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Le mode de scrutin idéal n’existe pas

[image:1,l]Le mode de scrutin permet, à partir du décompte des voix, de désigner les élus. Après de longues luttes pour l’établissement de ses règles et l’extension de son champ, le principe de l’élection au suffrage universel fait l’unanimité dans les démocraties représentatives. Il n’en va pas de même pour le mode de scrutin. Fruit de l’histoire et de la culture nationale, des besoins de représentativité et du rôle accordé aux partis politiques, il varie dans l’espace et le temps. Depuis 1871, la France a ainsi connu une dizaine de changements de modes de scrutins législatifs, alors que le Royaume-Uni utilise le même depuis le XVIIIème siècle.

Le scrutin majoritaire à deux tours « à la française » : fait majoritaire et bipolarisation

Les 10 et 17 juin 2012, les Français retourneront aux urnes pour, cette fois, les élections législatives. Les auteurs de la Constitution de la Vème République, le général de Gaulle en tête, se sont montrés soucieux d’en finir avec l’instabilité gouvernementale, qui avaient caractérisé le régime précédent. Depuis 1958 – à l’exception de l’intermède proportionnel de 1986 – les 577 députés à l’Assemblée nationale sont élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. L’élection au premier tour est conditionnée par l’obtention d’une majorité absolue des suffrages. Faute d’avoir atteint ce seuil, un second tour est organisé. Peuvent y participer tous les candidats ayant obtenu au moins 12,5% des inscrits – ou, à défaut, les deux candidats arrivés en tête.

Jusqu’ici, ce mode de scrutin a toujours permis de dégager des majorités stables constituées d’un ou plusieurs partis. À l’échelle du pays, il amplifie le fait majoritaire et la bipolarisation en encourageant la constitution de cartels électoraux avec candidatures uniques ou accords de désistement. On lui doit ainsi l’alternance, désormais régulière, entre la droite et la gauche dites de gouvernement.

La principale critique adressée à ce mode de scrutin est sans doute la faible représentativité de l’Assemblée ainsi élue. En dehors d’une coalition, les minorités – à l’extrême-droite, à l’extrême-gauche mais aussi au centre – n’ont que de faibles chances d’obtenir des élus.  

Pourtant, les résultats constatés ne sauraient être ni automatiques, ni garantis. Ainsi, l’émergence d’une troisième, voire d’une quatrième, force politique peut provoquer des triangulaires ou quadrangulaires, autrement dit, la présence, au second tour, de trois ou quatre candidats. Par exemple, si les candidats du Front national devait rééditer la percée réalisée par Marine Le Pen à la présidentielle, il pourrait y avoir plus de 350 triangulaires – et parfois même des quadrangulaires si le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon profitait lui aussi d’un vote de contestation. Une majorité relative suffit alors à remporter le siège, et le vote devient alors stratégique. Certains électeurs ne votant plus alors nécessairement pour le candidat de leur choix mais pour celui qui serait le mieux placé pour faire battre le candidat honni.

Le scrutin majoritaire à un tour a la faveur des Anglo-saxons

Le vote stratégique, c’est le principal reproche qui peut être adressé au scrutin majoritaire à un tour en vigueur dans l’essentiel des pays anglo-saxons, Royaume-UniÉtats-Unis et Canada en tête. Le candidat le mieux placé au tour unique est élu. Ce mode de scrutin encourage, à l’extrême, la bipolarisation – autour des Travaillistes et Conservateurs britanniques, des Démocrates et des Républicains américains. L’émergence d’un troisième parti est particulièrement hasardeuse.

Le résultat d’une élection peut, parfois, s’apparenter à une véritable loterie. Au Royaume-Uni, les Libéraux-démocrates ont choisi au niveau national d’entrer dans une coalition avec les conservateurs mais, dans chaque circonscription, les choses sont bien plus floues. Et puis, un électeur « lib-dem » dont le cœur pencherait plutôt à gauche pourrait avoir intérêt à voter directement pour le candidat Labour s’il ne souhaite pas prendre le risque de voir le Conservateur élu… Choisir ou éliminer, telle est la question.

La proportionnelle : représentativité et désordre

Pour assurer la meilleure représentativité possible au Parlement élu, rien de tel que la proportionnelle. Ce mode de scrutin est simple dans son principe – les sièges sont attribués selon le nombre de voix- mais compliqué dans sa mise en œuvre. Il s’est développé avec le rôle des partis politiques : il s’agit moins de voter pour un homme que pour un parti ou un programme.

Plusieurs méthodes existent pour répartir les voix. La méthode du quotient fixe le nombre de voix à obtenir pour avoir un siège (quotient électoral). Le nombre de sièges attribués à chaque liste est ensuite défini en divisant le total des voix obtenu, par chaque liste, par le quotient électoral. La première répartition effectuée, les restes sont répartis, soit selon la méthode du plus fort reste, qui favorise les petits partis (une fois déduites les voix ayant permis la première attribution, les listes ayant le plus de restes l’emportent), soit selon celle de la plus forte moyenne qui favorise les grands (rapport entre les voix restantes et le nombre de sièges restant à pourvoir). Cette dernière est utilisée pour les sénatoriales françaises dans les départements élisant au moins quatre sénateurs.

Il existe d’autres méthodes de répartition des restes, comme les systèmes de compensation utilisés en Allemagne. Les sièges sont répartis au sein de la liste selon l’ordre de présentation le plus souvent, mais aussi parfois selon l’indication de préférences donnée par les électeurs.

Dans les scrutins proportionnels, le seuil fixé pour obtenir le droit à la répartition des sièges et la taille de la circonscription constituent des variables déterminantes. Plus le seuil est élevé et plus le nombre de circonscriptions important, plus l’accès des petits partis aux sièges est difficile. Certains pays – comme en Israël pour les législatives – font le choix de n’avoir qu’une seule circonscription au niveau du pays. Le niveau du seuil dépend des caractéristiques de chaque pays : fixé à 5 % comme en Allemagne ou en France, il écarte peu de partis nationaux, alors qu’au sein de jeunes démocraties avec de très nombreux partis, il pourrait priver de représentation une frange importante de la population.

Les scrutins mixtes : sans garantie

Enfin, les scrutins mixtes empruntent des éléments aux systèmes majoritaire et proportionnel. Ils combinent donc, mais avec une grande diversité, les deux mécanismes. Il s’agit de cumuler les avantages des deux méthodes et d’en limiter les inconvénients.

Le cas de la Grèce est probant. Si le scrutin est dans son principe proportionnel, il prévoit une prime de 50 sièges sur les 300 que comptent le Parlement au parti arrivé en tête, et cela quel que soit l’écart avec le deuxième. Comme les élections du 6 mai l’ont prouvé, la percée de nouveaux mouvements politiques à la gauche de la gauche comme à la droite de la droite ont rendu impossible la constitution d’une majorité stable. Et les Grecs revoteront le 17 juin. Le mode de scrutin idéal n’existe pas. 

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