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M. Kadhafi : l’énigme des circonstances de sa mort

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[image:1,l]La mort en direct ou presque. Plus rien n’étonne dans notre société du « tout en images ». Après tout, pourquoi les rebelles libyens ne dégaineraient-ils pas, eux aussi, leurs smartphones au moment de « flinguer » l’ex-Guide ? Peut-être même se sont-ils passé le mot : en ces temps de crise, le cours de la vidéo est en hausse à la bourse des médias et un clip bien cadré, ça vaut de l’or.

Une illusion d’optique ?

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Sous nos yeux, Kadhafi est mort. On s’extasie devant la prouesse, on s’offusque devant tant de violences, on compatit presque à voir un homme, fût-il le pire des tyrans, traité ainsi. Ces images, on les regarde, on les re-regarde, on les re-re-regarde, les unes, les autres… Et puis, tout de même, au bout d’un moment, on s’interroge : mais, au fait, comment est-il mort ? Chacun croit savoir, chacun a sa version. Pourtant, malgré les images, malgré les témoignages, les circonstances précises de la mort de Mouammar Kadhafi restent floues. Quand, où, comment a-t-il été tué ? Nul ne le sait vraiment, nul ne le sera peut-être jamais…

Une enquête est nécessaire

Le Haut-commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a demandé vendredi le lancement d’une enquête sur les circonstances entourant cette mort. « À propos de la mort de Kadhafi hier, les circonstances ne sont pas claires. Nous estimons qu’une enquête est nécessaire », a déclaré le porte-parole du Haut-commissariat, Rupert Colville, se référant aux vidéos qui ont été publiées jeudi par les médias. Quel comble s’il ressortait de cette enquête que les droits de l’homme du dictateur déchu n’ont pas été respectés. Pas ça, pas lui…

Deux balles…

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Selon un médecin chargé d’examiner son corps, Mouammar Kadhafi a été touché mortellement par balle à hauteur des intestins après avoir été capturé. « Kadhafi était vivant quand il a été capturé et a été tué ensuite. La balle à l’origine de sa mort a pénétré son intestin », a affirmé le docteur Ibrahim Tika. « Il a ensuite reçu une deuxième balle dans la tête qui a traversé son crâne. »
Le chef du gouvernement du CNT, Mahmoud Djibril, a déclaré qu’il avait succombé à une blessure par balle à la tête reçue lors d’une fusillade entre ses gardes et les combattants du CNT alors qu’il venait d’être placé à bord d’une camionnette.

Tant de scénarios

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Chaque mot compte. Que l’on en change un, et toute l’histoire – l’Histoire ! – change. La première balle, celle des intestins, laisse imaginer un échange de tirs. Le Généralissime serait donc tombé les armes à la main, sur scène en quelque sorte. Sur toutes ces vidéos, où on le voit vivant, l’a-t-il déjà reçue ? On imagine que oui, sans preuve. Est-elle rentrée par-devant ou par-derrière ? Voilà qui change tout, fuyait-il ou pas ? La deuxième est celle qui compte, la mortelle, penserait-on. Comment a-t-elle été tirée ? Pourquoi ? Sur les vidéos, on voit bien tous ces rebelles agiter leurs kalach’ tout en frappant leur proie. Une balle aurait pu partir, comme ça, par mégarde. Ou bien s’agit-il d’un tir volontaire ? Et si oui, a-t-il été ordonné ou pas ? Si c’était bien une exécution, qui en a donné l’ordre ? Compte tenu de la rapidité avec laquelle les événements semblent s’être déroulés, si l’on en croit celle à laquelle les informations nous sont parvenues, par dépêches d’agence de presse, on conclut, à juste titre sans doute, qu’il n’a pas eu droit à un procès, pas même de 55 minutes.

Et si la mort de Kadhafi venait hanter le CNT ?

[image:5,s] En quoi est-ce important ? Après tout, l’essentiel n’est-il pas qu’il soit mort, celui qui pendant 42 ans a imposé sa loi de fer sur la Libye et les Libyens, celui sans qui les 270 passagers du Boeing 747 de la Pan Am n’auraient pas fini écrabouillés à Lockerbie ? Certes, la loi du Talion ne saurait régir les relations internationales ou la vie politique, mais chacun pourrait probablement s’en arranger, ne serait-ce qu’à titre exceptionnel…
Mais le véritable enjeu est de faire en sorte que les circonstances de la mort de Kadhafi ne viennent pas bouleverser l’équilibre précaire qui règne au sein des désormais ex-insurgés au moment où ils entament l’étape suivante de leur mission, la mise en place d’un nouveau régime. Le Conseil national de transition est divisé au possible, à l’image de la société libyenne elle-même, selon toutes sortes de critères raciaux, tribaux, claniques, géographiques… et idéologiques, évidemment. Selon le profil de l’auteur du coup mortel, de celui qui a donné l’ordre de tirer ou, au contraire, de laisser le lynchage perdurer, ou pas, un flot de dissensions pourrait naître.
Et puis, il y a aussi tous ceux qui voulaient absolument un procès, partisans de la peine de mort, ou pas… et tous ceux qui, au contraire, tenaient tout autant à l’éviter. Autant de prétextes pour faire exploser le CNT avec le risque de voir la guerre civile succéder à la rébellion et aboutir, potentiellement, à un morcellement durable du pays.

Les répercussions diplomatiques

L’attitude des responsables politiques des pays de l’Otan a, elle aussi, été scrutée avec attention. Que signifiait l’annonce rapide, par le ministre de la Défense français, Gérard Longuet, d’une participation des forces de l’Otan sous la forme d’un bombardement par l’armée de l’air française du convoi de Kadhafi ? Peut-être le désir de mettre en avant le rôle de la coalition. Plus tard, Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’Otan, juge bon de préciser que l’Organisation ne savait pas que Kadhafi était présent dans ce convoi… A-t-il jugé, au contraire, qu’il était dans l’intérêt de l’Organisation, et de son image, de ne pas apparaître comme responsable de la mort de Kadhafi ? Et puis, il y a le long silence de la Maison-Blanche et de Barack Obama qui ne réagit que tardivement : avait-il des raisons de douter de la mort du dirigeant déchu, ou était-il, au contraire, trop bien informé d’un scénario trop bien réglé et a-t-il cherché à s’en distancer pour, par exemple, ne pas voir les Américains accusés, une fois de plus, d’avoir tué le responsable d’un pays arabe ? Tout est flou. Et comme toujours, quand c’est flou, les scénarios les plus fous sont échafaudés, la voie est libre pour les amateurs de théories de la conspiration.

Trop d’images tuent l’image

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Nul ne sait pour l’instant quelles sont les circonstances exactes de la mort de Kadhafi. Probablement une version « officielle » nous sera donnée, imposée. Une chose est sûre : il est mort, bien mort. Dans la journée de vendredi, le Conseil national de transition a fait savoir que son enterrement était reporté de plusieurs jours jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé concernant le lieu de son inhumation. « Je leur ai dit de le garder dans une chambre froide […] pour être sûr que tout le monde sache qu’il est mort », a déclaré Ali Tarhouni, le ministre du Pétrole du gouvernement de transition. Sa dépouille se trouve à Misrata, le fief du CNT. Et là encore, les preuves visuelles circulent. Mais attention, parfois, trop d’images tuent l’image.

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