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Mikhail Prokhorov, un nouvel oligarque face au Kremlin

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Moscou, Russie. Petit arrangement entre « amis » : le président Dmitri Medvedev a apporté son soutien à la candidature présidentielle de « son » Premier ministre, Vladimir Poutine, en mars 2012. Avec cette manœuvre, Poutine est quasiment assuré de retrouver le Kremlin. Autrement dit, au cours des quatre dernières années, il semble désormais avéré que la présidence Medvedev a surtout servi à « garder la place au chaud » en attendant le retour de l’ex, empêché par la constitution de solliciter un troisième mandat successif.

Prokhorov, un oligarque rebelle

Jusqu’à récemment, les rouages du système qui mène l’essentiel de l’activité politique dans la Russie de Poutine restaient un mystère. Au début du mois, Mikhail Prokhorov, le troisième homme le plus riche de Russie, a rompu avec le parti politique, soutenu par le Kremlin, qu’on l’avait invité à diriger. Amer, il a osé révéler quelques vérités qui donnent un éclairage sur la situation telle qu’elle est. Si la Russie est un régime pluripartiste, avec des élections régulières, et un parlement, tout ceci n’est, selon Prokhorov, qu’une façade. C’est en fait le Kremlin, a-t-il expliqué à des journalistes, qui dirige tous les partis politiques, en décidant qui peut devenir leur chef et quels candidats ils peuvent inscrire sur leurs listes. Le Kremlin déterminerait également l’intérêt que leur accorde la presse. 
Prokhorov a été jusqu’à nommer l’architecte principal de ce système : Vladislav Surkov, chef de l’administration du Kremlin, un personnage très proche de Poutine depuis quelques années.

Surkov, le metteur en scène de Poutine

« Surkov est un “marionnettiste”, qui a “depuis longtemps mal informé les dirigeants à propos du fonctionnement du système, opprimé les médias, et semé la discorde”, a dit Prokhorov. Mon premier objectif est de m’assurer personnellement que Surkov soit viré », a-t-il ajouté.
Au lieu de quoi, c’est Prokhorov qui a immédiatement commencé à avoir des soucis. La majorité des membres du parti de Prokhorov, Pravoye Delo (« Juste Cause »), se sont retournés contre lui – sur les ordres de Surkov, assure Prokhorov. Ils ont même tenu une conférence de presse séparée pour annoncer son exclusion du parti. Quelques jours plus tard, il a aussi été exclu d’un comité sur la politique économique du gouvernement. Enfin, les autorités ont soudainement annulé la construction, prévue depuis longtemps prévue, d’une route menant à l’une de ses usines…

Un face-face entre Prokhorov et Surkov

Prokhorov savait que le système était corrompu, « mais pensait pouvoir y jouer un grand rôle, même dans cette arène étriquée », estime Georgy Satarov, ancien conseiller du président Boris Eltsine, aujourd’hui à la tête du groupe de recherche indépendant InDem, à Moscou. « Il ne comprenait pas que le jeu politique en Russie n’est que virtuel. Il n’y a pas de parti indépendant. »
Surkov, moitié russe, moitié tchétchène, était cadre dans une firme pétrolière. Mais il a également obtenu un diplôme de metteur en scène à l’Institut culturel de Moscou dans les années 1980. Pour certains, il est maintenant l’idéologue principal du Kremlin, après avoir rejoint l’administration du président Poutine en 1999 et être resté dans son entourage depuis lors. 
Loin d’être mis en danger par l’affaire Prokhorov, le 21 septembre, il a été officiellement décoré par Poutine de la médaille de l’Ordre de Pyotr Stlypin, Grade II, pour sa contribution aux « activités d’État ».

Une ambition dangereuse

Prokhorov, dont la fortune est estimée par le magazine Forbes à 18 milliards de dollars, est connu aux États-Unis pour être le propriétaire de l’équipe de basket des New Jersey Nets. En Russie, l’imposant homme d’affaire (il mesure plus de 2 mètres), a longtemps fait la une des journaux parce qu’il était considéré comme le célibataire le plus convoité du pays. Il est aussi connu pour son style de vie, puisqu’il n’hésite pas à publier des vidéos de ses cascades en jet-ski sur YouTube. C’est surtout un entrepreneur innovant : il développe actuellement une voiture électrique dans l’espoir d’en finir avec les véhicules thermiques…

En juin 2011, Prokhorov a pris la tête du parti Pravoye Delo, en mauvais état lorsqu’il est arrivé. Mais Prokhorov est déterminé à le rénover : il a immédiatement promis de débourser 100 millions de dollars de sa poche pour assurer au parti un meilleur résultat aux élections législatives de décembre. Si le parti gagne un plus grand pourcentage que celui nécessaire pour entrer à la Douma (le parlement russe), Prokhorov a promis d’envoyer une pétition au président pour qu’il soit nommé Premier ministre. Il a même laissé entendre que la présidence l’intéressait aussi…

Une surprise pour le Kremlin

Lorsqu’il est apparu sur la scène publique, on pensait que Prokhorov agissait avec l’accord du Kremlin et sur les ordres de Surkov, car entrer dans l’arène politique russe avec un esprit indépendant est un jeu dangereux : le dernier oligarque russe à s’être positionné contre le gouvernement, Mikhail Khodorkovski, a passé les huit dernières années en prison.
« Le vrai organisateur du système politique russe, c’est, bien sûr, Poutine », estime Adrei Kolesnikov, un journaliste à l’hebdomadaire Novaya Gazeta, qui critique ouvertement le gouvernement. « Mais Surkov est un directeur technique très talentueux qui supervise les processus. Tous les partis politiques officiels sont ses clients. Il les manipule et les contrôle. Et si quelqu’un veut faire les choses différemment, il les élimine de la scène politique. »
Selon certains experts politiques, Surkov voyait sûrement le parti de Prokhorov comme une jolie fleur à planter à la droite de l’échiquier politique : le parti pourrait être utile, en recueillant le vote des libéraux, peu enclins à voter pour le parti de Poutine, Russie Unie, qui contrôle le Parlement et la plupart des assemblées régionales.

Prokhorov : ambitieux ou téméraire ?

Contre toute attente, Prokhorov n’a pas fait les choses à moitié. Il a dépensé son argent dans des affiches géantes, des campagnes publicitaires à la télévision, des agents de communication, a assemblé une équipe de candidats très forts et, en plus, il a mis au point un programme orienté vers le centre gauche, terrain privilégié de Russie Unie
Selon Prokhorov, une violente dispute aurait éclaté entre Surkov et lui à propos de l’entrée de Yevgeni Roizman, un militant antidrogue controversé, à la direction du parti Pravoye Delo
C’est à ce moment que Surkov a décidé de se débarrasser de Prokhorov : en l’espace de quelques jours, celui-ci a perdu son parti politique, sa carrière politique, et tout accès aux comités du Kremlin. Mais comment est-il possible d’écarter si facilement et si rapidement un des hommes les plus riches de la planète ?

Une « démocratie » qui vient d’en haut

Selon les spécialistes, cette question se justifie : dans les pays occidentaux, on imagine que l’argent procure du pouvoir. Mais en Russie, disent-ils, c’est l’inverse : le gouvernement laisse les hommes d’affaires garder leurs biens, à condition qu’ils restent en bons termes avec le Kremlin. 
« Il est vrai qu’en Russie l’État est l’initiateur d’un grand nombre de partis politiques et de mouvements civiques, convient Alexei Pushkov, une star de la télévision et candidat aux prochaines élections législatives. Mais vous devez comprendre qu’ici nous sortons du communisme, où toutes ces choses n’existaient pas. Le changement doit venir d’en haut. Impossible autrement. »

À la merci de Poutine

Si Prokhorov veut mettre fin à cette spirale périlleuse, et retrouver sa vie paisible d’oligarque russe, il n’y a évidemment qu’une façon de s’y prendre : « Prokhorov doit s’asseoir avec Poutine et avoir une conversation à cœur ouvert, estime le journaliste Kolesnikov. Il pourra alors assurer à Poutine qu’il n’est pas un dissident, qu’il voulait juste changer un peu le système de l’intérieur, le moderniser en partie, mais en aucun cas défier le pouvoir. Poutine est un homme indulgent. Si Prokhorov est d’accord pour quitter la politique et s’occuper uniquement de ses affaires, il n’aura sans doute pas de problème avec lui. »

GlobalPost/Adaptation Jack Fereday – JOL Press

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