Site icon La Revue Internationale

Inflation et corruption : l’économie du Vietnam à un tournant

hanoi.jpghanoi.jpg

[image:1,l]

Une main-d’œuvre jeune et pas chère qui attire les investissements étrangers…

Les entreprises, qui, dans le passé, avaient opté pour le marché du travail chinois, ont commencé à diversifier leurs implantations en s’installant à Hanoï où Ho-Chi-Minh-Ville, attirées par une main-d’œuvre jeune et peu chère.
Des multinationales telles qu’Intel et Samsung ont été les premières à tenter ce pari en construisant des usines dans le pays, pour des valeurs respectives d’1 milliard et de 670 millions de dollars.

… mais l’inflation et le déficit budgétaire les éloignent

Aujourd’hui, l’économie vietnamienne est en surchauffe. Bien qu’elle ne soit pas sous la menace d’un effondrement total immédiat, l’économie du pays montre des signes de tensions similaires à celles qui ont annoncé la crise lorsqu’elle était sur le point de se déclencher dans d’autres pays du monde. Hanoï sera-t-elle la prochaine ville occupée par des partisans d’Occupy Wall Street ?
En septembre, l’inflation a atteint 22 % sur un an, compromettant l’attractivité de la main-d’œuvre vietnamienne et favorisant d’autres pays comme la Malaisie et le Cambodge.
Le gouvernement s’est contenté jusqu’à présent de mesures cosmétiques pour réduire l’inflation et le déficit budgétaire.

Le blocage majeur : les entreprises publiques

La priorité devrait être la réforme des entreprises publiques, des mastodontes bureaucratiques qui compromettent la compétitivité du pays.
Ces entreprises publiques poussent à la hausse de manière disproportionnée le taux d’inflation, qui est désormais le plus élevé de l’Asie, et sont en train d’entraîner les entreprises privées, qui sont des compétiteurs plus productifs, dans cette débâcle.
Au Vietnam, les entreprises publiques sont les piliers d’une économie qui demeure à orientation socialiste et reste sous le contrôle des anciennes élites communistes.
La plupart d’entre elles sont peu productives et consomment plus de la moitié des investissements vietnamiens, alors qu’elles ne produisent que l’équivalent d’un quart de son PIB.

D’après Edmund Malesky, économiste à l’université de Californie de San Diego, leur déclin a démarré lorsque, de 2007 à 2010, ces conglomérats ont profité de 100 milliards de dollars de crédits publics pour investir en dehors de leurs secteurs de spécialisation. Le crédit bon marché, à son tour, a créé une demande excédentaire qui a dépassé la production industrielle, engendrant une hausse des prix au moment même où la hausse mondiale des prix des aliments et des coûts des carburants avait également un impact négatif.
Les hommes politiques font preuve de favoritisme à l’égard de ces entreprises souvent affranchies des règles du marché.

L’exemple de Vinashin, de modèle à suivre à emblème d’incompétence

[image:2,s]L’exemple le plus connu est celui de Vinashin, un constructeur de navires privilégié par des appuis politiques. Le Premier ministre Nguyen Tan Dung avait présenté cette entreprise comme un modèle à suivre pour poursuivre l’intégration d’Hanoi dans l’économie mondiale.
Plus tard, en décembre 2010, l’entreprise a manqué à un prêt de 600 millions de dollars accordé par le Crédit Suisse. La société avait accumulé 4,4 milliards de dollars de dette maladroitement investis hors de son secteur, notamment dans la gestion d’hôtels et dans la fabrication de… motos. Des documents du gouvernement ont attribué les difficultés de Vinashin à l’« incompétence ». Quatre mois avant le défaut, les autorités avaient arrêté l’ancien président du groupe, Pham Thanh Binh, sous l’inculpation de comptes d’entreprise falsifiés. En septembre 2011, neuf cadres de Vinashin ont été officiellement accusés d’avoir violé les réglementations gouvernementales et d’avoir fait perdre à l’État 43 millions de dollars.

Moody’s dégrade la note du Vietnam

L’agence de notation Moody’s, craignant la débâcle à venir, a réduit d’un rang la note du Vietnam. Cette décision a eu pour conséquence l’augmentation du coût des emprunts sur le marché international. 
Actuellement, tant les entreprises que ses patrons d’entreprises publiques conservent une attitude ambigüe à l’égard des créanciers : il n’est pas certain qu’ils honorent leurs créances. 
Les créanciers sont peu susceptibles d’engager des procédures juridiques, a fortiori dans un pays comme le Vietnam où la bienveillance des politiciens est indispensable à la bonne marche des affaires. L’économiste Malesky affirme que « ces entreprises publiques sont très puissantes et entretiennent des relations régulières avec les principaux dirigeants politiques ».
Les analystes craignent que des effondrements similaires soient en préparation, du fait du trop grand manque de transparence dans les activités de ces entreprises.

[image:3,s]Le gouvernement met en place des mesures cosmétiques

Plutôt que d’agir pour empêcher les excès de ces entreprises, les dirigeants ont mis l’accent sur la restructuration, une approche qui ne fait que remédier à la marge à ces difficultés. Ils ont introduit en avril un ensemble de mesures qui augmentent le taux d’intérêt des emprunts et freinent la croissance du crédit. 
Si les autorités veulent favoriser l’innovation et la croissance, ils devraient détourner les fonds disponibles des géants publiques pour les diriger vers les plus compétitives entreprises privées, sans oublier de réduire la croissance du crédit pour ralentir l’inflation. Cette stratégie a fonctionné en Chine où les entreprises publiques ne dépendent plus entièrement du gouvernement pour le crédit. 
Le Vietnam dispose déjà de lois qui répondent aux normes internationales et encouragent le développement de concurrents privés prenant en compte certaines réformes indispensables. Fin de 2008, près de 5 000 entreprises publiques avaient été restructurées, parmi lesquelles 3 400 avaient été ouvertes à l’investissement privé.
Mais les autorités appliquent les lois de manière aléatoire et incohérente, estime Denny Cowger, un avocat d’affaires chez Duane Morris, cabinet américain qui dispose de bureaux à Ho-Chi-Minh-Ville et Hanoï. Le Premier ministre Nguyen Tan Dung, par exemple, a émis une directive ordonnant aux géants publiques de céder des actions, avant juillet 2010. La plupart ont ignoré cette échéance.

Premiers progrès vers la responsabilisation et la transparence

Les dirigeants ont cependant envoyé un message fort au constructeur Vinashin après son défaut de paiement : l’État ne couvrira pas le prêt de 600 millions de dollars, peu importe le poids politique de l’entreprise. C’est une véritable inversion de tendance par rapport aux pratiques antérieures, mais aussi un avertissement aux autres entreprises publiques. Désormais, elles seront obligées d’assurer leurs crédits, et le gouvernement ignorera les créanciers européens de l’emprunt.
En poussant à l’amélioration de la transparence et à la responsabilisation, Hanoï va, soit suivre les traces de géants comme la Chine et la Corée du Sud, soit tomber dans l’ornière des pays à revenus intermédiaires comme les Philippines et la Malaisie. Jusqu’à présent, les dirigeants vietnamiens ont réussi à rassurer les investisseurs en les convaincant qu’ils assureraient leurs responsabilités. Mais cette année, ils auront besoin d’accélérer la reforme des entreprises publiques afin de prévenir des épisodes inflationnistes et les risques de déstabilisation de l’économie.
Certains politiciens devront peut-être renoncer à leur influence personnelle dans le processus, mais un marché ouvert et innovant fera prospérer leur pays davantage qu’un marché de style féodal.

GlobalPost/Adaptation Melania Perciballi – JOL Press

Quitter la version mobile