans l’ouest du pays.

Les régions russes ne sont pas toutes affectées au même point par le processus de dépeuplement : tandis qu’au cours des huit dernières années la population du pays entier n’a chuté que de 1,6 %, dans le même laps de temps Pskov a perdu presque un million de ses habitants, c’est-à-dire une saignée de 11,5 % de sa population.

Dans un classement des 83 provinces russes en fonction de leur perte démographique, Pskov arrive troisième derrière Magadan, autrefois le centre des camps de travail forcé de l’Union Soviétique, dans l’extrême nord-est du pays, et la république d’Ingushetia, au nord-est du Caucase, une région déchirée par plusieurs décennies de violence.

Mais en contraste, Pskov se trouve à l’ouest du pays, sur la frontière avec l’Union européenne. Et, contrairement à Magadan et à la République d’Ingushetia, Pskov est une ancienne terre russe. La capitale régionale, qui porte le même nom, remonte à 903, elle abrite des fresques byzantines d’une rare splendeur. C’est également à Pskov que le dernier tsar, Nicholas II, a signé son abdication en 1917. Les slogans affichés sur tous les bus de la ville par le département régional du tourisme en disent long sur la position géographique de la ville : « Région de Pskov : la Russie commence ici ! »

 

Accumulation de causes

Revenons à notre hameau déserté, Molodoshkovo : il est relié au district, à 21 km de là, par un bus qui passe… une fois par mois !

Le village a-t-il toujours été presque entièrement déserté ? À en croire une photographie prise au début du XXe siècle, lorsque Nicholas II était tsar et que Lénine griffonnait des tracts sociaux-démocrates dans une mansarde londonienne, le village était autrefois bien peuplé : la photographie, prise à Molodoshkovo un jour de fête, nous montre plus de seize personnes, de tous les âges. L’on discerne une maison de deux étages au deuxième plan.

Mais aujourd’hui, les sept maisons abandonnées du village ont été vidées de tout objet de valeur. Des tableaux déchirés, des bocaux vides et d’anciens outils agricoles gisent à terre dans le plus complet abandon, et des draps sales se gonflent dans le vent.

La deuxième guerre mondiale a porté le premier coup dur à la population de cette partie de la Russie. Du 1,5 million de personnes qui vivaient dans la région avant la guerre, il ne restait que 500 000 habitants après la retraite de l’armée allemande en 1944. Pskov fut la dernière grande ville soviétique à être libérée des envahisseurs nazis.

Mais le dépeuplement de la Russie a commencé lorsque le système communiste s’est désintégré : en 1992, pour la première fois depuis la deuxième guerre mondiale, l’on a commencé à dénombrer plus de décès que de naissances. Depuis, de nombreux facteurs ont contribué au déclin précipité de la population rurale…

• Les maladies chroniques, la pauvreté (23 millions de Russes vivent avec moins de 231 dollars par mois), la violence, l’abus d’alcool et de tabac ont fait augmenter le taux de mortalité quand la natalité reste au plus bas. L’espérance de vie est désormais de 61 ans pour les hommes, contre 74,2 ans pour les femmes.

• S’ajoute à ces circonstances déjà peu favorables le désastre agricole : dans les régions rurales, l’implosion de l’économie planifiée de l’Union Soviétique au début des années 1990 a provoqué l’effondrement du système agricole qui assurait un revenu au plus grand nombre. Cet effondrement, avec la fermeture des écoles et services publics, a en partie été cause d’une migration massive vers les grandes villes.

 

Une herbe plus verte dans les grandes villes ?

Selon une source proche du gouverneur de Pskov, qui a accepté de parler sous couvert d’anonymat, une telle situation était prévisible en Russie, car là où l’Union Soviétique pouvait forcer les gens à travailler à tel endroit plutôt qu’un autre, la Russie moderne, elle, ne le peut pas.

« Bien sûr que c’est mauvais quand il y a suffisamment de terres mais personne pour la travailler, constate notre source. Mais l’agriculture est en train de s’effondrer – en tout cas, personne ne veut plus y travailler. »

« Tout le monde veut une vie moderne, c’est-à-dire s’asseoir devant des ordinateurs, aller au supermarché, recevoir un salaire et s’amuser avec. On ne s’intéresse pas au travail manuel. » Pour lui, le bon exemple est Saint-Pétersbourg, plus au nord : la ville connaît une croissance démographique depuis quelques années. « Nous ne disparaissons pas, dans cette région, parce que tout va mal ici, mais parce que l’herbe est toujours plus verte chez son voisin. »

 

Le désert autour des fermes collectives mortes

Les anciennes gloires de l’agriculture sont encore visibles à Vyazi, un village près de Molodoshkovo, où, à côté de vétustes tours de céréales, s’élèvent encore les panneaux d’affichage en béton des anciennes fermes collectives. Au-dessus des panneaux, en souvenir d’une époque révolue, on peut lire : « Ce que nous avons accompli ».

Nina Antonovna vit à Baranovo, un petit village à quelques kilomètres de Molodoshkovo. Pour elle, Baranovo, avec sa population actuelle de trois habitants et d’une douzaine de chèvres, était bien plus emblématique du déclin de la population rurale que Molodoshkovo.

Il y a cinquante ans, Baranovo comptait 12 maisons et plusieurs familles avec des enfants. Antonovna, une vieille dame de 80 ans, se souvient de l’occupation nazie durant la deuxième guerre mondiale : elle raconte de bon cœur le soldat allemand qui lui a donné des bonbons, et les visites nocturnes de partisans russes.

Son mari, Nikolaï Antonov, nous dit que son père a vécu dans le hameau avoisinant de Timnovo, auquel l’on ne peut accéder aujourd’hui qu’à pied, à moins d’avoir un 4 x 4 ou un tracteur. Mais durant son enfance, Antonov se souvient que Timnovo regroupait une population d’au moins 50 personnes.

Timnovo est aujourd’hui vide : lorsque la dernière habitante est décédée, le jour de l’An 2011, une équipe de villageois a peiné pour acheminer son corps, en tracteur, jusqu’au cimetière local.

 

Villages fantômes et fantôme de natalité

Il y a bien peu de régions en Russie où ne se rencontrent de tels villages fantômes : des villages sans le moindre habitant. On en recense environ 6 000 à travers le pays actuellement.

Avec tous ces terrains et maisons vacants, il doit être facile de s’y installer. Erreur. Les Antonov se sont plaint qu’avec tous les décès et les départs permanents vers les grandes villes, les droits de propriété sont souvent difficilement identifiables, et les complications juridiques qui s’ensuivent dissuadent les personnes qui souhaitent venir s’installer dans ces villages.

La carence démographique de la Russie est désormais cataloguée « état de crise ». Dans un rapport publié en avril 2011, l’Institut de la population et du développement de Berlin a prédit que la population de la Russie allait chuter de 24 millions d’habitants d’ici à 2050 : au 14e rang mondial, juste devant le Vietnam. Superpuissance ?

 

Des présidents « génocides » de leur peuple

Le souci lié au dépeuplement n’est pas nouveau en Russie : durant les années 1990 déjà, Boris Eltsine a été accusé d’avoir présidé au « génocide » du peuple russe. Et dans la dernière décennie, le Premier ministre Vladimir Poutine et le président Dmitri Medvedev se sont tous deux exprimés sur le sujet.

Dans son discours annuel au Parlement russe, le 20 avril 2011, Poutine a annoncé que 1,5 millier de milliards de roubles (52,5 milliards $) ont été alloués à des « projets démographiques ».

Nikolaï Petrov, un savant du Centre Carnegie de Moscou, explique volontiers que le gouvernement offrait des encouragements financiers aux mères pour promouvoir la croissance. Mais pour Petrov, cette nouvelle mesure ne change rien à la carence de base. Selon lui, l’entourage de Poutine a mal interprété les rumeurs d’un nouveau « baby-boom » comme le fruit de leur politique démographique. Rien ne prouve que ces aides financières seront vraiment en mesure de freiner le processus de dépeuplement.

 

Transformer une faiblesse en atout ?

Mais lorsque la campagne se vide, il n’en résulte pas seulement des inconvénients.

Aujourd’hui, pour stimuler le développement, l’administration de Pskov cherche à faire de la région un aimant à touristes.

Pour ce faire, Ivan Tsetserky, le maire de la ville, a essayé de transformer ce qui manque au secteur en atout : « Nous n’avons pas d’industrie lourde – ni d’industrie chimique, a-t-il dit. Mais la région est riche en paysages ruraux qui conservent les reliefs de la Russie impériale. » CQFD.

Autrefois, l’élite tsariste de Saint-Pétersbourg venait à Pskov pour se reposer. Elle a construit dans sa villégiature des centaines de maisons extravagantes. D’ailleurs, le poète le plus connu de Russie, Alexandre Pouchkine, y possédait une grande propriété, de laquelle il fut banni pour des vers considérés comme subversifs.

Dans de nombreux villages à travers la région, les maisons modernes construites en briques grises bon marché ou en bois font triste figure à côté des églises et ruines de propriétés impériales.

Et puis, l’air est pur : « Pskov occupe la quatrième place des meilleures conditions environnementales au monde », s’est vanté Tsetsersky.

Sans doute son enthousiasme n’est-il pas sans fondement. Ironie du sort : il se peut que le vide même fasse revenir des gens à Pskov – au moins pour un week-end.

 

 

Global Post/Adaptation Jack Fereday – JOL Press

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