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La double peine des gays palestiniens

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Tel-Aviv, Mecque des homosexuels

La célèbre chanson « I will survive » de Gloria Gaynor n’est jamais bien loin dans les milieux gays. Mais cette nuit, elle a une saveur toute particulière. Car, dans cette discothèque située dans un quartier mixte où se rencontrent la ville arabe de Jaffa et les banlieues de Tel-Aviv, les paroles ne résonnent pas en anglais, mais en arabe.

Certes, le conflit rythme toujours la région, ce sanglant et complexe contentieux lié autant aux territoires qu’à l’Histoire et à la religion. Mais, à la « Palestinian Queer Party », la musique prend le pas sur la guerre et la paix règne sur la salle.

Cette fête, qui se tient plus ou moins toutes les six semaines, cherche à montrer un aperçu de ce qu’il serait possible de faire avec des gays au pouvoir.

La majorité de la foule est constituée d’arabes israéliens, dont les parents ou grands-parents vivaient dans les frontières établies par Israël après sa victoire sur la coalition arabe en 1948, mais près d’un tiers des gais fêtards sont des juifs israéliens. Quelques Palestiniens de Cisjordanie traversent également de temps à autres la frontière pour assister à la fête, bravant les dangers d’un tel déplacement. Mais une fois qu’ils ont rejoint leurs amis gays, ils arrivent sans peine à se cacher des autorités israéliennes.

Pour Yoni Schoenfeld, le rédacteur en chef de Bamahane, le magazine officiel de l’Israeli Defence Force – l’armée israélienne -, « si les gays contrôlaient le monde, il n’y aurait plus aucune guerre ». Il s’exprime à titre officieux, dans son bureau de Tel-Aviv.

La ville israélienne a d’ailleurs été élue récemment la ville la plus « gay-friendly » du monde et est parfois désignée comme la « Mecque » des homosexuels palestiniens. Mais pour certains partisans des droits de l’Homme, cette bonne presse n’est qu’un masque servant à dissimuler les mauvais traitements que ferait subir le pays aux Palestiniens, considérés par beaucoup d’organisations et observateurs comme étant une population persécutée.

Le « pinkwashing » ou l’instrumentalisation de la question LGBT

Ce processus, par lequel Israël tend à se faire passer pour une société éclairée tout en diabolisant les Arabes pour leur intolérance à l’encontre des gays, a été baptisé le « pinkwashing ».

A titre d’illustration, la Ligue anti-diffamation, ONG juive et sioniste basée aux Etats-Unis, déclare sur son site internet : « Quelle nation moyen-orientale protège les droits, la sécurité et la liberté des communautés LGBT ? Uniquement Israël. »

Cependant, Israël refuse de considérer les demandes d’asile de la part des gays palestiniens, ce qui pour certains crée deux poids deux mesures dans le traitement des homosexuels. D’autres font le parallèle entre une armée israélienne qui a été pionnière en matière de tolérance et d’intégration des gays tout en étant à l’origine de bien des maltraitances envers les civils palestiniens.

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Yoni Schoenfeld, lui, désapprouve : « Je ne crois pas qu’Israël se serve [des droits des gays] pour faire de la propagande. » Pour lui, « un soldat homosexuel en poste à un check-point » ne fait pas ce lien.

Un faible rapport aux médias

Quant aux gays palestiniens vivant sous l’occupation militaire israélienne, ils souffrent beaucoup, souffrant à la fois de l’hostilité de leurs « compatriotes » et des difficultés certaines qu’implique la vie en Cisjordanie.

Haneen Maikey est la directrice d’Al Qaws, un groupe militant gay qui travaille en Israël et dans les territoires palestiniens. Lors de la fête, elle était à l’entrée, collectant l’argent et s’assurant que tout se déroulait au mieux. Mais le bruit ambiant rendait l’interview impossible. Plus tard, par mail, elle a décliné l’invitation, déclarant : « Je suis consciente que vous souhaitiez faire un article sur le « pinkwashing » mais [nous] ne sommes pas intéressés. Nous n’avons pas vraiment de politique médiatique. Nous travaillons uniquement avec nos propres médias et sollicitons des partisans de notre cause quand cela est nécessaire. » Maikey a également refusé que les militants cisjordaniens de son groupe soient interrogés. Ce renfermement a pour conséquence ironique que ceux qui parlent avec le plus d’écho en faveur des gays palestiniens sont des juifs israéliens.

Saul Ganon, associatif LGBT israélien, l’explique par les généralisations, dont font l’objet tant les problèmes palestiniens qu’israéliens à l’étranger, y compris celles qui se placent dans une perspective gay. Pour lui, si les militants LGBT palestiniens essayent lentement de changer leur société, il estime que « nous ne sommes pas à leur place. Leur souffrance leur appartient. » Il ajoute, en référence au refus de Haneen Maikey de nous parler, que ces groupes préfèrent « travailler sereinement, sans exposer publiquement ce qu’ils font et ce qu’ils sont. »

De plus, selon lui, les journalistes occidentaux ont tendance à faire preuve de « paternalisme » : « le mode de pensée occidental ne s’applique pas forcément ici. Et pas seulement en Israël, mais dans toute la région. »

Nulle part où aller

Anat Ben-Dor et le Dr Yuval Livnat sont co-directeurs de la Clinique des droits des réfugiés à l’Ecole de droit de l’Université de Tel Aviv. Une partie de leur travail consiste à conseiller les Palestiniens homosexuels qui tentent de demander le droit d’asile à Israël. Ben-Dor est le co-auteur de « Nowhere to Run », un rapport sorti en 2008 détaillant le traitement terrible des Palestiniens gays dans les territoires et dans Israël.

«Les Palestiniens gays sont pris au milieu du conflit israélo-palestinien, » indique le rapport. « Ils sont persécutés dans les territoires occupés par des groupes militants, les forces de sécurité palestiniennes ou des membres de leurs familles. Quand ils fuient, ils sont traqués par la police israélienne qui cherche à les renvoyer dans les territoires d’où ils se sont échappés, ce qui les poussent le plus souvent à vivre dans la clandestinité et à fuir en permanence. »

A une terrasse ensoleillée sur le campus de l’Université, Ben-Dor explique : « Nous essayons de traiter tous les cas de demande d’asile dont nous entendons parler. Nous préférons ces cas. »

« Pourtant », ajoute-t-elle, « tout le monde sait qu’il n’y a aucune possibilité pour ces demandeurs de rester en Israël. »

Pour Livnat, la situation des gays en Israël est meilleure qu’aux Etats-Unis, où les partenaires étrangers des citoyens ne sont traditionnellement pas autorisés à immigrer. En Israël cependant, les partenaires étrangers peuvent parfois devenir des résidents permanents. Ainsi, Livnat estime que « c’est pour cela le concept de pinkwashing est étudié ici, parce que dans un sens, nous sommes plus libéraux. »  

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Il ajoute que, si être gay aide la plupart des demandeurs d’asile, ce n’est pas le cas pour les Palestiniens ou les ressortissants arabes en général. C’est pour cela que Ben-Dor et Livnat encouragent les Palestiniens gay en danger de demander l’asile à l’étranger. Ailleurs qu’en Israël. Pour Livnat, « Israël ne veut pas de gamins arabes sur son territoire. »

Dans certains cas, des citoyens gays israéliens ont des partenaires palestiniens. « C’est compréhensible », ajoute Livnat, « ils sont à proximité, ils parlent hébreu et sont bien souvent proches des milieux gays israéliens. » Mais, eux, ne peuvent profiter des mêmes largesses de l’Etat israélien à l’endroit des partenaires homosexuels des citoyens.

Ben-Dor précise : « Il y a bien eu quelques exceptions pour des couples hétéros, pour raisons humanitaires, mais même cela est devenu très difficile. On voit désormais ce genre d’unions comme des failles dans le dispositif anti-terroriste. »

Tout faire pour survivre

Les Palestiniens gays peuvent aussi trouver refuge dans l’AGUDA de Tel-Aviv, un centre communautaire LGBT tenu en partie par Saul Ganon, un homme imposant de nature douce et attentionnée. Il travaille dans le bâtiment de la rue Nahrmani, connu pour être le lieu du meurtre non résolu de deux jeunes homosexuels en 2009.

Ganon, qui précise d’office qu’il parle pour lui-même et non pour son organisation, considère qu’avec le pinkwashing « chaque côté essaie de gagner des points. Et au final, ceux qui se font avoir, ce sont les gays palestiniens. »

L’homme remarque pour la première fois des réfugiés palestiniens homosexuels en 1995, en aidant de jeunes hommes désœuvrés, dont beaucoup se prostituaient. Parmi eux, « au moins la moitié étaient Arabes israéliens ou Palestiniens. » Il ajoute que tous ces jeunes n’étaient pas gays. « Pour certains, coucher avec des mecs, c’était un simple moyen de survivre. Mais il y avait des gays. » La plupart de ces jeunes venaient des petits villages palestiniens des alentours.

Depuis 1995, Saul Ganon déclare qu’il a approché plus de 900 jeunes palestiniens gays, mais seuls 60 d’entre eux ont accepté son aide. Ces hommes se sont vu offrir une carte de l’AGUDA, qu’ils peuvent montrer à la police au cas où, afin de ne pas se faire expulser du pays. Cela marche dans certains cas, mais ce n’est pas une assurance tout risque.

Un Palestinien de 28 ans, qui a accepté l’aide de Saul, accepte de parler. Il déclare s’appeler Mohammed. Grand et mince, son corps est couvert de cicatrices. Il pointe l’une d’entre elles, infligée par son frère à l’aide d’un tournevis : « Il essayait sans doute de me réparer, vu que je suis homosexuel. » déclare-t-il sur un ton sarcastique. Saul Ganon se charge de la traduction. « Je suis ici depuis 15 ans, les gens me connaissent tous. Tel-Aviv est ma maison maintenant. » Lorsque que nous lui demandons comment il a fait pour vivre ici tout ce temps, il nous répond : « J’ai fait n’importe quoi pour survivre. Quand tu as faim, tu dois faire n’importe quoi, tu n’as pas le choix. » Au cours de la conversation, les mots drogues, vols et prison sont tous apparus. Mais il est difficile de savoir si le jeune homme parle de sa propre histoire ou de celle d’autres dans la même situation que lui.

Entre pinkwashing israélien et hostilité palestinienne

Toujours est-il que Saul Ganon semble contester quelque peu l’approche officiel d’Israël envers la communauté LGBT : « en vérité, en tant que gay, je n’ai pas l’impression de disposer de tous mes droits ici. » Avant de nuancer son propos : « Après, Tel-Aviv est très gay-friendly, il y a des choses que l’on ne peut pas nier. »

Enfin, l’associatif israélien s’agace de l’attitude d’Israël quant aux droits des LGBT : « Israël ne cesse de prendre le crédit de ce qui résulte pour beaucoup du travail de la communauté gay. A mon sens, si le gouvernement utilise cette question pour servir ses propres intérêts, nous aussi nous devrions faire en sorte d’en tirer quelque chose. »

Toutefois, si le pinkwashing énerve Saul Ganon, il considère néanmoins que la société palestinienne n’est pas pour autant amicale envers sa communauté : « Je n’ai jamais vu de Palestiniens manifester en notre faveur. »

Global Post / Adaptation Charles El Meliani pour JOL Press

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