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Le web 2.0 provoquera-t-il la fin des élites actuelles ?

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Depuis la nuit des temps et à de rares exceptions près, il y a toujours eu dans les sociétés humaines, une répartition en deux groupes, même dans les sociétés se déclarant démocratiques.

Elites et glandus

D’un côté une élite, et de l’autre, les glandus. Des Baruyas de Nouvelle Guinée (chamans et sorciers), aux Gaulois d’aujourd’hui (énarques et polytechniciens), en passant par les Soviétiques (apparatchiks), les pharaons de l’ancienne Egypte (prêtres). C’est toujours la même organisation. 
Cette dichotomie obéit en gros à la loi de Pareto (les 80/20) : 20 % de la population (l’élite) disposent de 80 % des pouvoirs, de la richesse, etc. Et les 80 % restants se partagent le reste. Même chose à l’intérieur des 20 % : 20 % appartiennent à la super-élite etc. Système social organisé en poupées russes donc, que d’aucuns appellent la nomenklatura avec ses différents cercles.

Lorsqu’un groupe prend le pouvoir au sein d’une société, il met en place son propre système de création d’élites, de façon à se pérenniser et garder ainsi les divers avantages acquis pour ses générations futures. Les membres seront « câblés » de façon à créer entre eux un « corps ». Corps qui va permettre de s’informer sur tout ce qui se passe, de se rendre quelques menus services entre eux.

Aujourd’hui en France, il existe une élite comme ailleurs. Elle est diffuse certes, mais avec un noyau dur : le premier cercle de la nomenklatura avec un système de création d’élite, ce sont nos grandes écoles : l’ENA et Polytechnique.

Delenda est ENA !

Tel Caton l’Ancien, qui, au Sénat romain, terminait toujours ses discours par l’affirmation « Delenda est Carthago » (il faut détruire Carthage), François Bayrou a lancé l’anathème sur l’ENA. Anathème qui revient d’ailleurs à intervalles réguliers dans notre histoire récente. Mais l’ENA est toujours là. Et notre ami François s’est bien gardé d’en parler à Madame Royal, lors de leur récent débat.
L’ENA a certes fait du bon boulot pour administrer et accompagner la relève du pays au lendemain de la Seconde guerre mondiale, mais elle a un peu divergé par la suite. La tentation était trop forte : ses membres ont administré le privé, en plus du public, et se sont arrogé beaucoup de postes clés. 
Je dois dire que j’ai fréquenté quelques énarques et polytechniciens. Et cela m’a toujours laissé une impression bizarre, un goût amer dans la bouche. J’ai toujours eu – sauf exception (il y en a heureusement) – l’impression bizarre d’être considéré comme un « pauvre type », un glandu… Arrogants sans s’en rendre compte peut-être, individualistes, dressés à conquérir le maximum de pouvoir personnel (ce qui est probablement dû à la difficulté des concours d’entrée qui sont des marathons individuels – donc pas de travail collaboratif), nos amis pratiquent une certaine culture du mépris, sont des apparatchiks de la procédure, des processus, de la centralisation. L’être humain n’est pas quelque chose à considérer en tant que tel. L’intuition y est bannie, et ils vivent dans leur monde, sans trop se préoccuper de ce qui se passe ailleurs, persuadés qu’ils sont d’avoir raison sur tout. Lisez ou relisez le livre les Intouchables de Ghislaine Ottenheimer. Un très beau travail d’anthropologie. Espérons que Madame Ottenheimer fera la même chose pour nos autres nomenklaturistes.

Que faire de l’ENA ?

Faut-il pour autant fermer l’ENA ? En fait, c’est plutôt l’énarchie qu’il faudrait éradiquer. Mais je me demande si c’est possible sans entraîner quelques désordres. Que l’on commence par interdire à l’énarque qui a pantouflé dans le privé de revenir dans la Haute Administration (certains ont d’ailleurs fait de grosses bêtises dans le privé : le Lyonnais, Vivendi… : les glandus vont payer). Même chose peut-être pour la sphère politique. Doit-on interdire aux énarques de se présenter au suffrage de leurs concitoyens ? N’y aurait-il pas là une collusion possible entre la Haute Administration et le monde politique ?

Il me semble en tout cas que la France d’en bas n’a pas grande conscience de la façon dont se passent les choses dans la France d’en haut. L’un de mes amis polytechnicien (si, si, j’en ai un…) m’a un jour raconté comment ça se passait, après une élection présidentielle ou un changement de gouvernement par exemple, comment on se répartissait les postes de « dircab » des ministres – poste très important – entre X et ENA (naturellement X et ENA ne peuvent se sentir). J’ai demandé à cet ami de nous raconter tout cela dans un billautshow, il n’a pas voulu.

La France ne va pas très bien… Notre élite est-elle responsable ?

Grande question ! Loin de moi l’idée de jeter l’anathème sur qui que ce soit, je pense que dans cette affaire on a tous une part de responsabilité, pour notre manque de vision, notre laisser-aller, notre peur du futur, etc.
Mais cela étant, quand on dispose d’un pouvoir, il me semble que l’on est plus responsable que celui qui n’en a pas.
Je relisais le rapport Pébereau (un grand énarque aux dires de Madame Ottenheimer) : Etat proche de la faillite, chômage élevé, paupérisation croissante, etc. On connaît la chanson, mais on fait comme si de rien n’était.

Et nos dirigeants du CAC 40 qui se sucrent…

Certes, diriger un grand groupe n’est pas chose aisée (même si l’on a fait l’ENA ou l’X). Et recevoir en contrepartie un bon salaire (et une bonne retraite) paraît normal. Le poids des décisions à prendre, les risques à évaluer, etc. Mais de là à recevoir les sommes que l’on nous cite dans nos médias, alors qu’une partie de plus en plus importante de la France d’en bas en bave…
Vous allez me dire que sous d’autres latitudes, les parachutes dorés sont monnaie courante. Certes, certes… Mais les peuplades qui vivent dans ces contrées n’ont pas une « baseline » comme la nôtre : liberté, égalité, fraternité. Surtout que ces gens-là n’ont pour la plupart pas créé l’entreprise qui les emploie.

Et nos hauts fonctionnaires qui font comme s’ils étaient les ministres de Louis XIV

Il y deux ou trois ans, un haut fonctionnaire de l’Administration sénatoriale m’a invité à déjeuner. A l’heure dite, je me présente au Sénat, un huissier tout chamarré me mène à son bureau. Beau bureau. Mobilier d’Ancien Régime. Je pensais que nous irions déjeuner dans un troquet du coin, que nenni ! Un maître d’hôtel en livrée est arrivé avec une table pliante qu’André Boulle – le célèbre ébéniste – n’aurait pas reniée, et a dressé une table digne de chez Maxim’s. Bon déjeuner, vin exquis. Dans le bureau du haut fonctionnaire. Bon, ils ne déjeunent probablement pas tous aux frais de la République dans leur bureau. Mais je me suis dit en sortant que j’eusse dû écouter Madame Billaut Mère qui voulait que je fusse haut fonctionnaire.

ENA, X, CAC40, hauts fonctionnaires… Mais ce n’est pas tout. Notre pays est plein de groupes sociaux qui se sont érigés en castes, avec leurs strictes hiérarchies, leurs propres règles, leurs propres us et coutumes : les toubibs, les notaires, les retraités de la SNCF, etc. Et chacun défend son pré carré, ses avantages acquis, dans le douillet secret de sa caste. Je me demande bien comment tout cela va finir, car si on ne fait pas nos 3 % de croissance et que l’on ne réduit pas le gouffre financier de notre Etat, comparable à celui de l’Ancien Régime avant 1789 version 1.0, le moindre dérapage et pouf : ce sera l’explosion.

1789 2.0 ou Web 2.0 ?

En France, la gestion « par explosion », on connaît, on l’a faite en 1789 (version 1.0). On pourrait sans problème la refaire. Et pour ne pas perdre la main, on fait d’ailleurs de temps à autres quelques répétitions (les grèves de 1995). Il suffit par exemple que l’Etat ne puisse plus payer au taux convenu la retraite des fonctionnaires
Un 1789, même 2.0, n’est pas à souhaiter. Alors allez-vous me dire : que vient faire le Web 2.0 là-dedans ?
A mon sens et je ne suis pas seul à le penser, ce Web 2.0, est beaucoup plus qu’un ensemble d’outils utilisés par quelques ados attardés boutonneux. Il préfigure sinon une rupture dans l’organisation sociale, en tout cas la naissance de quelque chose d’autre. Comme le démontre Don Pascott dans son bouquin Wikinomics : « how mass collaboration changes everything », l’intelligence collaborative, et Pascott de citer de nombreux exemples, les glandus se débrouillent dans leur coin. Pascott n’est pas le seul d’ailleurs à évoquer la chose. D’autres livres sont parus là-dessus aux Etats-Unis : The wisdom of crowds, The wealth of networks : how social production transforms markets and freedom, Infotopia : how many minds produce knowledge, etc.

Le Web 2.0 est à l’œuvre

Mais comme nous sommes toujours un peu à la bourre, on va certes s’y mettre, mais cela prendra bien 3 à 5 ans, je pense.
Mon ami André-Yves Portnoff, philosophe de l’innovation s’il en est, m’a fait passer un texte qu’il prépare je suppose pour une publication dans un média traditionnel. Il m’a donné la permission de le publier. Vous le trouverez ici : Téléchargement obstacles_culturels_ayp.doc.
Il compare notre organisation colberto-énarchico-polytechnicienne avec celle qui pourrait résulter d’une extension du Web 2.0. Je dis extension, car notre Web 2.0 est à l’œuvre. Le mouvement est ténu mais quand même. Et j’en ai vu quelques spécimens ce week-end dans les Deux-Sèvres « in the middle of nowhere ». J’ai en effet rencontré Monsieur Menard, à Nueil les Aubiers, ainsi que Francis Senceber et son épouse, qui ont ouvert une école Internet à Lageon dans une école désaffectée.

Dans un prochain post, je vais vous conter cette virée dans la France d’en Bas 2.0. Et si vous avez connaissance d’autres Menard dans votre coin, dites-moi !

> Consulter le blog de Jean-Michel Billaut

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