Site icon La Revue Internationale

Comment survivre à la chute des BRICS ?

1024px-brics_in_hokkaido.jpg1024px-brics_in_hokkaido.jpg

[image:1,l]Quand le terme de BRIC fut utilisé, pour la première fois, par l’économiste de Goldman Sachs, Jim O’Neill, en 2001, il désignait un groupe d’économies à surveiller de près, plus précisément celles du Brésil, de la Russie, d’Inde, de Chine (et d’Afrique du Sud à partir de 2011) ; sans toutefois être prêtes à rejoindre la Corée du Sud et le Mexique, au rang des nouveaux entrants à l’OCDE.

Mais, au-delà du fait qu’ils aient tous les quatre de grandes superficies et une économie se développant rapidement, ces pays n’ont rien en commun. D’ailleurs Jim Wygand, analyste économique pour la Critical Corporate Issues au Brésil, le rappelle : « Le groupe BRIC n’a jamais été destiné à être un « club », mais l’acronyme est rapidement entré dans l’usage et a enflammé l’imagination des investisseurs. Les gestionnaires de fonds ont commencé à développer des produits financiers spécialement conçus pour ces zones du globe et on a commencé à entendre parler de stratégie BRIC et à différencier les sociétés s’étant adaptées et possédant une stratégie BRIC « 2.0 » de celles qui se sont laisser dépasser et sont restées dans les eaux sombres de la 1.0 ». Ce nouveau tournant de l’économie mondiale a été confirmé par la crise de l’année 2008 et la facilité avec lesquels ces pays l’ont contournée.

Quand les BRICS ont pris une dimension politique

Sur le plan politique, les choses ont été plus longues à évoluer. Après tout, ces pays n’avaient jamais entretenu de relations très amicales. Mais la situation a changé. Les leaders des cinq ont surfé sur la vague et, à l’image du G8, ils ont commencé à avoir leurs propres sommets. L’association a alors pris une dimension politique. En 2011, ils ont décidé de passer au pluriel, les BRIC deviennent BRICS en invitation à l’Afrique du Sud. Un an plus tard à peine, la question du sauvetage de l’Europe grâce à une manne financière issue des BRICS, s’est posé.

Un poids économique durable ?

En raison de leur densité démographique, on a longtemps parlé du poids prépondérant de la Chine et de l’Inde, mais même le Brésil, dont la population est inférieure à 200 millions d’habitants, a explosé les records en matière d’investissements directs à l’étranger. Le plus important créancier parmi les banques espagnoles, Santander, fait plus d’argent aujourd’hui au Brésil que dans n’importe lequel des douze autre pays où il opère. Un quart de ses gains proviennent aujourd’hui d’Amérique Latine. (Dernièrement des rumeurs faisaient état que Santander, fortement touché par la crise, tentait de vendre ses actifs au Brésil. Ce que la compagnie a démenti).

Aujourd’hui, la croissance des BRICS décroît, et le Brésil et l’Inde jouent désormais sur le terrain des taux d’intérêts, pour se hisser aux sommets qu’ils connaissaient jusqu’alors. En Chine, le débat n’est plus tellement de savoir s’il y aura ou non une crise des BRICS, mais plutôt de savoir si l’atterrissage se fera en douceur.

Conseil n°1 : Concentrez-vous sur les zones où s’implanter à du sens pour votre entreprise.

Du point de vue de Jim Wygand : « Les PDG devraient simplement investir selon les besoins de leurs entreprises. Ce n’est pas parce que vous investissez au Brésil, en Chine, ou en Russie que vous avez l’obligation d’investir en Inde ».

Pour Ravi Ramamurti, directeur du Centre pour les Marchés Émergeants à l’Université Northeastern. « L’approche “je plante mon drapeau“  pour s’internationaliser ne suffit pas. Le ralentissement général de l’économie nécessite de se concentrer son portefeuille sur les économies émergentes les plus prometteuses. Par exemple, vous n’investirez probablement pas en Russie, et ce même si c’est un BRIC, mais la Turquie ou l’Indonésie pourront vous paraître être un investissement intéressant en raison de leur potentiel à devenir les économies majeures de demain et de leur forte croissance ».

Beni Lopez, chargé à de la politique à l’internationale de Softtek, une entreprise spécialisée dans l’informatique, va plus loin : « La croissance qu’ont connu le Brésil, l’Inde, la Chine et la Russie est, en grande partie, alimentée par des investissements directs d’entreprises étrangères mais aussi par l’explosion de la demande en matière de ressources naturelles (essence, gaz naturel, produits agricoles). Il est également important de réaliser que ces pays sont complètement différents les uns des autres. Ainsi, ces quatre ou cinq pays ne peuvent être mesurés selon une seule même unité de mesure ou observés selon une seule perspective. Si vous vous intéressez à la délocalisation de l’industrie informatique vous conviendrez qu’exporter depuis l’Inde, la Chine ou le Brésil sont des choses assez différentes. »

Conseil n°2 : Regardez au-delà des Quatre Grands

Les entrepreneurs ayant le goût de l’aventure pourraient vouloir suivre les investisseurs ayant investi au-delà des « Quatre Grands », à la recherche de meilleurs retours financiers. La plupart des gestionnaires de fonds conseilleront le Mexique, la Turquie, l’Afrique du Sud ou encore la Pologne. Beaucoup regardent aussi du côté des voisins des BRICS tels que l’Argentine, située juste au sud du Brésil et le Sri Lanka, juste au sud de l’Inde.
« Toute l’attention s’est porté sur les BRICS pendant les dernières décennies si bien que la plupart des investisseurs, actuels et potentiels, ne voient pas les riches opportunités qu’offrent d’autres économies » affirme Beni Lopez. « Le Mexique, par exemple, se positionne très bien en terme de ratio PIB/Dette ou en terme d’exportations ». Ce à quoi il ajoute que « les investissements réalisés dans des pays tels que le Mexique, la Colombie ou même le Pérou, s’annoncent très profitables en raison des faibles coûts et des progrès réalisés en matière de régulation financière dans ces régions du globe ».

Manoj George, PDG de Nair & Co., une entreprise basée en Floride (États-Unis) qui propose des produits financiers aux clients d’outre-Atlantique et le fondateur de Red Hat, l’entreprise du système d’exploitation « open-source » [offrant la possibilité de libre redistribution, d’accès au code source et aux travaux dérivés, ndlr], corrobore cette vision des choses : « Les nouveaux marchés comme l’Indonésie, la Turquie, le Vietnam et les Philippines sont émergeants, mais seront très certainement des contre-poids à la domination des BRICS. Les PDG ne peuvent pas ignorer les BRICS – ce quel que soit les prévisions – mais ils ne devraient pas négliger les économies émergentes non plus ».

Conseil n°3 : Penser de façon globale

Les PDG doivent commencer à adopter des politiques plus humaines telles que des réformes du droit du travail et protection des droits de l’Homme dans les marchés émergents, selon Bhaskar Chakravorti, doyen de la International Business and Finance, The Fletcher School, dans la faculté de Tufts.

Pour Bhaskar Chakravorti, en se reposant sur les BRICS seuls pour alimenter la croissance, les entreprises construisent une pyramide vouée à s’écrouler. Les marchés émergents sont attirants, mais on oublie trop souvent qu’il y a plus qu’un « marché » dans les marchés émergents. De son point de vue, l’absence de corrélation entre la forte croissance et les conditions de vie de la population au niveau local peut être un facteur d’instabilité.

Murilo Ferreira, PDG de la Brazil’s Vale, la seconde entreprise d’exploitation des sols au monde, signale que l’un des défis majeur de sa société est de développer « notre relation avec les communautés, habitant les zones où nous opérons. À quoi il faut ajouter la protection de l’environnement et la viabilité ».

Un rapport publié en 2012 par l’agence de consulting Deloitte l’a mis en lumière : « Pour assurer la stabilité du marché dans lequel elles opèrent, les entreprises composent de plus en plus avec les communautés mais aussi avec les gouvernements nationaux, locaux et les organisations non gouvernementales, dans l’espoir de s’acheter ainsi une assurance contre la régulation excessive, l’augmentation des taxes et les protestations qui pourraient être un handicap. »

Conseil n°4 : N’investissez votre argent que là où vous pourrez le récupérer facilement

« Historiquement, la crise des devises s’est produite lorsque les investisseurs occidentaux ont perdu leur foi dans les marchés des pays en développement » affirme Karl K. Schamotta, responsable marketing de longue date chez Western Union Business Solutions. « La fuite des capitaux a fait chuté la valeur des monnaies et fait tombé les pays un par un. Aujourd’hui, nombre de ces pays ont désormais instauré une stricte politique de contrôle des flux de capitaux pour empêcher qu’un tel événement se reproduise. Les fonds placés sur ces marchés seront difficilement accessibles en cas de crise. Privilégier les marchés dont la juridiction bancaire est stable et la proportion de monnaie en circulation importante peut être une stratégie de survie critique. »

Conseil n°5 : Soyez prêts aux revirements des investisseurs

« Depuis un certain temps déjà, les compagnies ont joué à la roulette russe sur les marchés émergents », dit Karl K. Schamotta. « Ce n’est pas une situation stable, assurez-vous que votre entreprise a des investissements et une stratégie de relation publique en place pour recouvrer rapidement en cas de retournement des investisseurs ».

Conseil n°6 : Retour vers les États-Unis ?

« Anything you want, we got it right here in the USA » [Tout ce que vous désirez, vous le trouverez ici, aux États-Unis, ndlr], chantait Chuck Berry en 1959. C’était une autre époque. Depuis, les États-Unis et les pays développés, plus généralement, ont vu les emplois, et essentiellement ceux du secteur industriel, se délocaliser vers des zones du globe où les coûts de production sont moindres. La situation va peut-être changer, au moins sur certains plans. Si l’on en croit une étude réalisée en avril 2012 par DLA Piper, 44% des sondés, pensent que les économies occidentales offrent les meilleures opportunités en matière d’investissements technologiques. Seuls 28% d’entre eux voient l’herbe plus verte du côté des BRICS. 41% des cadres dirigeants estiment que la Chine aura de grandes difficultés à basculer son économie vers une économie d’innovation technologique (aujourd’hui ce secteur ne représente que 18% de l’économie chinoise). Et pour 95% des leaders du secteur, les États-Unis offrent encore aujourd’hui le meilleur environnement pour la création, l’investissement et la croissance des entreprises du secteur.

« Les marchés émergents semblent extrêmement attractifs à un niveau macroéconomique, mais à un niveau micro économique les perspectives sont souvent assez différentes » rappelle Karl K. Schamotta. « En Union Européenne c’est l’exact inverse ».

Conseil n°7 : Préparez-vous au rebond

« Profitez de la crise pour vous développer dans les pays de votre choix à moindre coût », dit Ravi Ramamurti. « Le dollar américain est plus fort qu’avant, les bourses des BRICS sont plus faibles et les entreprises locales sont plus touchées par le ralentissement de l’économie mondiale que les entreprises occidentales. C’est le moment d’attaquer et non de battre en retraite. La Corporation des Multinationales Occidentales devrait profiter de ce ralentissement pour acquérir des entreprises locales, étendre leur réseau de distribution et découvrir de nouveaux talents – de cette façon, une fois la croissance revenue, ces entreprises pourront prospérer. »

Conseil n°8 : Ignorez les experts, suivez votre plan

« Je ne pense pas que les BRICS vont s’effondrer », dit Richard Lapper, directeur de FT Brazil Confidential, un rapport de recherche bimensuel publié dans le journal économique The Financial Times. « Il pourrait y avoir une nuance à apporter mais globalement les personnes pariant sur une croissance des BRICS sur le long terme font le bon choix. Mon conseil serait donc de continuer de suivre votre plan et de ne pas contribuer inutilement à l’affolement des marchés ». « Les BRICS continueront d’offrir des opportunités intéressantes à ceux souhaitant faire de l’argent, mais les entreprises étrangères devront désormais prendre en compte le fait qu’ils font désormais affaire avec des marchés plus expérimentés. Et avec cette maturité économique viennent des politiques protectionnistes, de nouvelles taxes et une nouvelle structure. Ces défis devront être relevés, les PDG doivent s’y préparer. »

Global Post / Adaptation Stéphan Harraudeau – JOL Press

Quitter la version mobile