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Entretien avec Moussab Azzawi sur la situation en Syrie

[image:1,l]L’Observatoire syrien des droits de l’Homme est devenu la source principale d’informations concernant la situation en Syrie. Avec l’interdiction de territoire dont sont frappés les journalistes du monde entier, l’essentiel des médias, au premier rang desquels les agences de presse, reprennent sans mesure les informations qu’il fournit.
Une précision avant de livrer les réponses que nous a fournies, mercredi 16 novembre, le docteur Moussab Azzawi. Il ne s’agit aucun cas de faire un procès d’intention à cette organisation non-gouvernementale. Les horreurs du régime de Bachar al-Assad sont connues de longue date, et l’escalade en cours depuis le début du soulèvement, il y a neuf mois, est largement documentée, ne serait-ce que par les images que l’OSDH et d’autres canaux parviennent à faire sortir du pays. Pourtant, s’il clame son indépendance, l’OSDH se situe clairement dans l’opposition au régime d’Assad. Le rappeler est une question de déontologie. C’est avec ces précautions que nous vous livrons ses réponses, tout le remerciant d’avoir bien voulu nous accorder un peu de son précieux temps.


Au moment où nous l’appelons, la Ligue arabe se réunit à Rabat, sans la Syrie qui a été exclue de ses instances. L’organisation s’apprête à lancer un ultimatum de trois jours à Damas. De son côté, la Turquie voisine hausse le ton, après, notamment, que ses intérêts dans le pays ont été, une fois de plus, la cible d’individus proches du régime. 


L’OSDH, une ONG indépendante avec 250 correspondants en Syrie


JOL Press : Qu’est-ce que l’Observatoire syrien pour les droits de l’Homme ?

Dr Moussab Azzawi : Le Syrian Observatory for Human Rights est une organisation non gouvernementale. Nous ne recevons pas de financements, d’aucune organisation, de personne. Je suis moi-même docteur à Londres et volontaire bénévole. Nous disposons d’un réseau de 250 membres affiliés en Syrie, pour la plupart des docteurs, des professeurs, des ingénieurs. Tous volontaires. Depuis 5 ans, bien avant le déclenchement des événements actuels, ils ont pour mission de faire état au monde des violations des droits de l’Homme en Syrie. Aucun d’entre eux n’est engagé politiquement, c’est notre règle. Lorsqu’il y aura un changement de régime dans notre pays, nous poursuivrons notre action si elle a lieu d’être.


JOL Press : D’un point de vue technique… Vous vous trouvez à Londres, comment vos correspondants vous font-ils parvenir leurs informations ?

Dr Moussab Azzawi : Cinq ans d’expérience, ils sont bien entrainés. Ils utilisent tous les outils et moyens disponibles. L’internet local ne marche pas toujours et est sous contrôle. Ils sont, pour beaucoup, équipés de téléphones satellites avec lesquels ils ont accès à l’Internet – et notamment à Skype.


Les violences s’intensifient alors que la crise humanitaire s’aggrave


JOL Press : Nous sommes mercredi 16 novembre 2011 en fin d’après-midi. Quelles sont les dernières nouvelles que vous ont transmises vos relais sur le terrain ?

Dr Moussab Azzawi : Aujourd’hui, au moins 17 manifestants pacifiques, civils, ont été tués à Homs. Cette ville, le cœur du soulèvement, connait une crise humanitaire dramatique. La population est assiégée depuis plus de 15 jours par les forces loyalistes. Il n’y a plus d’eau, plus d’électricité. Des gens meurent dans les rues. La présence de snipers rend impossible de leur venir en aide.
A Baba Amr, le plus vieux et le plus pauvre quartier de la ville, des tanks ont pénétré. Ils bombardent les maisons au hasard et au moins 4 enfants de moins de 6 ans ont été tués.


Les manipulations de la propagande pro-Assad


JOL Press : Le régime fait état de manifestations de soutien, pouvez-vous nous le confirmer ?

Dr Moussab Azzawi : Depuis 3 jours, le régime organise, artificiellement, des marches de soutien. Des élèves, des lycées sont forcés de manifester – plus de 100.000 hier, y compris des élèves d’écoles primaires, âgés de 6 à 14 ans. Ceux-ci ont su faire preuve de jugement et d’indépendance d’esprit. Suffisamment pour tourner ces manifestations contre le régime. Aux premiers slogans hostiles à Assad, les forces de sécurité ont tiré dans les foules.


JOL Press : Damas a fait état de la libération de prisonniers politiques, plus de 1000, aujourd’hui. Qu’en est-il, selon vous ?

Dr Moussab Azzawi : Des gens ordinaires sont kidnappés, au hasard, dans les rues puis libérés le lendemain. Selon nos informations, 416 ont été ainsi arrêtés mardi. Le régime prétend alors qu’il s’agit de prisonniers politiques, arrêtés en raison de leurs opinions, de leurs engagements, et essaie de faire de leur libération un geste de réponse aux demandes de la communauté internationale. C’est faux. Les prisonniers politiques, nous les connaissons, nous connaissons leurs noms, leurs visages. Un seul a été libéré ces derniers jours. Son état de santé était tel que le régime craignait sans doute qu’il meure en détention.


Au moins 3895 morts depuis le début du soulèvement


JOL Press : L’ONU évoque au moins 3500 morts dans les neuf derniers mois. Confirmez-vous ?

Dr Moussab Azzawi : Au moins 3895 personnes ont été tuées et nous avons vérifié leurs noms. Cela ne tient pas compte des disparus. Cela ne tient pas des victimes dans la ville d’Aslan, assiégée en août dernier pendant 7 jours. Nous savons qu’il y a là-bas des fosses communes.


Les jours du régime sont comptés


JOL Press : Selon  vous, combien de temps Bachar al-Assad peut-il encore prolonger son règne ?

Dr Moussab Azzawi : Le pouvoir a réalisé que l’opposition n’allait pas battre en retraite. Depuis 40 ans, les Syriens vivent dans un Etat qui ressemble comme deux gouttes d’eau à ce que fut l’Union soviétique, un Etat totalitaire où le régime entend tout contrôler. Les Syriens ont compris qu’il s’agissait là de leur dernière chance.
Auparavant, ce régime servait à la stabilité régionale – à court terme. Aujourd’hui, l’intérêt de la région, à long terme, impose une démocratisation de la Syrie. C’est une affaire de semaines avant qu’Assad ne chute.


JOL Press : Les dernières informations que vous avez reçues laissent-elles transparaitre un mouvement de panique au plus haut niveau du régime ?

Dr Moussab Azzawi : Oui, et la panique a commencé avec la décision de la Ligue arabe de lâcher Damas et de suspendre la Syrie de ses instances. Alors, les autorités ont commencé à agir sans mesure, de manière très désorientée. Ils ont perdu leur compas et ne sont plus en mesure de prévoir ce qui va se passer. Ils réagissent plutôt que d’agir.


L’appui indispensable de la communauté internationale


JOL Press : Ce n’est pas suffisant pour forcer Bachar al-Assad à quitter le pouvoir ?

Dr Moussab Azzawi : Le régime gagne du temps en raison du blocage, imposé à la communauté internationale, par la Russie et la Chine. La Chine agit par opportunisme, au nom d’intérêts notamment commerciaux. La Russie entretient son rêve de puissance, fondé sur un retour à une sorte de Guerre froide. Les enjeux ont changé.


JOL Press : Contrairement, une fois ces blocages dépassés, qu’attendez-vous de la communauté internationale ? Un scénario à la libyenne avec intervention étrangère ?

Dr Moussab Azzawi : La situation est très différente.  En Libye, Kadhafi disposait des seules brigades armées de ses fils. En Syrie, l’armée est puissante et bien organisée. Sans l’armée, les forces de sécurité, responsables, pour l’essentiel, de la répression, ne sont plus grand-chose. Or, nous savons qu’il y a dans l’armée un très grand nombre de soldats prêts à déserter.
La communauté doit établir les conditions permettant à ces soldats de déserter avec armes et munitions. Pour cela, il faut imposer une no-fly zone, contrôler l’espace aérien syrien, pour neutraliser l’aviation loyaliste et permettre aux déserteurs de changer de camp avec tanks et armes. Ensuite, il faut établir une zone-tampon à 30 kilomètres de la frontière turque où ces déserteurs pourraient se regrouper et entamer la reconquête.  


JOL Press : Plus qu’à la communauté internationale dans son ensemble, ou à l’OTAN comme en Libye, cette stratégie conférerait un rôle majeur à la Turquie, par ailleurs remontée par l’attaque de ses intérêts au cours du week-end dernier ?

Dr Moussab Azzawi : La Turquie est un allié majeur de l’Occident et à un grand rôle à jouer en Syrie. Tout d’abord, pour l’établissement de la zone-tampon. Ce rôle essentiel de la Turquie devrait être encouragé par la Ligue arabe. La solution régionale est aussi un moyen de passer outre le veto russe.


Vers une guerre civile : l’improbable scénario du pire


JOL Press : Si un tel scénario était mis en œuvre, quelle pourrait être la réaction de Bachar al-Assad ?

Dr Moussab Azzawi : Bachar al-Assad peut encore s’appuyer sur une partie de l’armée, des troupes loyales. Il peut aussi compter sur des loyautés sub-nationales, sectaires, tribales, religieuses. Pour l’essentiel, le régime tenait grâce à des élites corrompues.
Une partie d’entre elles a déjà compris qu’elle avait perdu tout intérêt économique et financier à soutenir Assad et laissera faire. Une autre partie a beaucoup moins à perdre mais je ne crois pas qu’elle prendra le risque d’allumer une confrontation ethnique, tribale, une guerre civile ouverte. Ces gens-là ont compris que ce soulèvement était le fait de jeune bien éduqués et déterminés à résister, à se battre. Laisser, par exemple, le Hezbollah, implanté au Liban, entrer en lice, jouer le jeu diabolique de l’Iran voisine, rendrait la situation en Syrie mais aussi dans toute la région trop explosive.
Je ne crois pas que quiconque à Damas souhaite finir comme Kadhafi. Ils feront tout pour l’éviter.


Objectif : la démocratisation de la Syrie


JOL Press : Quel est, pour vous, le scénario de l’après-Bachar al-Assad ?

Dr Moussab Azzawi : Les manifestants, depuis le début, sont pacifiques. Si je dis qu’ils sont prêts à se battre, aucun ne souhaite une guerre civile, surtout parce, inévitablement, elle s’étendrait à la région. Nous aspirons à une transition démocratique, à la fin de la dictature.
Une fois que Bachar al-Assad aura démissionné, il faudra mettre en place une Assemblée nationale, sous la houlette de civils, et peut-être à travers le Conseil national syrien.
A titre personnel, je suis opposé à la loi du Tallion. La pire chose pour l’avenir de la Syrie serait qu’il subisse le sort de Kadhafi, une exécution sommaire, à la sauvette. Ce ne serait pas de bon augure pour la nouvelle Syrie. Certes, Bachar al-Assad pourra être jugé, mais seulement si le peuple en décide ainsi


Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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