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«Le plutôt dangereux Monsieur Hollande»

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On a connu les graphistes de The Economist  plus « cutting-edge », plus inspirés, mais au moins, avec cette Une, on voit tout de suite de quoi on parle. Sur toute la couverture, du bleu, du blanc et du rouge, le drapeau tricolore, la France,  par excellence. Et soulevant, comme un rideau, la bande centrale blanche, un timide François Hollande fait son entrée sur scène. En bas, à gauche, le titre en petits caractères noirs, « The rather dangerous Mr Hollande ».

Prudence plutôt que force et que rage

À première vue, toute la subtilité est dans le « rather », ce « plutôt » qui laisse planer une incertitude, minimise la portée du slogan. Oui, on l’a connu plus radical The Economist – avec Vladimir Poutine, notamment, à la veille de la présidentielle russe du 4 mars, qualifié de « shrinking », rétréci, rabougri. The Economist n’en pince pas pour François Hollande mais, pour autant, la rédaction ne prédit pas l’apocalypse : on aurait pu imaginer qu’il entre sur scène soulevant la couleur rouge et qu’un couteau entre les dents il soit qualifié tout bonnement de franchement – sans « rather » – dangereux. Les raisons de cette prudence sont expliquées clairement dans le leader qu’annonce cette Une.

The Economist prédit une victoire de François Hollande à une élection qui compte

Satisfaction non négligeable, confirmation bienvenue, en ces temps périlleux. Vue de Londres, et de la City en particulier, la France compte. Elle compte, parce qu’elle compte en Europe. Par définition, la moitié indispensable du moteur franco-allemand de la zone euro, la France est aussi, à l’échelle de l’Union européenne, un pays pivot entre le Nord rigoureux, plus résistant à la crise, et le Sud dépensier, au bord du gouffre. Qu’elle chancelle à son tour et tout basculerait…

Au regard des résultats du premier tour de l’élection présidentielle, The Economist considère comme probable une victoire du candidat socialiste. Soit. Logiquement, estime l’hebdomadaire, arrivé légèrement en tête devant le président sortant, François Hollande devrait bénéficier de l’essentiel des voix de Jean-Luc Mélenchon, à la gauche de la gauche, ainsi que d’un bon report des électeurs centristes de François Bayrou et même de ceux de l’extrême-droite de Marine Le Pen. Un pronostic qui n’a rien d’audacieux et s’appuie sur des calculs mathématiques, laissant peu de place à l’irrationnel et aux surprises de la campagne.

À Nicolas Sarkozy que The Economist a tant aimé

The Economist manifeste une tendresse toute relative pour Nicolas Sarkozy. Mais, il faut sans doute y voir le signe d’un certain dépit amoureux. On peut le penser puisque, comme cela est bien rappelé, l’hebdomadaire l’avait résolument soutenu en 2007. Le président sortant était alors décrit comme le candidat de la rupture, présenté dans ces mêmes colonnes, comme la seule alternative possible, la version française tant attendue de Margaret Thatcher qui allait libérer la France, comme la « Dame de Fer » a libéré le Royaume-Uni des années 70 et 80.

Si The Economist reconnaît quelques mérites à la politique conduite lors du quinquennat écoulé – allègement des règles des 35 heures « socialistes », réforme des universités, report de l’âge de la retraite -, le magazine regrette que la crise ait contrecarré les plans initiaux et déplore « le ton protectionniste, anti-immigration et anti-européen » de la campagne actuelle – « destiné probablement à séduire les électeurs du Front National ».

Pour autant, si la rédaction de The Economist  pouvait voter – précision utile -, elle voterait Nicolas Sarkozy. Une façon d’appeler à voter pour lui – « pas tant pour ses mérites que pour faire barrage à Mr Hollande ».

François Hollande, « un socialiste de la rive gauche »

Après cela, on s’attend à un portrait lourd de charges de François Hollande. L’utilisation du terme « socialist » va dans ce sens. « Socialiste », François Hollande l’est – en tout cas, il l’affirme et comment, par conséquent, The Economist pourrait le qualifier autrement. Mais, il convient de noter ici une nuance linguistique. Etre « socialist » en anglais et au Royaume-Uni vous situe bien plus à gauche, au moins dans l’imaginaire populaire, que dans la version « socialiste » en français et en France. Après le New Labour de Tony Blair et Gordon Brown, et même si Ed Miliband met la barre à gauche, le Labour Party est travailliste avant d’être socialiste, social-libéral plus encore que social-démocrate – ce qu’est véritablement le programme de François Hollande.

« A socialist from the Left Bank » – « un socialiste de la rive gauche ». Cette « rive gauche », ce n’est pas la gauche de la gauche mais plutôt cette gauche germanopratine, intellectuelle et supposée plus modérée. The Economist l’avoue clairement, si tel était le cas – et si les intentions prêtées par « les optimistes » se réalisaient -, il s’en satisferait. Après tout, quelques paragraphes au-dessus, ne regrettait-il pas le faible score d’un autre François, François Bayrou, manifestement son candidat de cœur.

Le président Hollande ferait courir des risques considérables à l’Europe

Un paragraphe ponctué de quelques compliments et le naturel reprend le dessus. Pour The Economist, le risque aussi, c’est celui d’une rupture avec Berlin ou, plutôt, avec Angela Merkel sur la question du pacte de stabilité européen. Plusieurs responsables européens, comme cela est rappelé, plaident pour une renégociation et l’allégement des mesures d’austérité au profit d’une politique de relance de la croissance. Mais, les motivations de François Hollande traduirait le retour des travers, des vieilles lunes françaises…son incapacité à changer, à se réformer, et sa détermination à « préserver le modèle social français à tout prix ». Pour l’hebdomadaire de la City, c’est bien cela le mal français. Et c’est parce qu’il l’incarnerait et tournerait le dos à la rupture que le candidat socialiste, vu de Londres, est considéré comme « plutôt dangereux ». Juste « plutôt dangereux ».

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