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Entretien avec Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan

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Hasard du calendrier, cet entretien avec le Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan à Paris, s’est déroulé une semaine, à peine, après le retrait du territoire afghan de 200 premiers soldats français, dans le cadre d’un processus de rétrocession qui doit aboutir en 2014, et une semaine avant la conférence d’Istanbul sur l’Afghanistan, prévue le 2 novembre et à laquelle participeront tous les partenaires tant régionaux qu’internationaux, parties prenantes de l’avenir du pays.

L’entretien se déroule dans les salons de l’Ambassade d’Afghanistan à Paris, situés dans un magnifique hôtel particulier du XVIe arrondissement, qui a conservé le souvenir de ses voluptés des siècles passés avec ses stucs et ses fresques hors du temps. Une subtile anachronie qui entoure l’échange d’une civilité presque surranée. Au-delà de la mesure dont ne saurait se défaire le diplomate, c’est à une leçon argumentée d’optimisme que nous a conviés son Excellence : l’espoir semble renaître en Afghanistan…

 

2001-2011 : L’Afghanistan, dix ans après l’intervention de l’Otan

 JOL Press : Quelles leçons tirez-vous de dix ans de présence militaire étrangère dans votre pays ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : La présence de la force étrangère, pour nous, était très importante. Il suffit de comparer l’Afghanistan avant 2001 et après 2001. On voit une grande différence. Avant 2001, c’est une période sombre de notre histoire. Beaucoup d’Afghans étaient privés de tous les droits politiques et civiques, particulièrement les femmes qui étaient vraiment des citoyennes de seconde zone. Par tête, le Produit national brut avait chuté incroyablement à moins de 100 USD par habitant. Aujourd’hui, notre PNB par habitant est à plus de 600 USD, soit une multiplication par 7 environ. Il y a plus de 7 millions d’enfants afghans qui vont à l’école tous les jours. À l’université de Kaboul, on avait moins de 11 000 étudiants qui suivaient les cours, ils sont maintenant plus de 70 000.
La même chose dans le domaine de la communication, aujourd’hui en Afghanistan, il y a 36 chaînes de télévision, il y a des centaines de radios, il y a aussi des médias sur Internet. C’est la garantie de la libre expression. Les différences sont flagrantes grâce à la coopération de nos partenaires internationaux, dont la France bien évidemment. Cette présence étrangère a fait beaucoup.

JOL Press : Selon vous, le retrait des forces étrangères intervient-il au bon moment ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Dès le début, on avait l’idée que l’armée nationale afghane, les forces de sécurité afghanes soient formées pour qu’elles soient en mesure de prendre en charge la responsabilité de la sécurité du pays. Progressivement, notre armée s’est mise en place. Aujourd’hui, on a 170 000 soldats et l’effectif total, en incluant les forces de sécurité et la police, est de plus de 300 000. L’objectif est de 400 000.
Nos forces armées sont capables de contrôler les régions, certaines villes. Dès lors, dès le mois de juillet, quand a commencé la rétrocession, le transfert de responsabilité des forces internationales aux forces afghanes, sept provinces ou villes ont été transférées. Tout se passe très bien et la deuxième tranche va commencer bientôt.

JOL Press : Qu’attendez-vous des pays de la Coalition après leur retrait d’Afghanistan ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : De nos partenaires de la Coalition, après le retrait complet de 2014, nous attendons un appui et un engagement. Nous ne souhaitons pas répéter ce qui s’est produit, malheureusement, après le départ des troupes soviétiques, lorsque le monde s’est désintéressé de l’Afghanistan et l’a laissée seul.
Nous souhaiterions que la formation de notre armée se poursuive et nous comptons également sur un appui économique, que nos partenaires contribuent à notre développement et participent à l’exploitation des ressources naturelles du pays. Il y aurait donc des bénéfices mutuels à tirer de nos partenariats.

JOL Press : On évoque souvent les victimes militaires du conflit en cours. On pense aux 75 soldats français morts en opération sur le sol afghan. On mentionne moins souvent les victimes civiles. Combien de civils ont-ils perdu la vie pendant ces dix années de troubles ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : On parle de 30 000, en incluant les victimes d’attentats terroristes – des terroristes qui, pour la plupart, viennent d’au-delà de nos frontières – et les victimes de ce qu’on appelle les dommages collatéraux. D’après les Nations unies, ces chiffres sont en passe de diminuer.

L’équilibre politique en Afghanistan

JOL Press : L’Afghanistan est-il en mesure d’assurer sa propre sécurité ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Les talibans ont changé leur tactique. Ils ciblent depuis quelque temps toutes les personnalités importantes de l’Afghanistan. Cela ne fait pas longtemps que le Pr Burhanuddin Rabbani, l’ancien président de l’Afghanistan, a été victime d’un attentat. Il était aussi président du Haut conseil pour la paix. Cette stratégie est le signe de leur faiblesse, ils n’ont plus maintenant les bases qu’ils avaient en Afghanistan. C’est inquiétant, notre gouvernement prend toutes les mesures possibles.
Mais nous sommes en contact avec nos voisins, surtout un voisin d’où ces terroristes s’infiltrent en Afghanistan [ndlr : le Pakistan]. On attend beaucoup de la Conférence d’Istanbul sur l’Afghanistan le 2 novembre. On va réunir tous nos voisins avec d’autres partenaires pour entamer un processus de discussion visant à garantir une certaine sécurité régionale.
Nous sommes convaincus qu’un Afghanistan en paix, un Afghanistan stable, est nécessaire pour tous les pays de la région. On doit regarder vers l’avenir et penser échanges économiques et commerciaux. C’est une région formidable au potentiel de développement extraordinaire.

JOL Press : Quel rôle politique pour les talibans dans l’Afghanistan de demain ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Ces attentats ont démontré, comme le président Karzaï l’a dit, qu’ils sont dépendants de notre pouvoir. Par conséquent, le gouvernement afghan a décidé de discuter directement avec ces mouvements. Ils ne sont pas nombreux. Ils doivent accepter la constitution qui est la volonté du peuple afghan, déposer les armes et, ensuite, ils pourront sans problème participer à la vie politique. Ces conditions ont été posées par le peuple afghan. La constitution ne peut pas changer du seul fait de quelques milliers d’activistes. Ce n’est pas à eux de dicter les règles.

JOL Press : Existe-t-il un sentiment national afghan ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : C’est vrai que l’Afghanistan – c’est une ressource pour nous – a différentes ethnies au nord, au sud, à l’est, à l’ouest. Nous le considérons comme une richesse. Après ces années de guerre, ces années passées sous l’influence de nos voisins, tout le monde craignait que l’Afghanistan reste morcelé. Ce n’est pas le cas. Cela montre qu’il existe un esprit national, une entente. Bien sûr, entre les régions, il y a toujours de la concurrence, mais je suis très confiant. Nous voulons garder ce pays uni.
Du reste, lors des dernières élections, présidentielles et législatives, on a observé une très grande participation des électeurs de toutes les régions. Malgré quelques luttes intestines, nous sommes confiants, l’esprit national existe, oui.

La condition des femmes en Afghanistan

JOL Press : L’amélioration de la condition des femmes est-elle une priorité pour le gouvernement afghan?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Oui, nous sommes tout à fait conscients de l’importance de la question. Les femmes bénéficient de garanties dans notre constitution. Leur condition a fait de grands progrès en Afghanistan. Sur les 7 millions d’enfants scolarisés, 40 % sont des jeunes filles et, dans les villes, on approche même de la parité. Je dois admettre que les femmes sont très inquiètes, même à Kaboul. Mais la ligne rouge est là. La constitution qui garantit les droits de tous les citoyens, de toutes les citoyennes, ne sera pas changée. Et nous souhaitons poursuivre notre politique pour une meilleure éducation et une reconnaisssance des femmes en Afghanistan.

La reconstruction de l’Afghanistan

JOL Press : Quels sont les objectifs de développement économique de l’Afghanistan ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : En 2001, il n’y avait pas de téléphones portables, c’était inimaginable. Aujourd’hui, 15 000 Afghans ont accès au téléphone portable. Nous voulons renforcer nos institutions démocratiques, nous avons un président élu au suffrage universel. Nous avons un parlement élu par le peuple, et nous voulons renforcer ces institutions démocratiques.
L’Afghanistan est un pays montagneux et donc les moyens de communication sont particulièrement stratégiques. Nous voulons développer nos infrastructures encore plus. Toutes les grandes villes sont reliées par des routes asphaltées. Nous voulons que toutes les régions participent à l’effort de reconstruction. C’est aussi essentiel pour que le gouvernement central puisse asseoir son autorité. En matière de technologies, le projet de liaison par fibre optique des principales villes avance.
Et puis, l’Afghanistan, c’est un carrefour entre l’Asie centrale, l’Asie du sud-est et le Moyen-Orient. Nous voulons renforcer cette position et nous parlons à nouveau de cette voie historique, la route de la soie. L’objectif est d’exploiter les formidables ressources naturelles du pays. Nous avons besoin des chemins de fer, de barrages pour produire de l’électricité. L’Afghanistan a un formidable potentiel hydro-électrique. Il faut que les Afghans aient accès à l’électricité.
L’accès à la santé doit aussi être amélioré. Aujourd’hui, environ 80 % de la population a accès aux premiers soins, nous voulons faire mieux.

L’impact de la crise économique mondiale sur l’Afghanistan

JOL Press : Les effets de la crise économique mondiale peuvent-ils nuire au développement de l’Afghanistan ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : L’Afghanistan est un pays en voie de développement. Cette crise affecte le monde entier. Tous les pays en voie de développement, y compris mon pays, veulent participer au commerce international. Nous souhaitons avoir notre place dans les échanges internationaux. Nous aimerions avoir accès aux marchés européens, aux marchés des pays développés pour nos produits et, en même temps, que les produits occidentaux arrivent chez nous.
Il faut favoriser tous ces échanges et ce sera bien pour les pays en développement, comme pour les pays développés. Il faut appliquer les règles de l’OMC et faciliter le commerce, surtout pour les pays les moins avancés, les plus enclavés pour lesquels l’exportation des produits coûte 10 à 15 % plus cher à cause de cet enclavement. C’est essentiel.
Dans la constitution de 2004, il est d’ailleurs écrit que l’Afghanistan doit retrouver sa place dans le monde.

Les relations de l’Afghanistan avec les pays voisins

JOL Press : Quel est l’état de vos relations avec le Pakistan ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Depuis la fondation du Pakistan en 1947, il y a toujours eu un peu de tensions entre nos deux pays, mais les relations n’ont jamais été meilleures qu’actuellement. Nos gouvernements s’entendent bien, il y a beaucoup d’échanges de points de vue.
Cependant, certains éléments posent encore des problèmes. Par exemple, que le Pakistan n’accepte peut-être pas pleinement un gouvernement souverain de l’Afghanistan. Monsieur Karzaï a toujours dit que le Pakistan était un frère pour nous, et l’Inde un grand ami. On a beaucoup de ressemblances culturelles avec l’Inde, c’est un grand pays.
Ce que le Pakistan craint, c’est que notre relation avec l’Inde se fasse au détriment du Pakistan. Nous avons toujours dit que ce n’était pas le cas. Nous ne voulons pas que le territoire afghan soit utilisé contre nos voisins. Nous tenons sur ce point à leur donner toutes les garanties.

JOL Press : Vos relations avec l’Iran ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Nos relations avec l’Iran sont bonnes. Nous partageons aussi avec l’Iran un patrimoine culturel qui est extraordinaire. Les relations avec le gouvernement sont très bonnes. Parfois, se pose la question des réfugiés, des réfugiés afghans qui se trouvent sur le sol iranien, ce qui pose parfois des problèmes. Mais nous dialoguons, et tout cela se passe très bien.

JOL Press : Et quelle est votre position sur l’éventualité de voir l’Iran se doter de l’arme nucléaire ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Nous avons fait savoir que nous préférions vivre dans une zone de paix, sans la crainte nucléaire. Notre souhait est que nous pensions d’abord à la prospérité de nos peuples et au développement des échanges avec d’autres régions du monde.

JOL Press : Vos relations avec la Chine ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Nous entretenons avec la Chine de très bonnes relations, surtout économiques. Aujourd’hui, la Chine est un grand investisseur en Afghanistan… dans les mines de cuivre, dans la recherche pétrolière. Les échanges commerciaux sont importants. Tout va très avec la Chine.

Un message d’espoir pour l’Afghanistan

JOL Press : Êtes-vous optimiste pour l’avenir de votre pays ?

Dr Assad Omer, ambassadeur d’Afghanistan en France : Oui, vraiment, nous sommes très optimistes. La société afghane est une société jeune et la jeunesse progresse. Nous sommes très fiers d’avoir battu un record historique, jamais autant d’Afghans ne sont allés à l’école, pas seulement dans la capitale mais en province aussi. Le niveau de spécialisation augmente.
Autre raison d’espérer, notre potentiel économique. Si nous exploitons nos énormes ressources naturelles, fer, cuivre, or, pétrole, gaz naturel, lithium, notre potentiel de développement est énorme et devrait nous permettre de participer aux échanges commerciaux avec nos voisins, avec le monde, et surtout avec l’Europe, avec le Japon, avec les États-Unis.
Reste la question du terrorisme dont nous sommes les victimes, en première ligne. Nous sommes optimistes, car nous avons pu identifier tous les problèmes, leur source. Si nous pouvons nettoyer les régions frontalières de ces camps de terroristes, de ces camps d’entrainement, de ces sanctuaires, les populations pourront alors se consacrer au développement économique. Tout cela me rend très optimiste.

Propos recueillis par Olivia Phélip et Franck Guillory – Images de Florent Catteau

Éléments biographiques

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Après l’obtention de son baccalauréat au Lycée d’Esteqlal (Lycée franco-afghan) à Kaboul, le Dr Assad Omer entame des études de droit à l’université de Kaboul d’abord, puis en Suisse où il obtient le titre de docteur en droit.

En 1979, il intègre la fonction publique internationale à l’Organisation des Nations unies. Pendant plus de 20 ans, il poursuit une brillante carrière au PNUD puis au sein de la Cnuced, se spécialisant, entre autres, dans les questions de développement économique, de transfert de technologie et de propriété intellectuelle. En rapport avec ces sujets, il accomplit plusieurs missions auprès des gouvernements  en Afrique, Asie et Amérique Latine.
En 2004, le Dr Omer est nommé ambassadeur et représentant permanent de la République islamique d’Afghanistan auprès de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation mondiale du commerce à Genève.
En 2007, il est nommé Ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République islamique d’Afghanistan en France. En 2009, il devient directeur général du Département Europe au sein du ministère des Affaires étrangères à Kaboul. Comme chef de délégation, il représente son pays lors de grandes conférences internationales.

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