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Une opposition dispersée… et manipulée ?

[image:1,l]Difficile de connaître le réel rapport des forces politiques en Russie. Si des fraudes sont établies, nul n’en connaît l’exacte ampleur. Une chose est sûre : officiellement, si Russie Unie, le parti du pouvoir, a obtenu une majorité de sièges à la Douma – 238 sur 450 -, ses candidats n’ont pas dépassé la barre fatidique de 50 % des suffrages, devant se contenter sur l’ensemble du territoire de 49,32 %. À trois mois de l’élection présidentielle du 4 mars 2012 au suffrage universel direct et uninominal, ces résultats accordent tout de même une avance confortable au candidat Poutine. Face à lui, l’opposition est divisée : Parti communiste 19,19 %, libéraux de Russie Juste 13,24 %, nationalistes xénophobes du Parti libéral démocrate 11,67 %. Pourtant, compte tenu du contexte dans lequel s’ouvre cette campagne, le jeu est indéniablement plus ouvert qu’imaginé précédemment – et l’enjeu pourrait ne pas consister seulement à mettre Vladimir Poutine en ballottage. Il semble que celui-ci l’a compris et veille…


Prokhorov et Koudrine, deux anciens proches de Poutine, entrent en lice


[image:2,s]Lundi 12 décembre, deux personnalités libérales, réputées proches de l’actuel Premier ministre, se sont lancées dans la course présidentielle. La plus grande surprise est venue de l’oligarque Mikhaïl Prokhorov, à la tête d’une fortune estimée à 18 milliards de dollars, la troisième de Russie. Étonnante décision de la part d’un homme, qui, en vue des législatives, avait été propulsé au printemps dernier, avec l’aval du Kremlin, aux commandes d’un petit parti de droite avant de s’en voir évincé à l’automne. Son éviction avait suivi quelques manifestations d’indépendance vis-à-vis du pouvoir et lui-même l’avait mise sur le compte de Vladislav Sourkov, chef adjoint de l’administration présidentielle, chargé des manœuvres politiques.


Hasard ou non, une autre personnalité libérale, l’ex-ministre des Finances Alexeï Koudrine, sèchement limogé en septembre pour avoir indiqué qu’il n’entendait pas servir dans un gouvernement dirigé par Dmitri Medvedev si celui-ci redevenait Premier ministre, vient, lui aussi, d’annoncer son retour en politique. Mais, pas sous l’égide du parti de Vladimir Poutine. Fin limier, il est loué depuis dix ans pour sa clairvoyance macroéconomique et sa rigueur budgétaire.


Une manœuvre de plus du Kremlin : diviser pour régner ?


[image:3,s]Dans les deux cas, s’agit-il de véritables déclarations d’intention ou de manœuvres bien orchestrées du Kremlin pour semer la division dans le camp de l’opposition ? Lors d’une conférence de presse organisée à la dernière minute, Mikhaïl Prokhorov a justifié son engagement : « Ce n’est pas dans mes habitudes de m’arrêter à mi-chemin. Nous avons mis en place toute l’infrastructure pour recueillir les deux millions de signatures (nécessaires) ». « Le processus de consolidation des forces libérales et démocratiques va se mettre en marche. Je suis prêt à y contribuer », a assuré Alexeï Koudrine.


[image:4,s]Boris Nemtsov, l’un des leaders de la manifestation de samedi 10 décembre, a réagi sans tarder. Pour l’ex-vice-Premier ministre du président Boris Eltsine, « le pouvoir essaie de briser la vague de colère populaire ». Déjà, dès dimanche, le Kremlin, avec sa proposition d’enquête sur les fraudes aux législatives, semblait chercher à créer la division au sein d’une opposition déjà éclatée. Un leader est loin de s’imposer : sur l’estrade de la manifestation, les personnalités ont défilé pendant trois heures. Notamment les dirigeants des deux mouvements libéraux, Solidarité et Parnas.


 


La gauche et la société civile en ordre dispersé


L’épouse de Sergueï Oudaltsov, le leader du « Front de gauche » se réclamant de l’Internationale socialiste, a, elle aussi, pris le micro, son mari ayant été interpellé quelques jours avant. Autre personnalité d’extrême gauche : l’écrivain Édouard Limonov, fondateur du parti national-bolchévique aux discours radicaux.


Même division du côté des mouvements citoyens. Evguenia Chirikova est la dynamique locomotive de l’association qui a pris la défense d’une forêt de Moscou contre la construction d’une autoroute. Pourtant, le mouvement écologiste reste très contesté. De la société civile viennent aussi des défenseurs des droits de l’homme, comme les équipes des associations Memorial et du groupe Helsinki de l’ancienne dissidente soviétique Lioudmila Alexeeva. La lutte anticorruption a aussi fédéré des oppositions. Avec une figure phare : Alexeï Navalni, l’inventeur de la très populaire formule qui accuse le pouvoir d’être le « parti de bandits et de voleurs » et auteur d’un blog, Rospil, spécialisé dans la traque des appels d’offres publics, sources notoires de compléments de revenus pour les fonctionnaires. Une autre figure de la lutte anticorruption – moins médiatique mais respectée – était en revanche présente : Elena Panfilova, la directrice du bureau russe de Transparency International.


L’improbable alliance entre le communiste Ziouganov et le nationaliste Jirinovski


Les deux principales forces politiques historiques d’opposition aux régimes Eltsine-Poutine-Medvedev, le Parti communiste et le Parti Libéral-démocratique se sont dispensées de démonstrations de force au cours des derniers jours de manifestation. Craignent-ils, chacun de leur côté, des débordements et une escalade prématurée ? Ou bien attendent-ils, tapis, leur tour ? Laissant d’abord monter la grogne et comptant sur une erreur du pouvoir, un peu à la manière des Islamistes durant les « Printemps arabes »…
[image:5,s]Au premier tour de la présidentielle, Guennadi Ziouganov et Vladimir Jirinovski ont déjà annoncé qu’ils seraient présents chacun sous leurs couleurs. Mais, en cas de deuxième tour, pour lequel le communiste semble avoir le plus de chance de se qualifier face à Poutine, qu’adviendrait-il ? Au nom du « Tout sauf Poutine », le leader d’extrême-droite rallierait-il celui de la gauche ? Et si oui, à quelles conditions ? Une alliance formelle de leurs deux mouvements, et c’est le scénario du pire, pire que Poutine, une coalition rouge-brun redoutée depuis 20 ans et la chute de l’URSS. À moins que la frange du parti communiste passée du rouge au rose ne parvienne à ouvrir la voie à une union des gauches, version démocraties avancées.


Fin de non-recevoir


Et, tandis que cette opposition des plus hétéroclites se cherche désespérément un leader face à l’homme fort du pays, le pouvoir russe a opposé hier une fin de non-recevoir aux revendications des manifestants. Le porte-parole de Vladimir Poutine, Dmitri Peskov, a exclu toute remise en cause du résultat des élections malgré les fraudes présumées.


En Russie, plus qu’ailleurs, il arrive que l’histoire s’accélère et opte pour l’inattendu. Avant de se rêver au Kremlin pour six ans de plus, et peut-être douze, Vladimir Poutine ferait bien de s’en souvenir en ce mois de décembre qui marque le 20e anniversaire de la dissolution de l’URSS

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