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Massoud, l’éternel héros afghan?

Son portrait est partout, dans les boutiques, dans les maisons, dans les voitures. Partout dans sa vallée natale du Panshir, et tout autant, partout ou presque, jusqu’au cœur de Kaboul. Jamais, en 5 000 ans d’histoire, autant de littérature n’avait été écrite sur un chef afghan.

La première victime du 11-Septembre

Le 9 septembre, Massoud se trouve dans la province de Takhar, au nord-est du pays. Deux journalistes tunisiens, munis de passeports belges, ont été autorisés à l’approcher. Sous leur couverture, les deux hommes sont des terroristes envoyés par Al-Qaïda. Kamikazes, ils font exploser leur bombe. Le chef de l’Alliance du nord, âgé de seulement 48 ans, meurt sur le coup. Funeste présage, sa mort précède de deux jours celle des 2 973 victimes du 11-Septembre. D’une certaine manière, il en est même la première…

Une coïncidence troublante

L’enquête sur les attentats a mis en évidence une coïncidence troublante. Une lettre de recommandation d’un des deux faux « journalistes », adressée à Massoud en personne, aurait été tapée en mai 2001 sur un ordinateur utilisé par deux acteurs principaux des attentats contre les États-Unis, Ayman al-Zawahiri et Mohammed Atef. Une coïncidence ? On peut en douter s’il est vrai, comme l’affirment certains de ses proches, que Massoud avait essayé d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le danger représenté par Oussama Ben Laden. Mieux encore, les mêmes affirment qu’il préparait une confrontation d’envergure contre les Talibans et Al-Qaïda avec l’appui des États-Unis.<!–jolstore–>

L’arbitrage entre l’intransigeance…

Après sa mort, en représailles des attentats de New York et Washington, la coalition occidentale est intervenue en Afghanistan. En dix ans, au prix du sang, celui de nombreux civils mais aussi de militaires – dont déjà 75 Français –, le pays, bien que doté d’institutions et de nouvelles infrastructures, ne s’est que partiellement reconstruit. Et jamais les Talibans, désormais prétendument plus modérés, n’ont été aussi proches de la table du gouvernement. Même si leur retrait est programmé, les forces de l’Otan restent présentes sur place en masse. Comment Massoud aurait-il réagi à cette intervention étrangère ?

…et le compromis

« Massoud n’aurait jamais accepté la présence de l’Otan ni des États-Unis », affirme Baba Hakimullah, un de ses supérieurs en 1979. Certes, sa position était claire, jusqu’à l’intransigeance même. Fût-il aux pires heures de l’occupation soviétique, il n’en a pas dévié. Sa théorie : les pays étrangers devaient aider la résistance afghane mais ne pas intervenir, aucun soldat étranger ne devait fouler le sol national. S’il est vrai qu’en 2001, il collaborait avec Washington – un prêté pour un rendu tant les États-Unis et leurs alliés occidentaux, en pleine Guerre froide, l’avaient soutenu face aux forces de Moscou –, il est difficile de croire qu’il aurait toléré, et qualifié autrement que d’Occupation, une présence militaire étrangère au sol.

La lutte contre le terrorisme

Face à la détermination des Occidentaux, non pas tant à mettre fin aux exactions talibanes – dont ils s’étaient bien longtemps accommodés –, mais à lutter contre le terrorisme, il n’est pas sûr que sa ligne ait prévalu. Serait-il donc entré en résistance comme face à l’Armée rouge ? Difficile tout de même de le penser, les Occidentaux n’ont jamais prétendu conquérir le pays. À la place, se serait sans doute imposé un petit arrangement entre amis, une solution de compromis, lui permettant, au moins théoriquement, de sauver la face sans contrarier pour autant les objectifs de ceux qu’il aurait sans doute continué à considérer comme ses alliés. L’Otan aurait échappé aux affres de l’embourbement et il aurait évité de passer pour un fantoche. Tout cela n »est qu’hypothèse.

Le passage de la résistance à l’exercice du pouvoir

« Le projet de Massoud, c’était un Afghanistan libre, uni et souverain », rappelle Yossef Janesser, un de ses cameramen pendant 17 ans – le chef, avant-gardiste, était soucieux de son image. Un Afghanistan uni… malgré les clivages ethniques, linguistiques et religieux. Mais pour cela, il fallait accéder au pouvoir et le conserver. Y serait-il seulement parvenu ?

Passer de chef de la résistance à chef de gouvernement ou d’État est une transition hasardeuse, et il en avait déjà l’expérience. En 1992, rentré victorieux dans Kaboul, il avait été nommé au prestigieux et stratégique poste de ministre de la Défense dans le cabinet de Burhanuddin Rabbani. Très vite, des dissidences internes étaient apparues et, trois ans plus tard, il était renvoyé pour permettre à Gulbuddin Hekmatyar, un fondamentaliste appartenant à l’ethnie pachtoune, majoritaire dans le pays, d’accéder au pouvoir.

Le tadjik qui aimait les livres

Ses relations avec les factions étaient très houleuses. Son profil social et ethnique constituait un handicap quasi- insurmontable. Fils de notable, officier de la monarchie afghane, il était tadjik comme seulement 20 % de la populationSon approche politique, nourrie de la lecture des classiques occidentaux, était inadaptée aux us et coutumes locaux. Farouchement indépendant, il était opposé à tous les extrémismes, qu’ils soient religieux ou politiques. Certes, avec l’établissement de la démocratie, la parole appartient au peuple, mais rien ne dit que sa popularité passée et actuelle se serait traduite dans les urnes.

L’improbable succession des chefs de guerre

Aujourd’hui, vu de l’étranger, l’Afghanistan dispose d’un pouvoir central incarné par le président Karzaï, élu par deux fois. Mais dans l’essentiel du pays, la réalité du pouvoir appartient aux chefs de guerre. Aurait-il pu n’être que l’un d’entre eux, recroquevillé dans le nord ? Ou bien, pure supputation, se serait-il imposé comme un ultime recours dont l’heure serait venue un jour, plus tard, une fois passé le temps douloureux de la transition? Mais, aussi messianique et visionnaire qu’il fût, aurait-il peut-être, tout simplement, appris à ses dépens que les peuples se montrent souvent ingrats vis-à-vis de ceux auxquels ils doivent leur liberté. Ingrats, les Afghans ne le sont pas. Ils remettent à la Providence leur homme… providentiel. Le mythe a rejoint l’éternel.

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