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12.000 soldats US débarquent en Libye : info ou intox?

[image:1,l]La presse arabe bruit d’une nouvelle rumeur : les Américains seraient sur le point d’envoyer 12.000 soldats en Libye. Pourquoi cette nouvelle guerre, cette nouvelle invasion à la veille de la bataille électorale féroce que s’apprête à livrer Barack Obama face à ses adversaires républicains et en pleine crise économique ? Pourquoi risquer à nouveau la vie de tant de « boys » alors qu’en retirant les troupes d’Irak et d’Afghanistan, il tient fièrement une de ses principales promesses électorales ? Une « bonne guerre » pour faire oublier la crise, en appeler au réflexe patriotique et, surtout, mettre la main sur les ressources pétrolières libyennes, répondent les cyniques. Un petit air de déjà vu.

Plus encore, si l’on y ajoute la dénonciation, à mots plus ou moins couverts, du complexe militaro-industriel américain, du lobby du pétrole, des sionistes… On retrouve toutes les recettes des conspirationnistes, convaincus qu’une force invisible conduit les affaires du monde. Mais, revenons d’abord sur l’origine de cette rumeur concernant une imminente intervention américaine au sol en Libye.

Une rumeur portée par un éditorial du quotidien arabe Al-Quds al-Arabi

Un intrigant éditorial à la Une de l’édition du mercredi 18 janvier 2012 d’Al-Quds al-Arabi, influent quotidien arabe publié à Londres : « Les forces américaines sont-elles sur le point d’entrer en Libye ? ». 12.000 soldats américains – pas un de moins – seraient donc partis de Malte en direction la Libye voisine dans le plus grand secret avec pour mission de prendre le contrôle des ressources pétrolières…   

Abdel-Bari Atwan, rédacteur-en-chef du quotidien Al-Quds al-Arabi, débute son éditorial par un constat : « l’administration américaine n’a pas formellement démenti l’information selon laquelle elle avait stationné 12 000 soldats à Malte en vue de les envoyer en Libye pour reprendre le contrôle d‘une situation en cours de détérioration. »

Il poursuit en notant que les chaînes d’information satellitaires arabes ont vu leur intérêt pour la situation en Libye décroître et que, en conséquence, leur couverture des événements sur place diminuer après que l’intervention de l’OTAN a permis la chute du régime de Kadhafi.

« Selon les informations publiées dans de nombreux journaux occidentaux, la résistance au Conseil National de Transition (CNT) bénéficierait d’un soutien croissant au sein d’une partie de la population libyenne, et les pouvoirs du président du CNT, Mustafa Abdul-Jalil, s’érodent rapidement face à l’influence croissante des milices armées et de leurs commandants, » ajoute l’article.

Les milices armées sont la principale source d’inquiétude pour les habitants de Tripoli et des autres grandes villes : « Les gens craignent désormais pour leurs vies et les vies de leurs fils. La plupart des villes libyennes sont devenues des jungles où la violence se déchaîne et où les milices armées se déchirent pour le contrôle du territoire. » Il y a quatre milices principales : les régiments Al-Zintan, les régiments du conseil militaire de Tripoli, dirigés par Abd al-Hakim Bilhaj, les régiments de Misrata, et l’Armée nationale libyenne du chef d’Etat-major Khalifah Haftar.

L’éditorial explique qu’Usamah al-Juwayni, le ministre de la Défense dans le gouvernement du Premier ministre Abdul Rahim el-Keib, a promis à plusieurs reprises le retrait et la dissolution des milices ainsi que leur intégration dans l’armée : « Mais, ces promesses n’ont pas été suivies d’effets, aucune date n’a été respectée et le chaos continue à régner. »

Pour Al-Quds al-Arabi, les Occidentaux préservent leurs intérêts par néo-colonialisme  

Ensuite, l’éditorial ajoute que « les nations occidentales ne s’inquiètent pas de la situation, comme elles le devraient, et qu’elles continueront ainsi. Tant que le pétrole libyen continuera à couler dans leurs ports, elles se satisfont d’avoir rempli leur objectif, la chute de l’ancien régime. Elles se moquent du chaos en Libye, tant qu’une résistance armée ne se forme pas et ne vient pas mettre en danger l’industrie pétrolière libyenne en s’attaquant aux pipelines acheminant le brut des champs pétrolifères aux ports d’exportation. »

Aujourd’hui, il semblerait que la production pétrolière libyenne aurait retrouvé le niveau d’avant l’intervention de l’OTAN, soit 1,5 millions de barils par jour.

Al-Quds al-Arabi affirme que « selon certaines sources occidentales, la Libye est soumise à une nouvelle forme de colonialisme, car des forces de l’OTAN seraient déployées indirectement sur le sol libyen et l’essentiel des puits de pétrole et des ports libyens sont sous la protection ou le contrôle de ces forces. »

Le journal exprime son souhait que soient envoyés prochainement sur place des observateurs étrangers et arabes « pour fournir un état des lieux objectif de la situation réelle sur place, la nature des récents accrochages à Misrata, Ghiryan et Tripoli, pour savoir aussi quel sort est réservé, notamment, aux citoyens libyens noirs inculpés pour avoir soutenu le régime de Mouammar Kadhafi et combattu sous son drapeau vert. »  

L’éditorial d’Al-Quds al-Arabi conclut ainsi : « le renversement d’un régime dictatorial est une étape positive, mais cela peut tourner au désastre si l’alternative est le chaos, l’absence de sécurité, la guerre civile entre milices et l’occupation occidentale, officielle ou officieuse. »

La source d’Al-Quds al-Arabi : Cynthia Mc Kinney, ex-élue à la Chambre des représentants des Etats-Unis

Cynthia McKinney est une femme politique américaine, qui fut candidate à l’élection présidentielle de 2008 sous l’étiquette du Green Party (écologiste). De 1993 à 2003 et de 2005 à 2007, alors démocrate, elle a représenté la Géorgie à la Chambre des représentants des Etats-Unis. Elle a été incarcérée entre le 30 juin 2009 et le 7 juillet 2009 dans une prison israélienne à Ramla pour avoir essayé de transporter de l’aide médicale, des matériaux de reconstruction et des crayons pour enfants.

Cynthia McKinney, militante pacifiste, est opposée à toute intervention militaire en Libye et a publiquement accusé l’OTAN d’avoir assassiné Kadhafi.

Le 15 janvier 2012, elle publie un article dans le San Francisco Bay View, le quotidien national de la communauté afro-américaine, intitulé « 12 000 soldats américains en route pour la Libye ».

« C’est une très grande déception pour moi que d’avoir appris, de publications étrangères et de sources libyennes, que notre président a 12 000 soldats positionnés à Malte et qu’ils sont sur le point de débarquer en Libye, »  commence-t-elle. « Les informations que je reçois de Libye m’indiquent  que, lorsque les rebelles de Misrata – alliés de l’OTAN, responsable de la mort de centaines de Libyens, parmi lesquels Moatassem Kadhafi – ont essayé de prendre le contrôle des plateformes pétrolières de Brega, ils ont été exterminés par les hélicoptères Apache de leurs alliés de l’OTAN. Un docteur libyen devenu journaliste, membre de la résistance, a rapporté jeudi 12 janvier 2012 que les champs pétrolifères étaient occupés par l’OTAN et que des navires de guerre stationnaient dans les ports libyens. »

Elle poursuit : « Des photographies montrent des campements italiens dans le désert et des troupes françaises seraient sur le point d’être envoyées sur le terrain à leur tour. Un autre média rapporte que des ingénieurs qataris et emiratis travaillent désormais sur les puits de pétrole, mettant au chômage des ouvriers libyens. Alors que les automobilistes libyens font la queue aux pompes à essence, les troupes étrangères garantissent les exportations d’or noir… »

Le gouvernement maltais et l’ambassade des Etats-Unis nient la présence de troupes américaines sur l’île

Le gouvernement maltais s’est défendu, dès mardi 17 janvier, d’un communiqué dans lequel il prétend que « ces allégations sont totalement fausses ».
Jeudi 19 janvier, à son tour, l’ambassade des Etats-Unis à Malte a, dans un communiqué d’une ligne, catégoriquement démenti la présence de troupes américaines à Malte.

Quels intérêts sert cette rumeur ?

La rumeur est lancée, elle est reprise partout et, en particulier, dans la presse arabe, et la Pravda russe.
Les Etats-Unis et leurs alliés de l’OTAN préparent-ils une intervention au sol en Libye ? Nous l’ignorons. Si, du point de vue de la stratégie militaire, un tel débarquement, alors que les opérations aériennes ont officiellement cessé depuis plusieurs mois, paraîtrait bien hasardeux, ce n’est certes pas suffisant pour décréter la rumeur infondée.
Des journalistes occidentaux sont présents en nombre en Libye, et même si la situation sur place ne fait plus aussi fréquemment la « Une », il est difficilement imaginable qu’une telle information, notamment la présence de soldats italiens contrôlant les puits de pétrole, ne filtrerait pas…
Des soldats italiens, comme par hasard de l’ancienne puissance coloniale… et puis 12 000 soldats américains, à l’unité près le nombre de GIs ayant quitté l’Iraq en décembre 2011.

Un anti-américanisme et un anti-occidentalisme croissants 

Elle est peut-être trop grosse, cette ficelle, mais elle illustre une triste réalité que l’on perd trop souvent de vue : le décalage idéologique croissant qui divise le monde. Ce décalage pourrait sembler opposer d’un côté l’Occident, les Etats-Unis et l’Europe, et, de l’autre, une bonne partie du reste du monde, et en particulier le monde arabe, la « rue arabe ». Il est en réalité beaucoup plus perfide, il ne repose pas fondamentalement sur des critères géographiques, ethniques ou religieux, mais plutôt sur une certaine interprétation de l’histoire. Pour une part de plus en plus influente de l’Humanité, et, parmi elle, toutes les innombrables Cynthia McKinney, l’Occident – en particulier les Etats-Unis – et tout ce qu’elle incarne – du capitalisme aux droits de l’Homme, et des femmes – serait donc le mal ultime, vecteur de toute les oppressions. Forcément, toujours à l’affût, et prête à user de la canonnière pour défendre ses intérêts financiers… et l’on comprend ainsi le parcours et la persistance de cette rumeur.

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