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Les effets politiques de la crise : les scénarios du pire

[image:1,l]Rares sont ceux qui estiment que les mesures d’austérité sortiront la Grèce de la crise. L’affirmation répétée du gouvernement selon laquelle l’unique alternative aux coupes sociales brutales est la faillite de l’Etat et un désastre économique a perdu tout impact, car les mesures d’austérité actuelles sont déjà en train de produire une catastrophe. Le Pasok de l’ex-Premier ministre Georges Papandréou et la Nouvelle Démocratie de son prédécesseur Costas Simitis sont discrédités, tenus pour co-responsables des dysfonctionnements et perversités du système en déroute.

L’Allemagne et les Pays-Bas pris pour cibles

Sur la place Syntagma, cœur névralgique de la mobilisation populaire à Athènes, les banderoles critiquent ces mesures adoptées par le gouvernement de coalition mais prennent aussi pour cibles les responsables européens : « All of us we are Greeks, Merkel and Sarkozy are freaks » («Nous sommes tous des Grecs, Merkel et Sarkozy sont des monstres»). Il se dit même que l’Allemagne, les Pays-Bas et la Finlande, les trois pays notés AAA par l’agence Standard & Poor’s, auraient été prêts à laisser la Grèce aller à la faillite. Une association de consommateur a appelé, ce mardi, au boycott des produits allemands et néerlandais, parce que leurs représentants, lors des négociations bruxelloises, ont fait pression pour accentuer les contreparties imposées aux Grecs.

Une « dictature » de Bruxelles et des marchés financiers

Une annonce a fait l’effet d’une trahison : la Commission européenne enverra bientôt des dizaines d’inspecteurs permanents à Athènes afin d’assurer la bonne marche technique du programme de sauvetage et d’en surveiller la mise en œuvre. Cette présence sur le sol grec sera accompagnée de la création d’un compte spécial permettant de traiter de manière prioritaire les remboursements de dette grecque, dont le principe sera inscrit dans la constitution d’ici deux mois. Cette mainmise sur la politique budgétaire grecque, vécue comme une ingérence intolérable, irait plus loin : plusieurs députés allemands ont officiellement demandé le report des élections prévues courant avril et le maintien au pouvoir du gouvernement de Lucas Papadémos.

Autant de signes d’une mise sous tutelle de facto de la Grèce. De plus en plus de Grecs voient en Bruxelles un nouveau pouvoir dictatorial et entendent lui résister.

L’extrême gauche grimpe dans les sondages

Acculés, les Grecs se tournent vers la Gauche démocratique (Dimar), la coalition de la Gauche radicale (Syriza) et le Parti communiste stalinien (KKE), tous à la gauche de la gauche. Ces trois partis rassembleraient près de 40 % des intentions de vote – dont 10 % pour le seul KKE – et Fotis Kouvelis, le leader du Dimar, est le personnage politique préféré des Grecs. Dans un pays où aucun parti ne parvient à faire mieux que 30 % des voix, c’est énorme et cela inquiète les partis « de gouvernement ».

Les trois partis de la gauche de la gauche surfent sur le rejet du plan d’austérité et du plan de financement par l’UE et le FMI. Ils dénoncent cette perte de souveraineté de la Grèce et crient « au chantage » en affirmant que « les Grecs sont pris pour des rats de laboratoire pour tester les futures réformes en Europe ».

L’absence d’unité des contestataires

S’ils sont plus ou moins d’accord sur le diagnostic, ces trois partis sont en désaccord sur la stratégie politique à adopter face à la crise. Sur une ligne modérée, la Gauche démocratique défend l’intervention européenne et regrette qu’elle n’aille pas plus loin, par exemple jusqu’à un transfert de la dette grecque à l’Union européenne. La coalition de la Gauche radicale prône une alliance de toute la gauche, majoritaire avec le Pasok – à condition que Georges Papandréou laisse la direction à un autre de ses camarades, le ministre des Finances Evangelos Venizelos, par exemple.

Jusqu’au-boutiste et authentiquement révolutionnaire, le KKE exige tout simplement une sortie de la zone euro immédiate pour laisser « respirer le pays et punir la ploutocratie qui a ruiné la Grèce depuis des décennies » et l’annulation, pure et simple, ou le non-paiement de la dette. C’est un peu le scénario pour lequel avaient opté, avec succès, les Islandais en 2010. Même si la Grèce n’est pas l’Islande, le message fait mouche, les appels aux rassemblements sont suivis et la mobilisation est forte, surtout chez les jeunes.

L’extrême droite est en position d’attente

Cette popularité de la gauche de la gauche n’inquiète pas les seuls partis traditionnels. Il met en difficulté le Laos, parti d’extrême droite, et cela explique largement son retrait du gouvernement de coalition, vendredi 17 février. Depuis, il perd ses députés, et notamment deux anciens ministres qui ont rejoint les rangs de la Nouvelle Démocratie, le parti conservateur. Mais son leader Georges Karatzaferis compte tirer les bénéfices de cette stratégie à moyen terme. La radicalisation de la contestation sociale et la politisation de la crise s’accompagnent d’une poussée de nationalisme. Or, sur un terrain qui lui est naturel, le Laos doit répondre à la concurrence croissante de nouveaux groupuscules à sa propre droite, dont certains ouvertement néofascistes.   

Et si les militaires tentaient le coup ?

Si les Grecs antiques ont inventé la démocratie, les Grecs modernes en ont tellement abusé qu’ils s’en sont, à plusieurs reprises, trouvés privés. Ainsi, jusqu’en 1974, soit sept ans seulement avant son entrée dans la Communauté économique européenne, le pays était encore dirigé par une junte militaire, des colonels qui imposaient une dictature de fer. La stratégie de l’extrême droite pourrait consister à faire le lit des militaires. Si la situation devait continuer à se dégrader, il ne serait pas étonnant que, s’appuyant sur l’exacerbation des passions nationalistes, les militaires tentent le coup…

D’ailleurs, le mardi 1er novembre dernier, peu avant de (mal) jouer son va-tout avec l’annonce d’un référendum, l’ancien Premier ministre Georges Papandréou, toujours à la tête du Pasok, n’avait-il pas pris soin, discrètement, de limoger un certain nombre de membres de l’état-major des armées ? Des rumeurs de menace d’un coup d’Etat avaient alors circulé, elles circuleront encore…

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