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Le sort des femmes du Printemps arabe

[image:1,l]Elles ont soulevé leur voile et fait entendre leur voix. Pendant ces longs mois de révolte, ces femmes se sont tenues (plus ou moins selon les pays) aux côtés des hommes, pour défendre la démocratie, la justice sociale, la liberté et l’égalité. Un an après les manifestations du Printemps arabe, quel sort leur ont réservé leurs pays ? 

Blogueuses et révolutionnaires

C’est sous l’impulsion d’une jeune blogueuse prénommée Asma Mahfouz que l’Egypte s’est soulevée. A 26 ans, cette jeune Egyptienne a été le premier souffle de la révolution. Le 18 janvier 2011 au Caire, elle poste une vidéo sur les réseaux sociaux sur laquelle elle appelle à une manifestation de grande envergure place Tahrir, le 25 janvier, pour protester contre le régime de Moubarak. Membre du Mouvement de la jeunesse du 6 avril, opposé au régime, la jeune activiste tente de rassembler un maximum d’Egyptiens : « Si nous avons encore un honneur et que nous voulons vivre dignement dans ce pays, nous devons descendre place Tahrir le 25 janvier ».

Un vent de révolution souffle et fait naître de nouveaux espoirs au Yémen, où Tawakkul Karman appelle elle aussi à un « jour de la colère » contre les « dirigeants corrompus », le 3 février sur Internet. Activiste yéménite, elle a fondé en 2005 un groupe de défense des droits humains baptisé « Femmes journalistes sans chaînes », pour défendre la liberté de pensée et d’expression. A Sanaa, elle organise des rassemblements étudiants contre le régime d’Ali Abdullah Saleh. Elle est plusieurs fois arrêtée. Ses actions et son combat lui ont valu de recevoir le prix Nobel de la paix 2011, avec Ellen Johnson Sirleaf et Leymah Gbowee, pour leur lutte non-violente pour la sécurité et les droits des femmes. Tawakkul Karman est, à 32 ans, la plus jeune prix Nobel de l’histoire.

Violées, battues, insultées

Pourtant, ces femmes n’ont pas échappé à la violence des hommes. Lors des soulèvements du Printemps arabe, de nombreuses femmes ont été battues, insultées et violées. De l’Egypte à la Tunisie en passant par la Libye, des femmes journalistes, comme Lara Logan de CBS News ou encore Caroline Sinz, journaliste pour France 3, de simples manifestantes, des femmes voilées, ont été arrêtées et abusées sexuellement par des hommes.

Plusieurs femmes ont témoigné pour dénoncer les hauts fonctionnaires qui avaient pris part à leur agression, comme Samira Ibrahim, qui fut emmenée au musée du Caire par des militaires où elle a été battue et a subi un « test de virginité ». Peu après, elle a décidé de raconter son histoire et de dénoncer ces actes dans une vidéo postée sur YouTube.

En Libye, certaines familles sont même allées jusqu’à tuer leurs filles avant que celles-ci ne soient violées par les forces de Kadhafi, pour éviter tout déshonneur de la famille.

A Tunis, des femmes ont été détenues au ministère de l’Intérieur dans la nuit du 14 au 15 janvier. De nombreux viols auraient été commis cette nuit-là, selon l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD). Les brigades spéciales de Ben Ali se sont rendues coupables de crimes sordides, allant jusqu’à violer de jeunes filles mineures devant leurs familles.

Il y a un an, les Egyptiennes se sont rassemblées place Tahrir pour célébrer la Journée internationale de la femme, le 8 mars 2011. Cette manifestation pacifique a été entachée par les insultes et les harcèlements sexuels de la part de groupes d’hommes.

Une place politique très réduite 

Les changements intervenus dans le monde arabe ont tout de même fait naître quelques opportunités pour une évolution des droits de la femme dans la sphère politique. Une évolution en demi-teinte. Autorisées à participer au scrutin lors des élections, elles n’ont généralement pas pu apparaître sur les listes des candidats.

En octobre 2011, la Tunisie organisait ses premières élections libres afin d’élire les membres de l’Assemblée constituante. Le parti islamiste Ennadha, victorieux, s’est vu attribuer un nombre important de sièges. Même si la Tunisie est le pays du Maghreb où la proportion de femmes au sein d’une Assemblée est la plus importante, la non-obligation d’inscrire des femmes en tête de liste électorale a entraîné leur mauvaise représentation.

En Egypte, le Conseil national des femmes a été mis en place par Hosni Moubarak et dirigé par son épouse, Suzanne Moubarak. Après le renversement du régime, l’existence de ce conseil a été remise en cause par le Parti de la liberté et de la Justice des Frères musulmans, à cause des liens qu’il entretenait avecl’ancien régime. Avec trente nouveaux membres à sa tête, la survie du Conseil n’est pourtant pas assurée.

En janvier 2012, le gouvernement égyptien comptait 31 ministres. Parmi eux, seulement deux femmes : Nagwa Khalil, ministre de la Solidarité et des Affaires sociales, et Fayza Abou El Naga, ministre de la Coopération internationale.

En Libye, après la mort de Kadhafi, le Conseil national de transition (CNT) adopte une nouvelle loi rendant obligatoire un quota minimal de 10 % de femmes siégeant à l’Assemblée constituante. Un véritable affront pour les ONG dont Voice of Libyan Women, qui manifestent pour que ce pourcentage soit revu à la hausse devant le bureau du Premier ministre, Abdel-Rahim Al-Kieb. Contre toute attente, le 28 janvier 2012, la loi est supprimée et remplacée par une nouvelle qui stipule que 50 % des candidats présentés seront des femmes mais l’absence d’obligation de présenter des femmes en tête des listes électorales pourrait entraîner l’absence complète de représentation féminine à l’Assemblée constituante.

La dure application de la Cedaw

Adoptée par l’ONU en 1979, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes (Cedaw) a été ratifiée par la plupart des pays arabes, sans grand impact réel sur la condition des femmes au quotidien.

Certains pays ont même exigé que la convention s’applique en accord avec les principes de la charia. L’Egypte, comme la Libye, ont notamment émis  des réserves sur certaines dispositions qui vont à l’encontre de la charia, tel l’article 2 sur les mesures visant à éliminer les discriminations à l’égard des femmes, l’article 9 sur le transfert de la nationalité aux enfants et l’article 16 sur les droits égaux dans le mariage et la question du divorce. Ces réserves sur les articles 2 et 16 sont toujours d’actualité et le comité de la Cedaw a déclaré qu’elles étaient « incompatibles avec l’objet et le but de la Convention ».

De son côté la Tunisie a déclaré en août 2011 que ces réserves devraient être levées. Pourtant, rien n’a encore été officialisé.

Quant à l’Algérie, elle a levé ses réserves quant à l’article 9 de la convention, mais campe sur ses positions à propos des articles 2 et 15 et 16 qui concernent l’adoption de mesures visant à éliminer les discriminations, la liberté de circulation, l’égalité dans le mariage et le divorce.

La Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH), dont Souhayr Belhassen est la présidente, se bat pour la ratification et le respect de la Cedaw, qui est bafouée. Parmi ses revendications : assurer les acquis des droits des femmes, adopter de nouvelles mesures visant à supprimer toutes inégalités sociales et économiques, et dénoncer les discriminations faites aux femmes au nom de principes religieux.

Le chemin est encore long pour les femmes du monde arabe. Le bilan de la condition des femmes après le Printemps arabe est décevant voir rétrograde. Et beaucoup de femmes ont payé leur combat pour la liberté au prix fort.

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