Site icon La Revue Internationale

L’Union eurasienne ou les rêves impériaux de Poutine

[image:1,l]

Poutine met les bouchées doubles

Poutine vend son projet comme une sorte d’Union européenne version orientale. De leur côté, ses critiques voient plutôt revenir sur le devant de la scène, sous un nom nouveau, des ambitions d’un autre âge. Pendant que les observateurs observent et que les critiques critiquent, le monde entier n’a pas vu que le projet de Vladimir Poutine était déjà passé de la rhétorique à la réalité.
Au cours de la semaine du 24 octobre 2011, lors d’un rassemblement à Saint-Pétersbourg, huit anciens États soviétiques ont signé un traité de libre-échange que Vladimir Poutine a salué comme une première étape vers une véritable union d’ici à quatre ans. « Autour de 2015, nous pourrions voir la réalisation de notre idée d’Union eurasienne si nous travaillons avec l’énergie qu’il faut pour la faire », déclare Poutine, toujours Premier ministre, mais qui compte bien retrouver le Kremlin dès l’année prochaine.

Séduction des anciens satellites de l’URSS

Parmi les signataires du traité, l’Ukraine, un pays qui jusqu’à récemment se cherchait une place parmi les membres de l’Otan et de l’Union européenne. L’apparente captation de l’Ukraine dans l’orbite de Moscou est un remarquable signe des tentations qui s’imposent lentement. Elle met en évidence la relative faiblesse de l’Ouest, alors que l’Europe se débat avec sa propre crise, les limites de la fortune des Russes et de leurs matières premières. La Russie sera bientôt, à nouveau, entre les seules mains de Poutine, l’homme le plus fort de sa génération.
« Poutine va retourner au Kremlin avec ce nouveau concept idéologique qui fait appel aux aspirations néoimpériales des Russes et qui propose des bénéfices économiques pour les anciens pays soviétiques qui n’ont aucune chance de rejoindre le club des Occidentaux », analyse Alexei Vlasov, directeur du Centre d’étude de l’espace post-soviétique à Moscou. « Ce n’est pas vraiment une idée nouvelle. Elle était dans l’air depuis quelque temps. Mais j’admire la rapidité de Poutine pour la mettre en place. »

Union douanière, puis économique, puis…

Dans le quotidien moscovite pro-gouvernemental Izvestia, Poutine s’est exprimé au sujet de la nouvelle organisation qui serait construite autour de l’union douanière Russie/Biélorussie/Kazakhstan, supposée se transformer en marché commun en 2012. Dans cet article, il précise qu’il ne s’agit pas d’un plan pour réincarner l’Union soviétique, mais plutôt l’ambition de construire un groupe d’anciennes républiques soviétiques volontaires. Menées avant tout par des ambitions économiques.
« Nous proposons de créer une “union internationale” puissante, capable d’acquérir du poids dans le monde moderne, et, en même temps, de devenir un pont efficace entre l’Europe et la très dynamique région d’Asie Pacifique », écrit-il.
Le super-État de Poutine serait d’abord ouvert aux anciennes nations soviétiques qui veulent un accès privilégié à l’énergie et aux marchés russes, et qui ont peur de la puissance et des ambitions croissantes de la Chine, précise Vladimir Zharikhin, directeur adjoint de l’Institut de la communauté des États indépendants à Moscou.

Personne ne veut des anciens pays soviétiques

[image:3,s] « Il existe une tendance générale à créer des groupes économiques, comme l’UE, l’Asean, ou l’Alena, mais ils sont tous fermés aux anciens pays soviétiques, constate-t-il. Regardez l’Ukraine, qui a multiplié, en vain, ses efforts pour intégrer l’UE. Nous devons créer notre propre organisation, nous n’avons pas d’autres solutions. »
La semaine précédente, l’Union européenne a annulé une réunion qui devait aborder l’idée d’un accord de libre-échange avec l’Ukraine pour protester contre l’emprisonnement politique de Ioulia Timochenko, leader de l’opposition en Ukraine. C’était le dernier d’une série de signes montrant que l’Ukraine, le plus important des anciens pays soviétiques après la Russie, pourrait prendre la tête d’un réalignement géopolitique majeur.
Partisans et détracteurs de l’idée affirment tous que l’Union eurasienne ne restera pas longtemps une simple union économique. Contrairement à l’UE, qui rassemble des pays démocratiques motivés par l’économie de marché, la Russie et les autres anciennes républiques soviétiques ont en commun d’être des variantes de régimes autoritaires où l’État domine l’économie. La Russie, le plus grand pays du monde, extrêmement riche en matières premières, éclipsera forcément les autres membres de l’Union et cherchera à les aligner à ses propres priorités, notamment sa rivalité avec l’Ouest.

Une union qui fonctionne doit être politique

En outre, dans le Moscou de Poutine aujourd’hui, une idée largement reprise explique que la zone euro est secouée en ce moment parce que l’UE a été construite sans autorité forte et sans cohésion politique centrale à sa base. « L’Union eurasienne sera différente de l’Union européenne parce qu’elle sera fondée sur des valeurs eurasiennes, pas sur des valeurs européennes », affirme Alexander Dugin, à la tête du Mouvement eurasien international, un groupe d’hommes d’affaires, d’intellectuels, de personnalités d’extrême droite qui ont, semble-t-il, une influence considérable sur le candidat au Kremlin.
Il ajoute que la dépendance de l’Union européenne aux institutions économiques pour les réunir est un énorme défaut, et que Poutine cimentera l’intégration économique de l’Union eurasienne par une autorité centrale forte. « L’économie est importante, mais nous aurons besoin de mettre l’accent sur le processus politique d’intégration. Avec ce qui arrive en Europe, il est clair qu’en ces temps de crise, une union entière risque de se diviser si elle n’est pas construite sur de fortes structures politiques et géopolitiques susceptibles de dépasser la crise […] L’Union eurasienne doit être construite avec une forte perspective politique. »

Projet à plus long terme

[image:2,s]Mais pour l’instant, l’idée d’un autre super-État dirigé par Moscou, qui rappelle l’Union soviétique, doit garder profil bas devant la communauté internationale, disent les partisans de Poutine.
« Nous parlons d’une union économique mais, à en juger par le concept de Poutine, la coordination politique parmi les membres ne saurait rester ignorée », insiste Andrei Klimov, sous-directeur de la commission des Affaires internationales de la Douma. « Mais la question est à envisager plus tard, ce n’est pas sur l’agenda de demain. »

Poutine « n’a pas les épaules »…

Boris Nemtsov, un ancien vice-Premier ministre, désormais éminent critique libéral du Kremlin, parle de l’idée d’une Union eurasienne comme d’« une blague politique ». « Des unions volontaires sont susceptibles d’apparaître là où existe la démocratie. Comment des dictatures autoritaires peuvent-elles créer une authentique union ? Pour Poutine, l’effondrement de l’URSS fut une grande tragédie, et il voudrait en créer une nouvelle version. Mais l’Union soviétique a été construite au XXe siècle avec le pouvoir du Parti communiste et l’extrême brutalité de Joseph Staline. Poutine pourrait être un dictateur corrompu, mais il n’est pas Staline. Cette idée est déjà condamnée. »

Nostalgie de l’Union Soviétique

Alexander Dugin affirme que l’idée d’une renaissance de l’Union Soviétique séduit beaucoup de monde en Russie comme dans les anciens pays de l’Union Soviétique où les sondages d’opinion montrent qu’une quantité non négligeable de gens ressentent une forme de nostalgie du prestige et de la sécurité qu’offre l’appartenance à une superpuissance mondiale.
« Peut-être que l’idée de reconstruire l’URSS est considérée comme une horreur en Occident, mais parmi les anciens pays soviétiques, l’idée est très populaire. Poutine va utiliser cet élément comme un outil pour gagner des partisans à ses plans, et pour l’aider à travailler à une vision plus cohérente. Le temps est vraiment mûr pour cette idée. »

 

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

Quitter la version mobile