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Le parti de Poutine sauve de peu sa majorité absolue

[image:1,l]Une chose est sûre : la victoire n’est pas aussi belle qu’il y a 4 ans. Ce lundi 5 décembre au matin, la commission électorale russe a annoncé que le parti « Russie Unie » obtenait 238 sièges sur les 450 en jeu, lors de ces élections législatives de la veille. Peu avant, il avait été annoncé que sur 90 % des bureaux de vote, les candidats du parti Russie Unie ne franchissaient pas, en voix, la barre des 50 %. Un net recul par rapport aux 64,3 % obtenus en 2007. Contrairement aux premières rumeurs, et compte tenu des particularités du système proportionnel, Russie Unie conserverait la majorité absolue en sièges mais perdrait la majorité qualifiée qui lui permettait, seule, de modifier la constitution.
L’opposition atteint des scores inespérés : le parti communiste de Guennadi Ziouganov (KPRF) obtiendrait 20 %, les nationalistes de Jiri Jirinovski (LDPR) un peu moins de 15 % et Russie Juste, au centre gauche, autour de 13 %.

Poutine et Medvedev contestés

« C’est un résultat optimal qui reflète la situation réelle dans le pays. En nous appuyant sur ce résultat nous pourrons assurer le développement stable du pays », a déclaré Vladimir Poutine. Le Premier ministre peut s’efforcer de faire bonne figure, ce résultat prend la forme d’un camouflet doublé d’un premier avertissement. Les Russes semblent quelque peu las du verrouillage de la vie politique orchestré par le tandem de choc Poutine-Medvedev.

Le 30 août dernier, le président de la Fédération russe, Dmitri Medvedev, a annoncé la tenue des prochaines élections législatives le 4 décembre 2011. Ce scrutin pour le renouvellement des 450 membres de la Douma, chambre basse du Parlement, comme tous les quatre ans, semblait ne devoir être qu’une formalité, un des plus grands exercices démocratiques au monde, en apparence seulement, une formalité avant l’élection présidentielle du 4 mars 2012.

Une petite formalité avant la présidentielle de mars 2012…

L’exercice apparaissait purement formel. Ces quatre dernières années, la vie politique russe a été agitée par une seule question : qui sera le prochain président de la Fédération russe ? Une question qui en cache une autre : Vladimir Poutine, actuel Premier ministre et ancien chef de l’État de 2000 à 2008, va-t-il se présenter à nouveau et récupérer les clés du Kremlin ?
L’incertitude a été levée une première fois le 24 septembre dernier lors du congrès du parti « Russie Unie », puis confirmé, dimanche dernier, le 27 novembre : Da, Vladimir Poutine sera bien candidat du parti, aujourd’hui majoritaire, à l’élection présidentielle du 4 mars 2012 et le président sortant, Dmitri Medvedev, s’est vu promettre de (re)devenir son Premier ministre à l’issue du processus.
Ce jeu de chaise musicale repose sur un accord bien huilé, conclu entre les deux hommes il y a plusieurs années pour contourner l’impossibilité à laquelle était confronté Poutine en 2008 d’effectuer un troisième mandat. À l’époque, celui-ci ne souhaitait modifier la constitution dans son intérêt, comme un vulgaire despote, et risquer d’altérer l’image internationale du pays. L’an prochain, il pourra en toute légalité reprendre ses quartiers au Kremlin et, avec le passage à 6 ans, déjà voté, de la durée du mandat présidentiel, y rester jusqu’en 2024. Alors, il aura passé près d’un quart de siècle à la tête de la Russie, du jamais vu depuis Staline et son culte de la personnalité.

Vladimir Poutine a organisé la reprise en main de Russie Unie

[image:2,s]Avec subtilité. N’ayant plus pleinement confiance dans son propre parti, Russie Unie, Vladimir Poutine a créé, en mai dernier, le Front populaire panrusse (ONF), avec pour mission de « coordonner tous ceux qui ne sont pas indifférents au destin de la Russie ». L’organisation regroupe les « forces vives » de la société russe : individus, associations mais aussi entreprises et syndicats, vétérans de la guerre d’Afghanistan ou leaders de mouvements de jeunes. Un parallèle troublant que celui flagrant d’une autre initiative similaire : la création en 1937 par le Parti bolchevique du « Bloc des communistes et des sans-parti » pour permettre à des associations de citoyens et des collectivités ouvrières de soutenir le régime. Fin stratège, Poutine a ainsi exigé l’organisation de primaires pour la sélection des candidats de Russie Unie aux législatives. 150 des 450 places ont été réservées aux représentants du Front populaire panrusse.

Une opposition muselée mais requinquée

La campagne électorale semble n’avoir été qu’une comédie, dont le seul but était d’éviter que n’émerge une force alternative. Le scrutin législatif, comme le scrutin présidentiel, devait être précautionneusement verrouillé. Insuffisamment, semble-t-il.

Les deux partis nationalistes en nette progression

La Russie compte deux grands partis nationalistes.
[image:3,s]À gauche, le Parti communiste (KPRF), dirigé par Guennadi Ziouganov, atteindrait son objectif : environ 20 % des voix. Héritier direct du Parti communiste de l’Union soviétique, parti des nostalgiques des solutions totalitaro-marxistes, il s’efforce aussi d’attirer tous les laissés pour compte, si nombreux, de la Russie d’aujourd’hui. Au programme : le retour à la grandeur d’antan par des méthodes d’antan, entre autres, la nationalisation des entreprises et des biens des oligarques, nouveaux koulaks, et la progressivité de l’impôt.
À droite – à l’extrême droite -, le mal nommé Parti démocrate-libéral (LDPR) de Jiri Jirinovski. Ce parti a choisi pour slogan « Pour les Russes ». Le LDPR se révèle très utile, du point de vue du régime, pour canaliser un sentiment nationaliste en forte hausse dans le pays. 46 % des Russes se déclareraient xénophobes. Le Parti démocrate-libéral ne devient pas le 2e parti de la Douma et devra se contenter d’approcher les 15 %, loin des 25 % espérés.

La social-démocratie et l’illusoire union de la gauche

Russie Juste (SR), parti social-démocrate, paraissait marginalisé, il réussirait une percée avec autour de 13 % des suffrages. Le leader du mouvement s’appelle Nikolai Livitchev. Il propose une alliance avec le KPRF, de sorte que la gauche soit majoritaire. Plus si illusoire qu’il pouvait sembler à la veille du scrutin.

Au centre, des partis tampons sous tutelle du pouvoir

Juste Cause (PD) est positionné au centre-droit de l’échiquier politique et est né en 2008 de la fusion de trois mouvements libéraux. Le 25 juin dernier, le milliardaire et homme d’affaires Mikhaïl Prokhorov – considéré comme l’homme le plus riche de Russie – était élu à la tête du parti. Sa proximité avec le Kremlin est indéniable. Depuis, le propriétaire de l’équipe de base-ball des New York Mets a été déchu, interdit d’élection et remplacé par Andreï Dounaïev. Il s’y voyait déjà…

Des fraudes et des manifestations pagne présidentielle

Alors que ces élections semblaient se dérouler dans une grande indifférence, les Russes ont manifesté leurs inquiétudes devant la dégradation de leurs situations matérielles et les sombres perspectives économiques. Ils semblent aussi qu’ils aient voulu adresser un avertissement au tandem Poutine-Medvedev. 41 % d’entre eux regardent avec indifférence le retour au Kremlin de l’ancien président.
L’opposition dénonce des fraudes et des irrégularités dans de nombreux bureaux de vote. « Nous avons reçu des milliers de plaintes des états-majors régionaux, confirmant le caractère massif des infractions et des falsifications », a déclaré dans un communiqué Ivan Melnikov, l’un des dirigeants du comité central du PC. Mais les autorités ont affirmé que le scrutin s’était déroulé globalement sans accroc. « Nous n’avons pas enregistré d’infractions graves à la loi (…) qui pourraient influencer véritablement l’issue de l’élection », a déclaré le Premier vice-ministre de l’Intérieur, Alexandre Gorovoï, cité par les agences russes. Selon lui, 2 050 infractions à la loi électorale ont toutefois été observées, « soit 30 % de moins qu’aux législatives de 2007 ».

Plus de 170 opposants russes ont par ailleurs été interpellés dimanche alors qu’ils tentaient de prendre part à des manifestations non autorisées à Moscou et à Saint-Pétersbourg pour protester contre le déroulement des législatives. Parmi eux, l’écrivain et opposant Édouard Limonov, qui a annoncé son intention d’être candidat à la présidentielle de 2012.

La présidentielle, c’est désormais la prochaine échéance, le 4 mars 2012. La campagne peut commencer. Après cette relative déconvenue, Vladimir Poutine devra sans doute revoir sa stratégie.

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