Site icon La Revue Internationale

Les bons offices de la Turquie, une aubaine?

[image:1,l]Mercredi 4 janvier 2012, Ahmet Davutoglu, ministre turc des affaires étrangères, est arrivé en Iran pour une visite de deux jours, lors de laquelle il avait reçu pour mission d’évoquer tous les dossiers qui fâchent entre les deux pays : nucléaire, Syrie, Irak… Ankara et Téhéran entretiennent une liaison dangereuse, dont l’enjeu pourrait être, au-delà de la suprématie régionale, la capacité à imposer deux modèles radicalement opposés de l’Islam, et en particulier de l’Islam politique. Même si la Turquie est, d’une certaine manière, idéalement placée pour jouer les « go between », les intermédiaires entre la République islamique et l’Occident, elle ne perd pas de vue ses propres intérêts, une sorte de troisième voie qu’elle pourrait représenter, compte tenu des bouleversements politiques en cours dans la région et, au-delà, dans tout le monde arabe, toujours plus soucieuse de faire prévaloir. 

Vers une reprise des pourparlers sur le nucléaire iranien à Istanbul

« L’Iran est prêt à reprendre les négociations nucléaires avec les puissances du groupe 5+1 en Turquie », a déclaré, jeudi 5 décembre 2012, le chef de la diplomatie iranienne Ali Akbar Salehi, au cours d’une conférence de presse avec son homologue turc Ahmet Davutoglu.
La chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton a parlé avec Ahmet Davutoglu au téléphone pour voir si la Turquie pourrait accueillir la prochaine rencontre avec le groupe 5+1 (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Russie, France, Chine et l’Allemagne) et il a répondu par la positive, a déclaré Ali Akbar Salehi.
« Je crois que la Turquie est le meilleur endroit pour organiser les discussions, mais les deux parties doivent s’accorder », a-t-il ajouté.
La dernière série de négociations entre l’Iran et le groupe 5+1 avait été organisée à Istanbul en janvier 2010, mais aucun accord n’avait été obtenu.

La Turquie s’affirme dans le rôle d’intermédiaire entre les Occidentaux et l’Iran

Ahmet Davutoglu a confirmé qu’il avait transmis un message de Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne, aux Iraniens. « La Turquie soutient tout pas positif dans ce domaine », a-t-il aussitôt ajouté.
La veille, les pays européens sont tombés d’accord sur un accord de principe pour interdire les importations de pétrole brut iranien si Téhéran ne s’engage pas à coopérer avec la communauté internationale sur son programme nucléaire controversé.
Si Ankara offre ses bons offices, c’est sans doute pour éviter une escalade incontrôlée de la situation qui pourrait faire exploser la poudrière régionale et la mettre dans une situation des plus inconfortables.  

Le « ni-ni » d’Ankara : ni Téhéran…

La solution, si elle n’est idéale, en tout cas opportune au regard des intérêts d’Ankara, au moment présent, porte la diplomatie turque à la plus grande modération. Depuis le « printemps arabe » de 2011, Recep Tayyip Erdogan et son ministre des Affaires étrangères se sont montrés très actifs dans la région, et, au-delà, jusque dans le Maghreb – au point de faire craindre que ne renaissent des velléités expansionnistes chez les héritiers de l’Empire ottoman. L’agitation diplomatique s’est aussi accompagnée d’une très nette détérioration des relations avec Israël, dont la Turquie était pourtant un indéfectible soutien jusqu’à il y a peu. Et puis, la crise en Europe éloigne d’autant plus la perspective, déjà compromise, d’une intégration à l’Union européenne

Mais, tout cela ne saurait pour autant conduire Erdogan et les siens à se jeter dans les bras d’Ahmedinejad pour mener, ensemble, une politique du pire qui pourrait aller jusqu’à une « sainte » alliance contre Israël et tous les Etats arabes alliés de l’Occident.

… ni la soumission aveugle à l’Occident

Dans le même temps, il semble bien qu’Ankara ne souhaite pas non plus se laisser entraîner dans une confrontation directe avec Téhéran par le jeu de ses engagements au sein de l’OTAN, notamment. Aujourd’hui, plus encore que jamais, ce ne serait certainement pas le moment.
La situation en Syrie est telle, Bachar al-Assad est à ce point acculé, face à une contestation qu’il semble avoir du mal à contenir, que les Turcs ne souhaitent surtout pas lui donner la moindre raison d’engager les hostilités. Face à une alliance irano-syrienne, deux pays avec lesquels elle a des frontières terrestres – et partage des intérêts dans la délicate question des Kurdes et du Kurdistan -, la Turquie se trouverait nécessairement en première ligne. D’autant plus que ces deux pays disposent de missiles de longue portée, capables de pénétrer profondément dans le territoire national turc.

Un tel scénario serait catastrophique, potentiellement apocalyptique. L’Europe aurait tout à craindre d’une guerre à ses portes et la forte activité diplomatique des Européens sur ces différents dossiers tient sans doute à la conscience du risque de contagion et d’escalade.

Eviter aussi une « guerre froide » régionale entre Sunnites et Chiites

Ahmet Davutoglu, ministre des affaires étrangères turc et Ali Akbar Salehi, son homologue iranien ont également évoqué la question de l’Irak. La Turquie, majoritairement sunnite, s’inquiète de l’aggravation des tensions entre Sunnites et Chiites. A plusieurs reprises, au cours des derniers mois, le gouvernement turc a estimé qu’il serait suicidaire pour la région de laisser se développer une sorte de « guerre froide » entre les différentes branches de l’Islam. La crainte, une fois de plus, que celles-ci deviennent incontrôlables et provoquent l’étincelle qui allumerait l’incendie.

Jamais, cet Orient n’est apparu aussi compliqué. Si, à Ankara, Recep Tayyip Erdogan est décidé à mettre en avant des idées simples plutôt que de jouer la carte populiste et pan-arabiste, voilà qui est sans doute, pour l’instant, rassurant. Pour l’instant… 

Quitter la version mobile