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Poutine au Kremlin : les craintes des médias russes

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[image:1,l]Inspiré par les protestations anti-gouvernementales et par un désir d’une Russie plus démocratique, Alexei Sklyarov, le directeur de la chaîne Pulse  a décidé de critiquer ouvertement les défaillances des autorités. Dès janvier, il a d’ailleurs créé et dirigé une ligue locale d’électeurs chargée de suivre et contrôler l’élection présidentielle.

Cette initiative n’a pas fait long feu. Il aura fallu moins d’une semaine au gouvernement pour intervenir au sein des bureaux de la rédaction. Son objectif : relever des documents et procéder à une inspection complète des informations recueillies.

L’agence de communication régionale, l’agence des droits des consommateurs et le procureur régional ont ainsi commencé à enquêter sur les violations présumées menées par le média. « Il nous on fait ça en traître » a déclaré Alexei Sklyarov.

Un triste bilan

Même si les médias russes ne sont pas autant réprimés que leurs homologues chinois, l’exercice de leur profession est loin de répondre aux critères démocratiques.

La Russie est ainsi placée au 142ième rang sur les 179 pays du classement de la liberté de la Presse édité annuellement par Reporters sans Frontières.

« Le panorama de la liberté de la presse en Russie est encore bien sombre. Les manifestations de décembre 2011 augurent une période d’incertitudes. Alors que les rédactions semblent s’ouvrir de plus en plus, l’appareil répressif de l’État a toujours réussi à faire face à l’agitation » indique l’association.

Après une brève période de liberté dans les années 1990, le président Vladimir Poutine a largement réprimé les médias indépendants, en maintenant une pression constante sur les rédactions. Et ce, durant ses deux mandats de 2000 et 2004. Les douze dernières années ont ainsi vu apparaître un déclin de la presse indépendante et contestataire en Russie.

Aujourd’hui, les principales chaînes de télévision, mais aussi les bureaux de presse sont détenus en majorité par des personnes proches de l’État et du Kremlin.

La liberté de la presse s’est sensiblement améliorée sous la présidence de Dimitri Medvedev.

La diffamation est passible de peines allégées et les attaques à l’encontre des journalistes sont plus sévèrement condamnées. Encore une fois, l’éclaircie est de courte durée. Les élections législatives de décembre 2000 ont à nouveau plongé les médias dans le silence.

D’importantes manifestations avaient suivi afin de dénoncer la fraude électorale qui sévissait. La rue s’est exprimée car les médias étaient bâillonnés. Un musèlement que le gouvernement russe nie ouvertement.

« La liberté de la presse est garantie dans ce pays » a déclaré Dimitri Peskov, le ministre chargé des relations publiques. Et pourtant, les personnes rencontrées par la rédaction de Pulse soulignent les dangers encourus par ceux qui critiquent le gouvernement.

« La chaîne, qui occupait les lieux depuis plus de 20 ans, est menacée d’expulsion, sous prétexte de violations en matière d’ondes radiophoniques » explique le directeur de la chaîne. Si le tribunal régional d’arbitrage prouve que son entreprise est coupable de violations de licence, la majeure partie de ses financements lui seront retirés.

Alexei Sklyarov admet ces infractions mais ajoute qu’elles sont mineures et de longue date. Il met en relation cette enquête avec sa décision de suivre et de commenter la campagne.

Malgré une conversation téléphonique avec des hauts fonctionnaires du Kremlin, ainsi qu’une requête de Mikhail Fedotov, Chef du Conseil Présidentiel des Droits de l’homme, le gouvernement local poursuit son enquête.

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Une presse toujours muselée

Les organes de presse de Moscou n’échapperont pas à l’enquête qui vise essentiellement les journalistes indépendants. La radio indépendante « l’Echo de Moscou », parrainé par la géante compagnie d’État, Gazprom, a vu deux de ses titulaires remplacés sans raisons apparentes.

Un déménagement mal vu par le personnel de la radio qui l’assimile à « un moyen de contrôler la politique éditoriale » déclare Serguei Buntman, vice–rédacteur en chef de la chaîne.

Des injonctions gouvernementales

Cette décision intervient juste après les déclarations du président Poutine. Ce dernier avait expliqué que la radio se montrait constamment critique à son égard. La station couvrait en effet, régulièrement les manifestations anti-gouvernementales et donnait la parole aux leaders de l’opposition.

« Je me doute bien que ce remaniement ne vient pas d’une initiative de Gazprom, mais d’une injonction du gouvernement » se lamente Alexei Venediktov, le rédacteur en chef, dans un communiqué sur le site de la chaine.

Nikolai Senkevitch, le président de Gazprom Media, explique que la décision a été motivée par « une attention plus accrue de tous les côtés », et que le licenciement des administrateurs indépendants « faisait partie d’un changement nécessaire », relève l’agence de presse Novosti.

D’autres incidents récents s’ajoutent à ce triste bilan. Le gel des fonds pour le journal d’opposition, le Novaia Gazeta, ou le rejet d’un éditeur pour le journal Kommersant, après sa publication d’une photographie illustrant un bulletin de vote abîmé. Sans compter la violence des forces de polices, qui n’hésitent pas à s’en prendre aux les journalistes couvrant les manifestations anti-gouvernementales.

En janvier 2012, l’Union des Journalistes Russes, une organisation soupçonnée d’être contrôlée par le Kremlin, a nommé un nouveau directeur pour le Centre du Journalisme Extrême dont la mission est maintenir la liberté de la presse en Russie. Le nouveau directeur n’est, nul autre qu’un ex-conseiller de l’ancien président russe, Boris Yeltsin.

« Les membres de l’Union voient dans cette élection le moyen de museler l’organisation » déclare Irada Guseinova, une ancienne employée.

Un semblant d’ouverture

Pendant que la presse indépendante reste réprimée, le gouvernement s’est montré étonnamment clément envers certaines chaines de télévision. Il a également proposé de nouvelles réformes favorables à la liberté d’expression.

Une loi qui faciliterait l’inscription des partis politiques devrait être adoptée. La journaliste Moldave Natalia Morar, a pu revenir en Russie après 4 ans d’exil forcé, en raison d’une enquête menée sur la corruption étatique. Plus étonnant encore, Poutine a proposé la création d’un « espace de dialogues », calquée sur le modèle londonien d’Hyde Park, où chacun pourrait se présenter et exprimer son opinion.

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Pour la première fois, la « stop-list », qui dénombre les personnalités qui n’ont pas le droit de passer à l’antenne, semble ne plus être prise en compte.

Les leaders de l’opposition Boris Nemtsov et Serguei Udaltsov sont tous les deux apparus sur une chaîne publique, le mois dernier. Une première pour ces adversaires du Kremlin.
« La télévision a dû s’adapter aux demandes du peuple » déclare Alexander Morozov, chef du Centre d’Études des médias de Moscou. « C’est impossible de cacher ce qui se passe dans ce pays. »

Chasser le naturel…

Toutefois, Gos Dep, un talk-show politique diffusé sur le MTV russe, et présenté par la célèbre Kseniya Sobchak, a été brutalement annulé après son premier épisode. Pour le second show, la présentatrice voulait recevoir Alexeï Navalny, un bloggeur anti-corruption très populaire. Une initiative qui n’est pas du goût de certains. « Alexeï Navalny n’est tout simplement pas admis sur un plateau de télévision » commente Alexander Morozov.

NTV, une autre chaîne détenue par Gazprom-Media, a récemment diffusé une série de rapports accusant l’opposition de toucher des subventions des États-Unis. Des rapports jugés diffamatoires par les journalistes et une frange de la population, qui y voient une manipulation du gouvernement. Ils ont manifesté et boycotté massivement la chaîne.

Une nouvelle chaîne publique inféodée au Kremlin

La proposition de Medvedev, de créer une chaîne publique a été relancée. Le projet de loi vise à introduire une station de radio et de télévision, avec une participation minimale du gouvernement« La programmation aura pour but de construire une société plus civique, en inspirant chacun à être un bon citoyen » annonce Fedotov, le président du Conseil à la tête du projet. « La chaîne tentera de rappeler le sens moral de chacun, et encouragera à aller voter, à recycler… »

Dmitri Medvedev choisira le fondateur parmi un groupe désigné par le Conseil Présidentiel et la Chambre Publique, organe réputé pour sa loyauté envers le Kremlin.

« On sait qu’une partie du budget de la chaîne proviendra de l’État » explique Fedotov« Pour beaucoup de gens cela jette le doute sur les véritables intentions d’indépendance du gouvernement ».

Les autres aspects du débat concernent la concurrence avec les différentes chaînes, ainsi que le rôle éducatif des programmes. L’Écho de Moscou  ne semble pas en accord avec ce dernier point: « La télévision est une source d’information, pas d’éducation. Après des décennies de régime communiste, avec seulement une très brève période de liberté de la presse, la presse indépendante n’est toujours pas une tradition en Russie. Croire que c’est par la télévision que ça va commencer est une absurdité totale » avance Buntman qui soupçonne fortement le diffuseur d’être contrôlé par le Kremlin. « Et si quelqu’un décide qu’il y a un peu trop d’informations négatives ? »

Vladimir Poutine menace l’avenir des médias

La question qui brûle de nombreuses lèvres concerne le futur de la profession, après l’investiture de Vladimir Poutine, le 7 mai 2012.

« L’avenir des médias dépendra de ce que Poutine en fait. Soit il essayera de travailler avec tous, soit il conservera une ligne patriotique et nationaliste » affirme Alexander Morozov.

« Il est tout à fait possible que Vladimir Poutine n’accentue pas la pression sur les médias, étant donné l’image de plus en plus positive qu’il véhicule à l’étranger, où il est peu critiqué.»

« Ce qui ressemble à une libéralisation des médias est temporaire » explique Aleksey Simonov, président de la Fondation Glasnost. Cette organisation à but non-lucratif recense et surveille les abus envers la presse. Après l’investiture de Vladimir Poutine, le ministère de la Culture sera responsable de la section média, elle-même sous la juridiction du ministère de la Communication. Les trois options pour le choix du ministre en charge des médias concernent des patrons de chaînes, déjà dirigées par l’État !

Bien que les inspections, que Alexeï Sklyarov décrit comme des « agressions », continuent chez Pulse, on apprend qu’il a déjà gagné un de ses procès. Heureux de sa victoire, il déclare : « Nous nous battons, et nous continueront à nous battre. J’ai un fort tempérament malgré mon âge. Je pèse 120 kilos. Une fois que je commence, personne ne peut m’arrêter ».

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