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L’affaire Magnitski ou la justice au pays d’Ubu

[image:1,l]L’histoire de Sergueï Magnitski fait grincer des dents bien au-delà des frontières de son pays. Cet homme a eu le malheur de mettre à jour la plus grande fraude fiscale jamais constatée en Russie. Ses enquêtes ont fini par le mener au fond d’un cachot, où il est décédé dans des circonstances douteuses, en novembre 2009.

L’histoire de Magnitski, de ses découvertes et de son triste sort, est désormais bien documentée.

Un vaste réseau de corruption

Elle commence en 2006. Cette année-là, le fonds d’investissement américain Hermitage décide de se retirer de Russie et paye en conséquence quelque 230 millions de dollars au Trésor russe.

Un an plus tard, la police effectue une visite au siège de l’entreprise et emporte une liasse de documents.

Embauché par le patron d’Hermitage, Bill Browder, l’avocat Sergeï Magnitski commence à s’intéresser à l’affaire. De fil en aiguille, il découvre la création de nouvelles entreprises portant le nom de celles démantelées par Hermitage, mais gérées désormais par le gouvernement russe. Les compagnies fantômes ainsi créées ont effectué des demandes de remboursement de trop-perçu auprès du fisc. Une journée après les demandes, le Trésor russe procédait à un remboursement de 250 millions de dollars sur les comptes des différentes sociétés situées dans des paradis fiscaux. Une telle manipulation financière n’est possible qu’avec la bienveillante approbation de la police, des juges et des fonctionnaires du fisc. Autrement dit, de tout un réseau de corruption intégré à l’administration.

Après que Sergeï Magnitski eut porté l’affaire sur la place publique, une brigade d’investigation est désignée pour enquêter sur l’affaire. L’issue de leurs recherches ne faisait guère de doute : les deux responsables de la brigade faisaient partie des accusés. Comble de l’ironie : en plus de dénoncer une affabulation de Magnitski, ils iront jusqu’à l’accuser d’évasion fiscale.

Mort sous la torture

Arrêté par les policiers qu’il venait de dénoncer, Magnitski est placé en détention préventive pendant un an. Tombé malade, il se voit refuser ses vingt demandes de soin et de communication avec sa famille. Transféré de prison en prison jusqu’au sinistre pénitencier de Butyrka, Magnitski tombe dans un état grave. Six jours avant l’expiration de sa période légale de détention provisoire, Magnitski est frappé par huit hommes qui entendent lui faire signer une déclaration de culpabilité alors qu’il est dans un état de santé critique. Au cours de cette séance d’aveux forcés, Magnitski meurt. Officiellement, de crise cardiaque.

Touché par le sort de son avocat, Bill Browder, le patron d’Hermitage, décide de poursuivre le combat. À force de revendications et de nouveaux dossiers montés par les associations de défense des droits de l’homme, les Etats-Unis finissent par interdire de séjour soixante hauts fonctionnaires impliqués dans l’affaire Magnitski.

La vengeance d’un système corrompu

Énervée par l’emballement médiatique autour de l’affaire, la police russe lance une enquête posthume visant à établir la culpabilité de l’avocat et à intimider les protestataires. En février 2012 s’est ainsi ouvert le premier procès contre un mort de l’histoire de la justice russe. Bill Browder est également jugé – par contumace – en tant que complice de Sergeï Magnitski. Mais l’homme d’affaires n’est pas prêt de se retrouver devant les juges russes. Depuis le tragique dénouement de l’affaire, le dirigeant d’Hermitage s’affaire à parcourir le monde et à contacter les institutions internationales pour faire pression sur Moscou.

« Ce qui est arrivé à Sergeï m’a profondément choqué. Je n’ai jamais été confronté à quelque chose d’aussi horrible au cours de ma vie. Maintenant il faut faire changer tout ça. Les richissimes élites corrompues de Russie sont dépendantes de leurs comptes à l’étranger, et si on s’attaque à ce patrimoine, il est possible de les frapper fort. Quand je vois les réactions à nos actions, je me dis qu’ils ont bien conscience de ce qu’ils risquent, et qu’ils sont loin d’être invulnérables»

Double jeu au Kremlin

Au Kremlin, on tente de calmer le jeu. Lorsque la sanction américaine contre les soixante corrompus est tombée, Moscou s’est efforcé d’étouffer l’affaire en reconnaissant des erreurs, mais sans prendre de mesures. Après avoir reçu un rapport de la commission des droits de l’homme des Nations unies sur l’affaire Magnitski accablant la police et la justice russe, le président Dmitri Medvedev a admis qu’il s’agissait d’une affaire « très triste » liée à « plusieurs crimes manifestes ».

Vladimir Poutine n’est pas allé aussi loin, en se contentant de reconnaître qu’l existait « un petit nombre d’élites corrompues » en Russie.

Mais malgré cette apparente bonne volonté, le duo au pouvoir semble peu disposé à faire réellement changer les choses. Après avoir condamné deux hommes de paille dans le cadre de l’affaire Magnitski, la justice russe s’est replongée dans son procès contre l’accusé fantôme, en remplaçant l’avocat de la famille par un avocat commis d’office, bien plus coopératif. Une belle démonstration de double discours et de corruption du système avec la bénédiction du Kremlin qui, lui aussi, a tendance à confondre l’argent des entreprises avec l’argent de l’Etat.

Il existe cependant des espoirs de changement en Russie. En octobre 2011, la juge d’instruction Nelly Dmitrieva, qui avait mené la première perquisition chez Hermitage, a été arrêtée dans une autre affaire de corruption. Elle a affirmé être prête à témoigner contre ses supérieurs…

GlobalPost/Adaptation Emmanuel Brousse pour JOL Press

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