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Mikhaïl Gorbatchev conseille à Vladimir Poutine de partir

[image:1,l]Samedi 24 décembre, l’hiver moscovite n’aura pas eu raison des manifestants. Bravant le froid et la neige, ils étaient des dizaines de milliers 29 000 selon les autorités et 120 000 selon les organisateurs – agglutinés avenue Sakharov, du nom de l’ancien dissident soviétique, pour faire entendre leur opposition croissante à Vladimir Poutine. Né des soupçons – largement documentés – de fraudes lors des élections législatives du 4 décembre, remportées par le parti au pouvoir, Russie Unie, avec 49,32 %, le mouvement demande désormais ouvertement le départ du Premier ministre, qui espère encore faire son retour au Kremlin, où il a déjà effectué deux mandats, à l’occasion de la présidentielle du 4 mars prochain.


Mikhaïl Gorbatchev conseille à Poutine de partir


[image:2,s]Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l’Union soviétique, a jugé que le temps de quitter le pouvoir était venu pour Vladimir Poutine.
Il avait déjà qualifié d’ « historique » la manifestation précédente du 10 décembre et appelé les autorités russes à organiser de nouvelles législatives.
Samedi 24 décembre, le père de la perestroïka s’est exprimé à la radio Echo de Moscou : « Je conseillerais à Vladimir Vladimirovitch (Poutine) de partir maintenant. Il a déjà fait trois mandats : deux en tant que président (2000-2008), un en tant que Premier ministre – trois mandats, ça suffit , a-t-il déclaré. Il devrait faire la même chose que moi. Moi, à sa place, je le ferais car ainsi il pourrait préserver toutes les choses positives qu’il a faites », a-t-il encore souligné.
Mikhaïl Gorbatchev a rappelé qu’il a longtemps soutenu Vladimir Poutine après son arrivée au Kremlin dans une Russie plongée dans le chaos économique et politique post-soviétique, mais que désormais un changement de fond était nécessaire dans le pays.



Il y a vingt ans Mikhaïl Gorbatchev quittait le pouvoir


Hasard du calendrier, il y a tout juste vingt ans, Mikhaïl Gorbatchev quittait le pouvoir. Discrédité, honni par sa population et confronté aux proclamations d’indépendances des républiques soviétiques, le 25 décembre 1991, il annonçait à la télévision sa démission, prenant acte de la disparition de l’URSS. Le 8 décembre 1991, la Communauté des États Indépendants (CEI) fut créée. Par la signature du traité d’Alma-Ata le 21 décembre 1991, onze des quinze anciennes républiques soviétiques adhérèrent ainsi à la CEI. La Russie, présidée par Boris Eltsine, était reconnue comme État-successeur de l’URSS





Dans un entretien à L’Express, publié le 17 décembre, Gorbatchev revenait sur les circonstances de son départ. Comme à plusieurs reprises au cours des deux dernières décennies, l’ancien apparatchik a fait preuve d’une très grande lucidité sur les erreurs qu’il aurait pu commettre : « J’ai tardé à accélérer la démocratisation de l’Union soviétique, tardé à réformer le Parti communiste, qui a pris la tête du combat contre la perestroïka. Nous avions décidé, avec les dirigeants des Républiques, de transformer l’URSS en une communauté d’États souverains, et c’est ce qu’il aurait fallu faire, mais nous avons pris du retard dans cette refonte de l’URSS. »


Une voix écoutée, un poids politique nul


Sa voix est encore très écoutée, d’autant qu’elle se fait de plus en plus critique. Il aura bientôt 81 ans et il a vécu, en tant qu’acteur principal, la transformation de l’URSS en Russie, avant d’être brutalement évincé. C’est dire si son jugement sur Vladimir Poutine, sur les oligarques, sur la corruption et les atteintes aux droits de l’homme dans son pays conserve une valeur toute particulière en ces temps troublés. Retiré des affaires publiques, il garde sa liberté de parole ainsi qu’un regard aigu sur ce qui se passe au cœur de la nomenklatura moscovite. Un constat lucide, implacable, mais qui ne saurait, pour autant, lui donner de rôle politique à jouer.


Le camp Poutine répond par le mépris


[image:3,s]Le camp de Vladimir Poutine, qui à plusieurs reprises a dit regretter la disparition de l’URSS et estimé que ses derniers dirigeants s’étaient montrés trop faibles, a jugé dimanche à demi-mot que Mikhaïl Gorbatchev n’avait pas de leçons à donner au régime actuel. « Nous respectons beaucoup (Mikhaïl Gorbatchev), mais je suis né en 1967 en Union soviétique et ce pays a cessé d’exister lorsqu’il en était le dirigeant », a déclaré dimanche, Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine.
Ce mépris induit nécessairement un anachronisme. Les historiens ont, d’ores et déjà, largement documenté le rôle essentiel tenu par Mikhaïl Gorbatchev dans la fin pacifique du communiste, tant en Russie, dans l’essentiel du reste de l’URSS, qu’à travers les démocraties populaires. Tout autre que lui aurait pu, par goût du pouvoir ou dogmatisme idéologique, provoquer un conflit sans précédent. Si les rapports de force et la culture politiques ont été bouleversés au cours des deux dernières décennies, il ne faut pas oublier. La particularité historique de Mikhaïl Gorbatchev n’est-elle pas, justement, d’avoir été – cas unique, ou presque – un opposant au régime qu’il dirigeait, un opposant pragmatique veillant à réformer de l’intérieur, sans réveiller les forces conservatrices qui l’avaient laissé s’installer au pouvoir.  


Le « grand espoir » de Gorbatchev se heurte à la division de l’opposition


[image:4,s]« Je lutte avec vous pour la liberté », disait le message adressé aux manifestants par Mikhaïl Gorbatchev dont la santé n’avait pas permis de se rendre à la manifestation de samedi. « Je suis heureux d’avoir vécu ce réveil politique de la société russe, a-t-il dit, ça crée un grand espoir ».
Un « grand espoir » qui se heurte à la division de l’opposition. Une division visible à la disparité des couleurs des drapeaux qu’agitaient les manifestants : le rouge des communistes, le blanc-jaune-noir des nationalistes, l’orange du mouvement Solidarnost… et les pancartes des représentants de la société civile et du monde de la culture et des arts.


Quelle image, tout de même, cela aurait été que de voir le dernier président du Præsidium du Soviet suprême de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques se mêler à la foule, avenue Sakharov, alors que le blogueur anti-corruption, Alexeï Navalnyi, figure montante du mouvement, hurlait : « Nous sommes le pouvoir ! »

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