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Chafik vs Morsi: l’ancien régime et l’islamisme ?

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Entre la peste et le choléra, le cœur de nombreux Égyptiens balance. Un islamiste du Parti Justice et Liberté des Frères musulmans, un tenant de l’ancien régime, dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak. Que choisir ?

Un scrutin historique

Et pourtant, cette élection est historique. Pour la première fois, les Égyptiens éliront un président civil, au suffrage universel. L’islamiste Mohamed Morsi et l’ancien Premier ministre Ahmed Chafik se disputeront les voix du peuple, samedi 16 et dimanche 17 juin.

Sur la scène politique égyptienne, tout oppose ces deux candidats qui, s’ils sont élus, conduiront l’Egypte vers deux destins radicalement différents. L’histoire millénaire de ce pays est en train d’ouvrir un nouveau chapitre et, à l’heure actuelle, personne ne peut imaginer quelle nouvelle Egypte post-révolutionnaire sera dessinée dans les mois et années à venir.

Deux candidats que tout oppose

Alors que la Cour suprême constitutionnelle vient d’invalider l’élection de l’Assemblée nationale, jeudi 14 juin, l’élection présidentielle prend un nouveau tournant.

Il y a encore quelques jours, le candidat Mohamed Morsi pouvait se targuer d’avoir un Parlement largement constitué d’islamistes derrière lui, lui donnant ainsi une légitimité, mais suscitant également la peur de nombreux Égyptiens de voir un pays dirigé quasi-exclusivement par les Frères musulmans. Face à lui, un ancien proche de Moubarak, dont la candidature pour le deuxième tour n’a été validée qu’il y a quelques jours, largement attaqué par cette même Assemblée pour son accointance historique avec Hosni Moubarak.

Mais, aujourd’hui, les choses sont différentes, les deux candidats repartent à zéro, sur un pied d’égalité, ou presque.

Mohamed Morsi, la « roue de secours » islamiste

Surnommé la « roue de secours », Mohamed Morsi a été désigné par le parti Justice et Liberté pour reprendre le flambeau de Khaïrat al-Chater dont la candidature avait été invalidée en raison d’une condamnation du temps de Moubarak.

Peu charismatique, il n’a pas été chaleureusement accueilli par le Parti lors de l’annonce de sa candidature. Pourtant, au fil de la campagne, ce dernier, soutenu par le gigantesque réseau dont disposent les Frères musulmans à travers le pays, a gagné en confiance et cela lui a permis de gagner le cœur des membres de son parti et de nombreux Égyptiens.

Cet ingénieur de 60 ans, diplômé de l’Université du Caire en 1975, puis de l’Université de Caroline du Sud, aux Etats-Unis, en 1982, fait campagne en attirant à lui les voix islamistes et de tous ceux favorables à un Etat fondé sur les principes de la charia. Mohamed Morsi estime proposer un véritable « projet de renaissance » aux Égyptiens avides d’une nouvelle société, symbole de l’après-révolution et de l’après-Moubarak.

Grand militant anti-israélien, membre notamment du Comité de résistance au sionisme, il veut installer de nouvelles « relations plus équilibrées avec les Etats-Unis » et, dans le même temps, a déjà menacé le pays, qui fournit à l’Égypte de belles aides financières, de revoir le Traité de paix avec Israël si les Etats-Unis décidaient de revoir leur contribution.

Ahmed Chafik, le « feloul » de Moubarak

En face de lui, celui qu’on appelle le « feloul », le vestige de l’ancien régime. A 70 ans, Ahmed Chafik se veut le garant de la sécurité des Égyptiens.

Dernier Premier ministre d’Hosni Moubarak, on lui reproche de vouloir remettre en cause la révolution et aire revenir l’Egypte aux temps obscurs du règne de Moubarak.

Si la révolution a fait d’Ahmed Chafik un homme à abattre, notamment par les Frères musulmans, largement réprimés sous l’ancien régime, ce « feloul » était pourtant très apprécié des Egyptiens, même parmi l’opposition, lorsqu’il a été nommé à la tête du gouvernement, en janvier 2011, quelques jours après les premières émeutes de la place Tahrir. Son bilan à la tête du ministère de l’Aviation avait été très positif et il avait été bien accueilli par la société égyptienne.

Né en 1941 au Caire, Ahmed Chafik a suivi le parcours classique d’un politicien de l’ancien régime. Formé dans l’armée de l’air, sous les ordres d’Hosni Moubarak, son nom avait souvent été cité pour lui succéder à la présidence.

Mohamed Morsi et Ahmed Chafik sont deux candidats que tout oppose, tant sur le fond – le premier veut instaurer la charia en Égypte, le deuxième se pose dans une forme de continuité laïque du régime Moubarak – que sur la forme – leurs personnalités sont radicalement différentes, comme leurs parcours.

Qui pour tenir tête à l’armée ?

Au-delà de ces différences, un enjeu fondamental de cette élection oppose les candidats.

Contrôlant environ 40% du PIB du pays, l’armée est un acteur avec qui le président élu devra composer. Très indépendante, elle assure l’intérim au pouvoir depuis la chute d’Hosni Moubarak et a largement profité de ces temps révolutionnaires pour accroître son empire économique et pour assurer la sécurité de ses intérêts au-delà de la passation du pouvoir à un gouvernement civil.

Si Ahmed Chafik, ancien militaire, remporte le scrutin, il laissera sans aucun doute l’armée poursuivre ses affaires et lui laissera cette indépendance à laquelle elle tient tant. En revanche, le candidat des Frères musulmans compte bien diminuer l’emprise de l’armée sur l’économie nationale et permettre à l’Etat de reprendre le contrôle de sa force militaire.

La grande armée égyptienne ne se laissera évidemment pas faire et Mohamed Morsi, s’il était élu, sans Assemblée nationale, sans Constitution, n’aurait que bien peu de pouvoir à opposer à cette force.

Deux candidats au coude à coude

Lors du premier tour des élections, les 23 et 24 mai dernier, le candidat des Frères musulmans était arrivé en tête avec 24,78% des voix. Derrière lui, Ahmed Chafik recueillait 23,66% des suffrages. Pour ce deuxième tour, les deux candidats semblent au coude à coude.

Les jeux d’alliance joueront à la faveur des deux candidats. Mohamed Morsi sera soutenu par les puissants Frères musulmans mais également par les salafistes, dont le bon score aux précédentes législatives avait largement surpris. Il bénéficiera également des voix de nombreux Égyptiens pour qui un retour à l’ancien régime serait la pire issue envisageable à la révolution de l’année écoulée.

De son côté, Ahmed Chafik bénéficiera du report des voix des candidats opposés à l’islamisme, ainsi que de celles de la communauté chrétienne copte, représentant 5 à 10% de la population égyptienne. Il devrait également réunir les libéraux, ceux de la place Tahrir, pour qui l’islamisme est l’antithèse pure et simple de la révolution.

Malgré tout, de nombreux Égyptiens ne semblent pas vouloir choisir entre cette « peste » et ce « choléra » et le taux de participation pourrait être révélateur d’une société post-révolutionnaire qui n’est représentée par aucun des deux candidats.

Si le premier tour de l’élection a connu un taux de participation de 46%, de nombreux experts s’accordent pour penser que le deuxième tour attirera beaucoup moins les foules. Le taux de participation est actuellement estimé entre 30 et 35%.

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