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Vladimir Poutine réinvente les villages Potemkine

[image:1,l] Une semaine tout juste avant le scrutin présidentiel en Russie, la victoire du Premier ministre Vladimir Poutine est quasiment assurée, malgré les mouvements de protestation et les critiques du gouvernement qui ont envahi le pays depuis le mois de décembre.

Récente percée dans les sondages

Vladimir Poutine pourrait réunir deux tiers des votes et être ainsi élu dès le premier tour, selon le dernier sondage publié vendredi 24 février par le plus grand institut de sondage russe, le Centre analytique Levada.

Pourtant, en décembre dernier, les sondages avaient rapidement chuté après la révélation des preuves vidéo montrant le trucage des élections législatives du 4 décembre. Malgré tout, la cote du Premier ministre s’est mise très récemment à grimper.

Vladimir Poutine a travaillé très dur pour retrouver le soutien et la confiance du public. Pour cela, il s’est même séparé de son vice-Premier ministre, Vladislav Surkov, connu pour être l’architecte de la « démocratie gérée », moteur d’un Etat omniprésent, qui permet au gouvernement de garder une forte mainmise sur le processus politique.

Plus tôt cette semaine, le président Dmitri Medvedev a rencontré les leaders d’opposition, les invitant à rejoindre un groupe de travail sur les réformes politiques tenu par le remplaçant de Vladislav Surkov, Vyacheslav Volodin.

Poutine, cette bête de scène

Quatre autres candidats s’opposeront au Premier ministre lors du scrutin du 4 mars. Le chef du Parti communiste Gennady Zyuganov, le milliardaire et propriétaire de l’équipe de basket-ball des New Jersey Nets Mikhail Prokhorov, le leader nationaliste Vladimir Zhirinovsky et Sergei Mironov, chef du parti « Une Russie juste », sont dans la course mais réunissent considérablement moins de soutiens que le favori.

Jeudi 23 février, un rassemblement organisé lors de la célèbre « Journée des défenseurs de la patrie » a réuni environ 130 000 personnes selon des estimations officielles.

Banderoles, drapeaux, chansons folkloriques et slogans proPoutine résonnaient dans le stade Loujniki de Moscou autour du candidat, « Nous sommes pour Poutine et il est pour nous », « Nous l’aimons », « Stabilité », une image montrant le visage de Poutine et les mots « Non à la révolution » en lettres orange, probablement une référence à la révolution Orange en Ukraine, après que le pro-occidental Viktor Yuschenko fut devenu président.

« Nos enfants et petits-enfants grandissent, nous aimerions vivre normalement », déclare Evgeny Babenko, 52 ans, médecin à Moscou. « Vivre mieux », renchérit son ami Akhmat Mkhtaryan, 37 ans.

« Nous avons assez souffert. Nous voulons juste la paix et la stabilité », explique Yelena Yegorova, 49 ans, qui travaille dans un foyer pour enfants de l’est de Moscou.

Après la pauvreté et les bouleversements politiques des années 1990, la croissance économique et la stabilité des douze dernières années de Poutine sont un argument puissant pour de nombreux Russes. Le produit national brut est passé de 6 660 dollars par personne en 2000 à 19 190 dollars en 2010, selon la Banque mondiale.

Un meeting fantôme

Mais la Russie est réputée pour ses villages Potemkine. L’expression, qui remonte au ministre russe Potemkine, désigne des mises en scène apprêtées à des fins de propagande. 

« Nous sommes tous obligés d’être ici », murmure un ingénieur électrique de 31 ans au moment où le maire de Moscou, Sergei Sobyanin, salue l’immense participation de la population à ce rassemblement.

Cet ingénieur a demandé à rester anonyme par peur des éventuelles conséquences sur son travail. Pour ce meeting, son entreprise a envoyé 150 personnes sur les 250 salariés. La direction avait tout d’abord demandé des volontaires, mais puisque l’événement ne recueillait pas l’intérêt des salariés, tous les éléments en bonne santé et sans enfant à charge ont été réquisitionnés pour se déplacer au stade Loujniki.

Tout refus de participer à ce rassemblement se serait traduit par une baisse de salaire ou une rétrogradation, explique-t-il. De ses 150 collègues présents, l’ingénieur, qui a participé aux manifestations contre Vladimir Poutine en décembre et en février, n’en connaît pas un qui soutienne honnêtement la candidature du Premier ministre.

Un discours anti-occidental devant des acteurs

Après le discours enflammé de Sergei Sobyanin et celui de la star anti-occidentale Mikhail Leontyev, Vladimir Poutine est apparu sur l’estrade, sous la neige tombante et parmi les exclamations de joie, pour tenir un discours passionné devant son électorat à grand renfort de déclarations d’amour pour la Russie, menacée par les pays étrangers.

« Nous ne laisserons personne nous imposer sa volonté, parce que nous avons notre volonté propre ! Elle nous aidera à gagner à chaque fois ! Nous sommes vainqueurs ! C’est dans nos gènes, dans notre signature génétique! », a-t-il déclaré d’une voix vibrante d’émotion.

A ce moment précis, deux femmes se retournent et sortent. « Gènes », murmure une des deux, visiblement en colère.

Vladimir Poutine continue : « Je rêve qu’il y ait de l’espoir dans l’âme de chaque personne, l’espoir d’une meilleure vie ».

Un ouvrier dans une fabrique d’ascenseurs à Moscou explique qu’il a été convaincu d’assister au rassemblement après la promesse de 5 000 roubles supplémentaires sur son salaire du mois prochain. « Je ne comprends pas grand-chose à tout ça », dit-il.

Un autre homme, manifestement ivre, et employé dans une agence du gouvernement à Moscou, s’est vu donner un jour de congé en échange de sa présence.

Au fur et à mesure, le stade Loujniki a commencé à se vider. Moins d’une heure après le début des hostilités, un flux constant de participants essayait de quitter les lieux pour s’entasser dans les arrêts de bus à l’extérieur de l’enceinte du stade.

Pour grossir les rangs des admirateurs de Poutine, les organisateurs ont été chercher de nombreuses personnes d’autres régions de Russie. L’Oural, le Caucase et même la Sibérie ont été représentés.

Duel entre le Kremlin et l’opposition

C’était le deuxième grand meeting de campagne de Poutine. Le 4 février dernier, jour du grand mouvement d’opposition organisé place Bolotnaya, autant de personnes s’étaient réunies à Poklonnaya Gora, à l’ouest de Moscou. Le week-end dernier, l’opposition avait organisé un rassemblement en voiture, durant lequel les conducteurs étaient invités à faire le tour du Kremlin arborant des slogans antiPoutine. Au même moment, dans un autre quartier de la ville, quelques groupes de jeunes progouvernement circulaient également en voiture autour de l’Anneau des Jardins (boulevard circulaire).  

Dimanche 26 février, l’opposition s’est encore manifestée en organisant une grande chaîne humaine de 16 km, appelée « le Cercle du ruban blanc ».

 « C’est une bataille politique » pour Olga V. Kryshtanovskaya, membre du parti de Vladimir Poutine, Russie Unie, et assistante de la campagne du candidat. « Ils organisent des rassemblements et invitent leurs partisans, nous organisons des rassemblements et invitons nos partisans. C’est juste que nos rassemblements sont beaucoup mieux organisés », ajoute-t-elle.

Un scrutin truqué d’avance ?

Malgré l’apparent retour de Vladimir Poutine dans le cœur des Russes, la sécurité des bureaux de vote a été renforcée de manière à garantir un scrutin sans fraudes. Pour Dmitri Oreshkin, analyste politique et membre du Conseil présidentiel pour les droits de l’homme, la fraude est devenue un mode opératoire pour le gouvernement qui ne peut plus travailler autrement.

« La machine électorale fera ce que les autorités veulent faire », ajoute-t-il. « Chaque responsable de district doit atteindre un certain quota pour montrer qu’il sait contrôler ses électeurs. »

L’ingénieur du stade Loujniki s’est joint à la chaîne humaine contre Poutine dimanche. Il ne votera pas pour le Premier ministre lors des prochaines élections qu’il sait falsifiées d’avance.

Global Post/Adaptation Sybille de Larocque – JOL Press

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