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L’Ukraine penche-t-elle à l’est ou à l’ouest?

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Tous les regards sont tournés vers l’Ukraine


L’Ukraine s’est trouvée dans une situation plutôt inconfortable ces derniers mois. L’emprisonnement de l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko a fait jaillir les critiques d’Europe et d’ailleurs, et se sont transformées en spéculation sur l’éventuelle adhésion du pays à l’Union Européenne ou l’autre éventuelle idée de rejoindre la confortable « Union Eurasienne » de Vladimir Poutine, qui en demanderait moins en termes de respect des droits de l’Homme et de la démocratie.


Le 19 décembre, l’Europe a soulevé ces enjeux. Lors d’un sommet à Kiev, et dont l’objectif était d’avancer vers un accord commercial avec le continent. Le président de l’Union Européenne, Herman Van Rompuy a fait part de ses inquiétudes concernant les abus politiques de l’Ukraine. Ces abus pourraient, selon lui, mettre en péril tout éventuel accord. Il a mentionné, en particulier, l’emprisonnement de Ioulia Timochenko. Il s’agit, selon lui, de « l’exemple le plus frappant ».


Ioulia Timochenko a été condamnée, en octobre dernier, à sept ans de prison.


L’actuel Premier ministre, Myloka Azarov a accepté de s’entretenir avec Éric J. Lyman de Global Post. Après deux brefs séjours en tant que vice-Premier ministre et un en tant que ministre des Finances, Myloka Azarov a repris la suite de Ioulia Timochenko après le scandale de 2010.


Le scandale Timochenko


Global Post : L’Union Européenne a beaucoup critiqué l’arrestation de l’ancien Premier ministre Ioulia Timochenko. Pensez-vous que l’UE puisse se permettre d’intervenir dans une affaire de ce type ? Est-ce un risque pour la souveraineté nationale de l’Ukraine ?

[image:2,s]Myloka Azarov : (rires) Bien, essayons de poser cette question différemment : est-il correct, pour un officiel du gouvernement, d’agir tel que l’a fait Ioulia Timochenko ? Si ceux qui critiquent l’Ukraine pensent qu’elle a agi correctement, cela change la donne. J’ai été surpris de voir à quelle vitesse les critiques ont été lancées, sans même que leurs auteurs aient pris le temps de comprendre la situation. Seule la Cour est en mesure de rendre un jugement.


Global Post : Résumons votre opinion au sujet de la situation de Ioulia Timochenko. Comment l’expliqueriez-vous à quelqu’un qui ne connaît pas cette affaire ?

Myloka Azarov : Il y a beaucoup de mythes et de spéculations autour de cette affaire. Si vous lisez la décision de la Cour, vous verrez qu’il n’est pas question de politique. Le grand préjugé de cette histoire est qu’elle se soit fait emprisonner pour des raisons politiques.


Global Post : Et dans ce contexte, pouvez-vous nous expliquer cette décision ?

Myloka Azarov : La Cour l’a condamnée, non pour les conclusions concernant les contrats gaziers, mais pour des violations du droit qui ont été constatées pendant ces accords.


Ce que je veux dire, c’est que la loi ukrainienne a été violée à la toute fin des négociations, ce qui a causé de grandes difficultés pour l’Ukraine.


Je m’explique : si Ioulia Timochenko avait signé le même contrat tout en suivant les lois applicables, le cas n’aurait jamais été porté devant la justice. Mais pendant les négociations, le président de la compagnie nationale du gaz en Ukraine a déclaré qu’il ne signerait pas le contrat, sauf si le gouvernement lui ordonnait, parce qu’il était trop défavorable pour le pays. Ioulia Timochenko a montré au président un document qui, selon elle, était la décision officielle du gouvernement. Mais il n’y avait pas de décision du gouvernement, c’était sa propre décision.


Global Post : Mais en tant que Premier ministre, ne représente-t-elle pas le gouvernement ?

Myloka Azarov : Imaginez juste que la chancelière allemande, Angela Merkel, présente un projet au Bundestag, et qu’ils ne l’approuvent pas mais qu’elle décide de passer outre. J’imagine que les critiques seraient très fortes.


Global Post : Quelles étaient ses motivations pour vouloir absolument signer un accord aussi défavorable ?

Myloka Azarov : (rires) Nous ne pouvons que spéculer sur ses motivations. Mais je pourrais ajouter que sa société privée a de grosses dettes envers le ministère de la Défense russe, 405 millions de dollars. Nous pouvons juste nous demander si c’était un facteur, mais comprendre ses motivations n’est pas nécessaire pour examiner les réalités de ce cas. [ndlr : Timochenko a toujours clamé son innocence]


Union Européenne vs. Union Eurasienne


Global Post : Quelles sont les ambitions de l’Ukraine concernant une éventuelle adhésion à l’Union européenne ou une intégration avec la Russie ? J’ai lu beaucoup d’informations contradictoires. Qu’est-ce que propose, exactement la Russie ?

[image:3,s]Myloka Azarov : Bien, nous venons juste de signer un traité de libre-échange avec les [Communauté des États Indépendants (CEI)] pays. Cela doit maintenant être ratifié, ce qui, je le pense, arrivera à temps pour entrer en vigueur au 1er janvier. Ce sera extrêmement bénéfique pour nous parce que cela nous ouvrira des marchés, et limitera le nombre d’exemptions de libre-échange, y compris une élimination progressive des tarifs douaniers sur le sucre et les droits sur le gaz provenant d’autres pays, dont l’Ouzbékistan, le Turkménistan et le Kazakhstan, qui passe par le territoire russe pour venir en Ukraine. Les dates doivent encore être négociées, mais ce processus a déjà commencé. Ce sera un contrat très important.


Global Post: Ce contrat prouve-t-il que l’Ukraine va se rapprocher des pays de la Communauté des États Indépendants plutôt que de l’Union européenne ? Beaucoup de spéculations ont été faites autour de cette idée. L’Ukraine souhaiterait se rapprocher des anciens pays soviétiques. La Communauté des États Indépendants en demanderait également moins à l’Ukraine que l’Union européenne.

Myloka Azarov : (rires.) C’est un nouvel exemple du mythe qui existe autour de la relation entre l’Ukraine et ses voisins. Au nord et à l’est, nous sommes frontaliers de la Russie et d’autres pays de la CEI, et à l’ouest nous sommes les voisins de quatre pays européens (Roumanie, Hongrie, Slovaquie et Pologne). Cette position nous force à vivre pacifiquement avec tous nos voisins. Nous voulons défendre nos intérêts nationaux et un de nos intérêts est d’entretenir de bonnes relations avec tous nos voisins.


Global Post : Si vous regardez dans 20 ans, serait-il plus surprenant, selon vous, de voir l’Ukraine comme un membre d’une organisation étroite entre les membres de la CEI, ou plutôt comme proche alliée de l’Union européenne.

Myloka Azarov : Tout d’abord, dans 20 ans, l’Union européenne aura considérablement changé et la CEI aura changé tout autant. Je crois que les principes de base de l’UE, comme la liberté, les droits de l’Homme, et la démocratie seront de plus en plus les valeurs des membres de la CEI.


Mais il est impossible de prévoir ce qui se passera dans 20 ans. Je vais vous raconter une histoire : je viens de rentrer de la visite d’une usine à Dnipropetrovsk. Il y a tout juste 20 ans, c’était un site hautement qualifié qui produisait des missiles et des satellites pour l’Union soviétique. Aujourd’hui, je l’ai vu de mes propres yeux : elle produit les pièces pour la station spatiale Stanford Torus, en collaboration avec des scientifiques américains. Vous ne pouvez pas imaginer le niveau de collaboration et de confiance que cela nécessite. Vous auriez pu imaginer cela, 20 ans plus tôt, pendant la Guerre Froide ?


C’est pour cela que je suis optimiste pour l’avenir, parce que je crois que le futur nous apportera de nombreuses formes d’intégration. Je crois que l’humanité est face à de sérieux défis qui vont demander un haut niveau d’intégration.


Global Post : Êtes-vous en train de dire que l’Ukraine pourrait intégrer l’Union européenne et la Communauté des États Indépendants ?

Myloka Azarov : Oui, les deux. Et je pense qu’ils vont tous s’intégrer dans différentes mesures. Et l’Ukraine jouera un rôle important dans ce processus.


Les leçons de Tchernobyl et Fukushima


Global Post : Tchernobyl, en Ukraine, a fêté ses tragiques 25 ans. Plus tôt cette année, nous avons assisté à l’explosion des réacteurs de Fukushima, au Japon. En Europe, l’Allemagne explique qu’elle veut sortir du nucléaire, l’Italie déclare qu’elle veut réintroduire l’énergie nucléaire. L’Ukraine a dû gérer les conséquences de Tchernobyl pendant toute une génération. Quel est l’avis du pays sur la question?

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Myloka Azarov : Je suis convaincu qu’en dépit de tout, nous n’avons pas d’alternatives à l’énergie nucléaire. L’humanité a tiré des leçons de ses erreurs. Personne n’a arrêté de construire des bateaux après le Titanic. Mais les gens commencent à faire plus attention à la sécurité et à la sureté. Je pense que les désastres de Tchernobyl et de Fukushima nous enseignent quelque chose, nous devons faire plus attention à la conception, à la construction et à d’autres règles de sécurité. Nos scientifiques nous expliquent qu’une usine peut être conçue de manière dix fois plus sûre que celles du Japon, et beaucoup, beaucoup de fois plus sûres que celle de Tchernobyl.


Souvenez-vous que le soleil, lui-même, est une réaction nucléaire. L’énergie nucléaire est un processus naturel, mais la sécurité et la sûreté doivent être la plus grande priorité.

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