Site icon La Revue Internationale

L’économie, nouvelle victime du régime syrien

Aleppo, Syrie et Beyrouth, Liban. La petite entreprise de Mufid employait autrefois 50 personnes, qui cousaient des vêtements de femme dans un quartier pauvre dans la banlieue d’Aleppo, la capitale commerciale et plus grande ville de Syrie.


Un système fondé sur la confiance


Mufid achetait du textile à une entreprise locale avec laquelle il a fait affaires pendant 10 ans, et plutôt que de payer les livraisons argent comptant, il préférait, comme beaucoup d’autres entreprises à Aleppo, recevoir les biens par un système appelé « khamisat ». Ce mot arabe, qui signifie « jeudi », résumait le délai de paiement de Mufid, tout comme nous disons en français « paiement à 30 ou 60 jours ». Sinon que Mufid recevait son tissu au début de la semaine et n’était obligé de le payer que le dernier jour de la semaine – le jeudi, en Syrie : un paiement à quatre jours.


Avant le paiement du jeudi, Mufid avait le temps de faire rentrer l’argent des vendeurs de la semaine d’avant. Grâce à ce système, Mufid n’a jamais eu besoin de réserve d’argent, un avantage précieux pour toute entreprise à faible profit et avec peu de capital.


« En Syrie, nous ne réglons pas souvent en liquide. Khamisat est notre façon de faire des affaires », explique Mufid.


Troubles politiques, perte de confiance


Mais cette façon de faire affaire a soudainement changé, lorsque le mouvement de révolte a commencé en mars.


Depuis que la protestation populaire contre la dictature s’est répandue en Syrie, et bien qu’ils soient moins affectés que dans les autres grandes villes, les hommes d’affaire et marchands d’Aleppo ont dû changer de méthode. De crainte que la livre syrienne ne perde de sa valeur dans le pays à cause d’une baisse de la consommation face à la répression du gouvernement de Bachar Al-Assad et l’indignation internationale qui a suivi, les importateurs ont perdu toute confiance dans le marché d’Aleppo. En conséquence, le khamisat a disparu et le cash est devenu roi.


La faillite des petites entreprises


« Ils m’ont dit que je ne pouvais même pas obtenir un mètre de tissu sans argent. Je leur ai demandé “vous ne me faites pas confiance ?”, et ils m’ont dit que c’était la nouvelle procédure pour tout le monde. Mais je ne pouvais pas payer tout de suite pour les matériaux bruts puis attendre plusieurs semaines avant d’être payé par les vendeurs. J’ai dépensé toutes mes économies en mai et en juin, puis j’ai dit à mes employés, les larmes aux yeux : “vous n’aurez plus de travail à partir du début du mois de juillet. Si j’ai de bonnes nouvelles je vous appellerai”. » Mais il ne les a toujours pas appelés.


Mufid, un musulman sunnite, comme la plupart des Aleppans ou Syriens, dit qu’il connaît des dizaines d’autres petites entreprises qui ont été obligées de licencier des employés et de fermer.


La classe marchande en colère


Aujourd’hui, Mufid est furieux que le régime, mené depuis un demi-siècle par la secte minoritaire allawite, lui ait fait payer tant d’impôts, sans, en retour, assurer la stabilité économique nécessaire pour diriger une entreprise et nourrir sa famille – un pacte qui a longtemps rendu la communauté marchande à Aleppo fidèle à la famille Assad.


« Le régime essaie de nous satisfaire avec de belles paroles et des promesses pour l’avenir. Mais nous ne pouvons pas attendre plusieurs mois que le président Assad trouve une solution. Les fonctionnaires du gouvernement, eux, continuent à recevoir leur salaire chaque mois, mais nous, nous avons perdu notre capital et notre marché », s’indigne le marchand. « Je peux vous assurer que tous les hommes d’affaires, marchands, et exportateurs d’Aleppo sont en colère. »


Une économie fragile


L’histoire de Mufid n’est qu’un exemple parmi d’autres de la fragilité de l’économie syrienne, qui peine à s’adapter aux réformes du marché après des décennies de planification centrale, et qui est aujourd’hui en déclin à cause du chaos qui a mené à l’isolation du pays sur la scène internationale il y a six mois.


Apparemment sourd aux appels lancés par son allié le plus proche, la Turquie, qui a demandé à al-Assad de mettre un frein aux violences commises par ses forces de sécurité (plus de 5 000 civils tués depuis le début du mouvement), le dictateur syrien a averti en juin que le plus grand danger auquel le pays devait faire face était « la faiblesse ou l’effondrement » de l’économie.


Un rare moment de franc-parler d’un président dont le déni persistant et le traitement aberrant du mouvement de protestation ont laissé beaucoup de ses supporters abasourdis.


Des prévisions pessimistes


Les statistiques étonnantes montrent que non seulement les classes pauvres et rurales – qui ont afflué vers les grandes villes pour travailler et qui durant des décennies ont procuré le soutien principal au parti Baath – sont touchées par le déclin économique, mais que les classes plus aisées, anciennes et nouvelles, ont également vu leur richesse s’évaporer plus que jamais auparavant.


Le Fonds monétaire international (FMI) avait prédit une croissance de 5,5 % pour cette année, à parti de celle, établie, d’environ 3,5 % en 2010. Mais en avril, ce chiffre a été réduit à 3 %, avant un nouvel ajustement à 2 % le 10 septembre.


Un éminent économiste syrien, cependant, pense que la situation pourrait être pire – peut-être même dix fois pire. « Le PIB va diminuer de 10 à 20 % cette année. La seule chose qui freinera le déclin sera que l’agriculture et le pétrole n’ont pas encore été affectés par le trouble politique », estime Jihad Yazigi, éditeur de Syria Report, le premier journal économique en langue anglaise du pays.


L’investissement en baisse


Les projets d’investissement en Syrie durant la première moitié de l’année 2011 ont baissé de 43 % selon les données officielles, ce qui montre avant tout que le gouvernement avait suspendu entièrement son budget d’investissement (43 % du budget de 16,4 milliards de dollars – 12 milliards d’euros – pour 2011).


Dans un pays où les taux de pauvreté extrême, particulièrement dans les régions rurales où vivent deux tiers de la population syrienne, ont pu augmenter depuis 2005 à cause de la gestion négligente d’une sécheresse chronique, et où le chômage reste très élevé – estimé entre 15 et 25 % par plusieurs économistes indépendants – le budget d’investissement jouait un rôle primordial dans la création d’emplois.


Le plan du parti Baath pour les cinq prochaines années impliquait un investissement d’1 milliard de dollars (740 millions d’euros), la moitié duquel devait venir du secteur privé. Mais maintenant, pour reprendre l’expression d’un expert en économie à Damas, « le plan est tombé à l’eau ».


 


Global Post/Adaptation Jack Fereday – JOL Press

Quitter la version mobile