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L’économie iranienne asphyxiée par les sanctions

[image:1,l] Quoiqu’en dise le président Mahmoud Ahmadinejad, les sanctions prises par les États-Unis pour exiger l’arrêt du programme nucléaire iranien sont loin d’être indolores pour l’économie de son pays. L’étau se resserre autour de l’Iran depuis que l’Union européenne a voté à son tour, lundi 23 janvier 2012, un embargo pétrolier.


La dévaluation du rial, signal d’un essoufflement


Un signe traduit bien les difficultés rencontrées : jeudi 26 janvier, le gouverneur de la banque centrale iranienne, Mahmoud Bahmani, a annoncé une dévaluation de 8 % du rial. L’année dernière, la monnaie nationale avait pourtant réussi à se maintenir au taux de 9 000 rials pour un dollar américain. Le nouveau taux officiel, désormais, est de 12 600 rials pour un dollar.


Mais dans les faits, la crise est bien plus profonde. Sur le marché noir – qui est un indicateur bien plus pertinent – un dollar vaudrait 23 000 rials. Une chute vertigineuse par rapport à son cours d’il y a à peine quelques mois. Dimanche 22 janvier, le gouvernement iranien a déployé ses forces de sécurité dans les rues de Téhéran et d’autres villes majeures avec l’intention d’arrêter quiconque échangerait des dollars ou transporterait des devises étrangères sans autorisation officielle.


Les Iraniens perdent confiance dans leur gouvernement


L’effondrement du rial a frappé les iraniens sans prévenir. Depuis le Nouvel An, leurs salaires ont perdu 80 % de leur valeur et ceux qui sont endettés auprès des banques publiques ou qui ont épargné avec la devise nationale sont encore plus durement touchés.


Principal source de richesse du pays, le secteur pétrolier iranien avait déjà souffert du ralentissement économique mondial depuis la crise de 2008. Les exploitations iraniennes, pour être rentables, exigent un seuil minimum de 92 dollars le baril, alors que le cours mondial actuel dépasse tout juste les 99 dollars. Les puits tournent donc au ralenti. Avec l’embargo et la perte de quelques uns de ses meilleurs clients internationaux, le pays court droit à la catastrophe. Privé des recettes de l’or noir, l’Iran commence à manquer sérieusement de devises pour importer des biens de consommation courante. La crise a des répercussions sociales et politiques. Frappée de plein fouet par les pénuries et la hausse des prix, la vaste classe moyenne iranienne a perdu confiance dans le gouvernement.


L’option militaire provisoirement écartée


Dans son discours sur l’état de l’Union, le 24 janvier, le président américain Barak Obama a répété une phrase bien familière : « toutes les options sont à prendre en considération » (« no options are off the table »). Il semble clair qu’une action militaire préventive puisse être envisagée si les Iraniens en viennent à développer une arme atomique.


Mais avec le renfort apporté par les Européens, la politique des sanctions commence à porter ses fruits. Si l’asphyxie de l’économie iranienne se poursuit, en venir aux armes pour faire plier l’Iran ne sera plus une nécessité. 


Les sanctions déstabilisent le régime


Vali Nasr, un ancien conseiller de Richard Holbrooke (le représentant spécial des Etats-Unis pour l’Afghanistan et le Pakistan), assure que les sanctions ont très efficacement touché le régime de Téhéran : « Les privations ont rendu le peuple très mécontent. Une autre série de sanctions pourrait conduire à des manifestations. Les dirigeants iraniens craignent de voir se répéter le scénario de 2009, où des manifestations massives avaient suivi les élections présidentielles pour dénoncer les fraudes. Ils considèrent maintenant que la politique des Nations unies en Iran n’a qu’un seul objectif : changer le régime ».


Une arme à double tranchant


Vali Nasr et beaucoup d’autres s’inquiètent néanmoins de voir la situation se retourner contre eux. Que le régime, craignant l’imminence d’une crise, ne réagisse en se concentrant davantage sur l’enrichissement de l’uranium ou en mettant ses menaces à exécution en bloquant le détroit d’Ormuz.


Mais pour d’autres, la crise économique est telle que Téhéran n’aura sûrement pas d’autre option que de négocier. Et ce fut le cas mercredi, quand le président Mahmoud Ahmadinejad a réaffirmé sa volonté de relancer les discussions sur l’énergie nucléaire avec le groupe des 5+1 (les cinq États siégeant au Conseil de sécurité de l’ONU, plus l’Allemagne).


La liste des pays sanctionnant l’Iran s’allonge


L’Iran peut cependant espérer que la Chine et l’Inde ne suivent pas l’exemple américain et continuent à se fournir en pétrole iranien. Mais la Corée du Sud et le Japon ont fait la promesse de rechercher des solutions alternatives, sous la pression des Nations unies. La France a déjà cessé d’importer du pétrole iranien et l’Italie, l’Espagne, la Grèce et les autres pays européens devraient en faire de même dès le 1er juillet. (L’UE représentait 18 % des ventes iraniennes en 2010, le Japon 14 %, la Corée du Sud 10 %, et la Turquie – qui n’a pas encore annoncé sa décision – 7 %).


L’Arabie Saoudite, rival pour le contrôle du Golfe persique


L’Arabie Saoudite , premier producteur mondial de pétrole brut, craint également la dimension militaire du programme nucléaire iranien. Le royaume wahhabite s’est publiquement engagé à remplacé les provisions de pétrole en augmentant sa propre production. Les Saoudiens, rivaux de longue date dans la domination du Golfe persique, accusent Téhéran de fomenter une rébellion parmi les chiites de Bahreïn et du Yémen, en plus de supporter les dissidents chiites au sein de leur propre pays. Entre les deux Etats, l’un sunnite, l’autre chiite, une véritable guerre froide s’est installée. En octobre dernier, les Etats-Unis ont annoncé avoir déjoué une tentative d’assassinat de l’ambassadeur saoudien à Washington, Abdel al-Jubeir, menée par deux agents secrets agissant sous les ordres de Téhéran. Une accusation que dément formellement l’Iran.


Délaissé par la Russie


L’Iran est devenu tellement isolé que même les russes sont restés muets à l’annonce des sanctions occidentales. Le ministre des affaires étrangères, Sergei Lavrov, a simplement fait remarquer, lors de l’un de ses occasionnels discours dénonçant les politiques européenne et américaine à l’égard de Téhéran, qu’il regrettait la décision européenne et espérait voir les négociations reprendre au plus vite.


L’Iran va-t-il fermer le détroit d’Ormuz ?


La Russie a traditionnellement protégé l’Iran au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, mais elle s’inquiète, tout comme la Chine, des tensions et risques de dérapage militaire qui pourraient naître si l’Iran ferme le détroit d’Ormuz. Car c’est là où circule le pétrole produit par l’Irak, l’Arabie Saoudite, le Koweït et les Émirats du Golfe. Près de 20 % du commerce mondial du pétrole (dont une majorité destiné à l’Asie de l’Est) emprunte ce minuscule détroit international situé entre l’Iran et Oman chaque année.


La fermeture du détroit d’Ormuz ferait flamber les cours du brut et provoquerait immanquablement une riposte militaire américaine, intervention que même la Chine pourrait approuver si ses provisions sont menacées. Mais dans les faits, la plupart des experts doutent que l’Iran ait la volonté réelle de mettre ses menaces à exécution.


GlobalPost/Adaptation Antoine Le Lay pour JOL Press

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