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«La Dame de fer» divise autant que Maggie Thatcher

[image:1,l]Que ce soit dit une fois pour toutes, avant d’aller à l’essentiel : Meryl Streep campe une Margaret Thatcher plus vraie que nature. A peine si, une ou deux fois, elle nous rejoue son Anna Wintour quand, diabolique, elle s’habillait en Prada. A peine. Mérite-t-elle un Oscar ? Osons un « Oui ! ». Aura-t-elle un Oscar ? Ce ne serait donc pas une surprise mais, après tout, elle ne peut pas l’avoir à chaque fois et le très libéral tout Hollywood – « libéral » au sens américain du terme, plutôt de gauche – pourrait avoir quelques réticences à honorer, à travers elle, son personnage, la bonne amie de Reagan et Pinochet. Mais, Meryl Streep est au-dessus de ça, Margaret Thatcher aussi.

Une astuce de scénario pour renouveler l’art du biopic

Surtout, ne manquez pas la première scène du film. Dans un corner shop – une épicerie du coin -, une vieille dame, revêtue d’un manteau un peu passé et d’un foulard très british, fait la moue devant le prix du lait qui ne cesse d’augmenter. Un jeune garçon manque de la bousculer, elle paie en petites pièces.
Sans transition… dans un appartement cossu, une femme s’adresse à un policier équipé d’un gilet pare-balles et portant un fusil automatique en bandoulière : « La baronne est encore sortie seule. J’en référerai à vos supérieurs. Imaginez qu’il soit arrivé quoi que ce soit à Lady Thatcher » La vieille dame, la même vieille dame écoute, cachée derrière une porte. Un vieil homme apparaît : « – Alors MT, on les a encore bien eus ? – Oh Denis chéri, stop it ! Ils me prennent pour une petite vieille, je suis juste allée chercher du lait. Ils me prennent pour une petite vieille ».
[image:3,s]La vieille femme, c’est bien Margaret Thatcher et Meryl Streep après trois heures de maquillage. Le vieil homme, c’est, au naturel, Jim Broadbent – l’acteur anglais qui, entre tant de brillants rôles, a incarné le père de Bridget Jones. Phyllida Lloyd, la réalisatrice britannique qui avait déjà dirigé Meryl Streep dans un tout autre registre – une adaptation de la comédie musicale « Mamma Mia » –  a choisi pour parcourir la vie de Margaret Thatcher d’avoir recours au flash-back, une succession de retours en arrière à partir du présent, de notre présent, ou presque, de cette semaine où, à plus de 80 ans – elle est née en 1925 – elle décide de se séparer des affaires de son mari Denis, décédé en 2003.

Une vie et une fin de parcours hallucinantes

Meryl Streep incarne donc une vieille dame, souffrant très probablement de la maladie d’Alzheimer – même si aucune annonce officielle n’en a été faite -, en proie à des troubles de la mémoire immédiate et à des hallucinations, des apparitions incessantes de son défunt mari.<!–jolstore–>

Pendant 1heure 44, à peine quelques jours dans la fiction, elle va revivre sa vie de la petite épicerie de Grantham, dans le Lincolnshire (est de l’Angleterrre) où, à l’école de son père, elle a découvert les principes – foi dans l’entreprise et l’effort individuel, pragmatisme et libéralisme, intégrité et autorité -, qui sont au cœur de ce que l’on appelle désormais le Thatchérisme, jusqu’au 10 Downing Street, la résidence du premier ministre britannique où, pendant onze ans – un record de longévité de 1979 à 1990 -, elle les a mis en œuvre.
Autant le dire : une certaine connaissance de l’histoire contemporaine britannique n’est pas inutile pour bien suivre le fil du film, pour comprendre le passage du temps et les changements de maquillage de Meryl Streep. Tout y passe, du Blitz durant l’été 1940 à l’hiver du mécontentement dans les années 70, de son élection en 1979 à la guerre des Malouines, de la crise de la Poll Tax – impôt unique pour tous – à sa démission forcée à l’automne 1990.

Une double outsider : une représentante du « sexe faible » issue d’une famille de commerçants

[image:4,s]Après une première défaite électorale à Dartford (sud-est de Londres) en 1950, elle est élue à Finchley, dans le nord de la capitale, en 1959 et fait son entrée, rare femme dans le « club pour gentlemen » qu’est la Chambre des Communes. En 1974, ministre de l’éducation depuis 4 ans, elle décide, au lendemain de la défaite électorale du premier ministre Edward Heath – qu’elle jugeait trop faible face au mécontentement social et trop europhile – de défier ce dernier. A la surprise générale, elle prend la tête du parti et devient en 1975, chef de l’opposition de sa Majesté. « Il n’y aura jamais de femme, premier ministre en Grande-Bretagne. Pas de mon vivant en tout cas, » affirmait-elle peu avant. Mais, désormais, le seul objectif est bien d’atteindre le sommet et les élections ne sont que quatre ans plus tard.
Dans une scène mémorable, véritable tournant du récit, deux conseillers en image, les premiers « spin doctors » tentent de la convaincre de revoir son « look », d’abandonner ses chapeaux – les mêmes, jusqu’aux couleurs, que portait la reine Elizabeth II -, de changer de coiffure – plus de volume pour en imposer davantage – et de changer sa voix. Ce film, c’est, avant tout, l’histoire d’une femme, d’une femme en politique. Phyllida Lloyd rappelle de manière incessante à quel point, à chaque étape de son parcours, Madame Thatcher a dû se battre pour dépasser sa condition de femme.
Une femme et une mère de deux jumeaux – Carol et Mark – osant marcher sur les plates-bandes d’une classe politique éminemment machiste dans cet après-guerre ignorant encore ce que pourrait être la « parité ».
Une femme, mais aussi la fille d’un petit épicier de province et l’épouse d’un chef d’entreprise qui lui permettra de vivre confortablement : « pas assez » pour ses alliés, les caciques, alors souvent aristocratiques, du parti conservateur et « trop » pour ses adversaires travaillistes, hérauts de la classe ouvrière en ces temps d’avant-Tony Blair…

« La bouche de Marilyn Monroe et les yeux de Caligula » 

« The Iron Lady », ce sont soixante années de l’histoire d’une femme, d’abord une jeune fille, intelligente et studieuse, qui décroche une bourse pour étudier à Oxford, puis une femme, à la féminité soigneusement étudiéeFrançois Mitterrand ne lui trouvait-il pas « la bouche de Marilyn Monroe » mais aussi « les yeux de Caligula » – et puis, aujourd’hui dans la vie et de manière récurrente tout au long du film, une vieille dame au crépuscule de sa vie, en proie aux hallucinations, parlant toute seule, manquant à chaque pas de trébucher et se servant whisky sur whisky pour combattre ses insomnies, comme ses souvenirs…

Maggie déchaîne toujours des passions contradictoires

[image:5,s]Margaret Thatcher est sans aucun doute la personnalité politique britannique qui divise le plus. Comme personne d’autre, elle a déchaîné et continue à déchaîner les passions, une haine viscérale à gauche, un amour aveugle à droite, ou, plutôt, dans une partie de la droite – mais c’est une autre histoire…
Une idée préconçue voulait que, forcément, un film consacré à Margaret Thatcher soit un réquisitoire à charge. Jusque-là l’industrie cinématographique britannique a éprouvé bien des difficultés à montrer sous un angle positif les effets désastreux – au moins à court terme – des politiques économiques et sociales conduites durant les années Thatcher : sans aller jusqu’aux pamphlets idéologiques de Ken Loach, il suffit de se souvenir du Billy Elliott de Stephen Daldry où l’apprentissage du jeune danseur éponyme se déroule sur fond de fermeture des mines et de conflit social dur dans le nord de l’Angleterre…

Phyllida Lloyd échappe au piège du réquisitoire à charge et livre un film apolitique

Phyllida Lloyd n’a pas fait de son film une entreprise de démolition de la Dame de fer : « Je pense que les gens seront surpris de constater combien ce film est apolitique. Ce n’est pas notre propos. Nous sommes-nous un jour demandé si nous approuvions la politique du roi Lear ? » estime la réalisatrice. De son propre aveu, elle a voulu montrer « la force des convictions de Margaret Thatcher et la férocité de son intransigeance » sans jamais porter un jugement politique. Chaque détail de la vie politique est traité avec beaucoup de soin et, au montage, la décision a été prise d’ajouter en quantité des images d’archives qui apportent une réelle énergie au film, mais rappellent aussi la dureté, par exemple, des émeutes sociales et la proximité historique de cette période.
Les années Thatcher, c’est avant-hier et bon nombre de ses opposants sont toujours là. C’est la principale critique de gauche au film, le cœur même de la polémique : ce que regrette ainsi The Guardian, c’est que ce film montre « Thatcher sans le thatchérisme ».

Un film sur le pouvoir, la vie après le pouvoir

[image:2,s]« Ce film retrace le destin d’une femme politique aussi extraordinaire qu’imparfaite. C’est un film sur le pouvoir et la perte du pouvoir, » selon Phyllida Lloyd. Voilà, précisément, ce qui lui donne une dimension particulière et profondément troublante. De la vie des hommes et des femmes politiques, davantage est écrit ou tourné sur la conquête du pouvoir puis son exercice, plutôt que sur ce qui se passe une fois le pouvoir perdu, a fortiori sur une défaite. « La Dame de fer » nous montre une Margaret Thatcher dont la dimension historique est assurée : « Nous ne sommes que trois, Churchill, Lloyd-George et moi, » déclare Meryl-Margaret.
Mais, avant d’entrer pleinement dans l’Histoire qui, bonne fille, ne manquera pas de la grandir, la vieille femme, dans l’intimité de laquelle nous convie ce film, est profondément diminuée par les affres de la fin de vie. C’est assez dérangeant, très perturbant. Il y a un profond décalage entre d’un côté le mimétisme auquel parvient Meryl Streep, le sérieux des recherches historiques et le caractère purement fictionnel de la description de ce que pourrait être la vie, aujourd’hui, du personnage principal.
D’un point de vue dramatique, c’est une des clés de la réussite de ce film, mais il y aurait sans doute eu d’autres procédés, pour échapper au récit biographique linéaire. Surtout quand on pense, ne l’oublions pas, que Margaret Thatcher est, au moment où sont écrites ces lignes, bien vivante. Et, évidemment, elle a décliné l’invitation qui lui avait été faite d’assister à la première du film.

Soyons bien clairs. L’équivalent en France serait un film, qui, pour raconter le parcours politique de Jacques Chirac, le montrerait chez lui, quai Voltaire, confronté aux effets de la vieillesse et de la maladie. On imagine déjà la polémique…  

> La Bande-annonce de «La Dame de fer»

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