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#FLASHBACK – Face à Assad, la résistance des comédiens Ahmad et Mohammad Malas

[image:1,l]Début octobre, les « chabihha », membres de la milice civile de Bachar al-Assad, ont débarqué chez eux. C’en était trop et,  cette fois, dans l’urgence, Mohammad et Ahmad Malas ont pris quelques affaires et ont quitté leur pays. Après un mois au Liban, dans la clandestinité, ces jumeaux, comédiens professionnels reconnus, viennent d’arriver au Caire pour poursuivre leur combat, avec « une seule arme : l’art ».

 Des phénomènes de la scène artistique syrienne

[image:4,s]A trois reprises, Ahmad et Mohammad Malas se voient refuser l’entrée à l’Institut supérieur d’art dramatique de Damas, seul conservatoire d’art dramatique du pays. Las de batailler avec la bureaucratie corrompue du régime, les deux frères  jumeaux décident de transformer une pièce de la demeure familiale en un théâtre professionnel. Rapidement, ils deviennent des « incontournables » de la scène culturelle syrienne. Dans ce qui doit être un des plus petits théâtres au monde, le public, trié sur le volet, se presse pour voir ces deux acteurs, à la ressemblance physique troublante, interprêter leurs pièces satiriques visant directement les autorités de Damas, et Bachar al-Assad en premier lieu.

« De la révolution de demain reportée à hier »

[iamge:5,s]Avec le début du soulèvement, ils se font plus discrets par souci de ne pas attirer l’attention des forces de sécurité chargés de la répression violente. Ils entendent être prudents. Rassembler quinze personnes dans une pièce, fût-elle une chambre à coucher, cela équivaut à un rassemblement et, compte tenu des propos tenus sur « scène », c’est de facto une manifestation anti-régime.

C’est alors qu’ils écrivent et mettent en scène une pièce particulièrement acerbe contre le régime. « La révolution de demain reportée à hier » est un dialogue entre un détenu et son bourreau, se demandant comment ils en sont arrivés là. Comme toujours, ils jouent cette pièce chez eux, en lançant des invitations par courriel. Mais les temps ont changé, la répression s’est accentuée et, très vite, ils reçoivent des menaces via leur page Facebook.

De la prison à… Avignon

Pourtant, au bout d’un certain temps, ils descendent dans la rue pour bien montrer qu’ils n’agissent pas dans la clandestinité. Le 13 juillet dernier, des intellectuels se joignent en nombre à  une manifestation. Leurs interrogations : comment l’art et les services de renseignements peuvent –ils cohabiter ? Comment l’art peut-il exister avec l’emprise totalitaire du parti Baath ? « Je suis plus syrienne que vous tous, » hurle l’actrice Mai Shaf, emmenée par la police secrète. Les auteurs Yam Mashhadi, Rima Flaihan, l’acteur Nidal Hassan sont arrêtés eux aussi. Mohammad et Ahmad Malas sont frappés et jetés en prison. Leurs geôliers essaient de les convaincre : « Ton Dieu, c’est Bachar ! » « Non »,  a répondu Ahmad, « Mon Dieu, c’est Dieu ! »

[image:2,s]Miracle de la culture… Quelques jours plus tard, les deux frères sont à Avignon. Dans le cadre du Festival « off », ils participent à la manifestation « Le Printemps arabe fait son festival » au Centre européen de poésie de la ville. Avec le Théâtre des Arts du Monde Arabe et de la Méditerranée », il joue, du 22 au 27 juillet, leur pièce fétiche. .

Le rideau baissé, ils regagnent Damas. Les révolutions ne sont pas toujours remises à la veille ou au lendemain…  

Beyrouth : « C’était pire que Damas »

Début octobre, la répression s’intensifie. Les menaces se font plus précises, ils craignent d’être arrêtés et de « disparaitre ». Direction Beyrouth. Depuis le début de l’insurrection, à la mi-mars, quelque 5000 réfugiés syriens ont choisi, comme eux, le Liban comme refuge pour fuir les exactions du régime de Bachar al-Assad. Parmi eux, de nombreux opposants et déserteurs de l’armée syrienne.
Les frères Malas passent un mois au Liban, en semi-clandestinité, dans la crainte d’être enlevés. « Au Liban, on vivait en cachette, à cause des menaces et des disparitions d’opposants syriens. C’était pire qu’à Damas », raconte Ahmed Malas, 29 ans.

D’après Mohammad, la connivence entre le gouvernement libanais, dominé par le Hezbollah pro-syrien, et Damas les rend de plus en plus vulnérables. «Il y a deux semaines, deux étudiants kurdes syriens ont disparu à Beyrouth et, depuis, nous sommes sans nouvelles d’eux», dit-il. Un exemple sur tant d’autres: selon le Conseil national syrien (CNS), au moins 13 dissidents ont, à ce jour, été enlevés au Liban. Et les Libanais auraient presque plus peur de Bachar al-Assad que les Syriens…

Ils sautent dans un bateau et rejoignent Le Caire où ils arrivent le 10 novembre….

Le Caire, un eldorado pour les « fugitifs » syriens

[image:6,s]Bien que pris dans l’engrenage de ses propres troubles postrévolutionnaires, Le Caire est un véritable eldorado aux yeux des fugitifs syriens. «Ici, il n’y a pas de frontière commune avec la Syrie. On se sent enfin en sécurité !» soupire Ahmed. La capitale égyptienne abrite également le siège de la Ligue arabe, qui vient d’exclure la Syrie, tout en lui adressant un ultimatum, pour qu’elle cesse de martyriser sa population et respecte le plan de sortie de crise précédemment accepté.

Depuis qu’ils sont arrivés en Egypte, les deux frères de 28 ans sont intarissables. Au Caire, ils disent avoir retrouvé leur liberté de parole. Et c’est d’abord place Tahrir, l’épicentre du soulèvement contre le régime de Moubarak, un des grands symboles du « Printemps arabe », qu’ils ont tenu à se rendre, comme en pèlerinage, et prononcer, pour la première fois en plusieurs mois, le mot « Hurriya », liberté.

Poursuivre la révolution autrement…

[image:3,s]Mais ils en sont sûrs « à 100% », leur « révolution » vaincra. Ils seront bientôt de retour dans « la nouvelle Syrie, la Syrie libre », dit Mohammad. « En tout cas, je l’espère. En partant, j’ai promis à mes amis restés en Syrie qu’en février, au plus tard, nous nous baladerons de nouveau ensemble dans les rues de Damas ».
En attendant, via Skype ou Facebook, ils restent en contact avec leurs amis à Damas, où la connexion n’a jamais été interrompue, contrairement à des villes comme Homs et Hama. En contact avec plusieurs troupes, certaines créées depuis le départ d’Hosni Moubarak, ils espèrent bientôt jouer leurs pièces devant les Egyptiens.

Mohammad et Ahmad Malas évoqueront devant eux la « vraie Syrie, leur public où il y avait des chrétiens, des sunnites, des druzes, des ismaëliens, même des Alaouites, comme Bachar et le clan Assad. » 

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