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La longue lutte des syndicats de travailleurs égyptiens

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Travailleurs sous haute tension

La révolution populaire égyptienne contre Hosni Moubarak a commencé le 6 avril 2008 dans la ville de Mahalla.

Les forces de sécurité avaient alors lancé une vague de violences contre les 30 000 travailleurs du textile en grève, tuant plusieurs manifestants et en blessant des centaines. Le Mouvement des Jeunes du 6 avril a vu le jour lorsque l’ingénieur Ahmed Maher a petit à petit réussi à galvaniser des millions de travailleurs, et a finalement contribué à déclencher la révolution.

Trois ans après cet incident, un travailleur, Shaaban Hegaz se tenait devant les caméras lors d’un rassemblement, pour la Journée Internationale du Travail du 1er mai. Il avait fait appel aux journalistes et déclaré : « Prendrez-vous en photo nos revendications ? Nous avons fait tout le chemin depuis Suez ».
Des hommes comme Shaaban Hegaz accèdent aujourd’hui à une belle audience.

Depuis la chute du président Moubarak, l’économie égyptienne connaît une embellie. L’année dernière, les militaires au pouvoir ont mis en place une loi criminalisant les grèves qui perturbent la production, imposant des amendes colossales et même des peines de prison.

La toute jeune Fédération Égyptienne des Syndicats Indépendants, formée au cours de l’insurrection veut abroger la loi, rétablir le droit des travailleurs et mieux s’organiser contre les préoccupations économiques. Au final, les organisateurs espèrent apporter une nouvelle puissance au marché égyptien, et rétablir leur leadership au niveau politique.

Recréer un droit du travail

« Les pratiques militaires dominantes sont l’héritage de leur professeur, Hosni Moubarak » a déclaré Kamal Abbas, coordinateur général du centre pour les syndicats des travailleurs.

Alors que les Égyptiens ont voté ce weekend pour leur premier président civil, les quatre candidats de gauche qui ont prôné l’amélioration des conditions socio-économiques arrivent loin derrière le peloton de tête, mené par Amr Moussa ou Abdel Moneim Abolfotouh.
[image:2,l] Certains dirigeants syndicaux ont d’ailleurs appelé les quatre candidats Hamdeen Sabahi, Abul Ezz El-HaririHisham El-Bastawisi et Khaled Ali à former un front uni représentant les travailleurs. « Ce ne sont que des souhaits » a souligné Kamal Abbas. « C’est un mouvement jeune, formé il y a à peine un an. Il est difficile de déplacer la lutte aussi rapidement. Passer de la lutte économique à la politique ne se fait pas en un jour. Nous manquons encore de maturité ».

« Les travailleurs ne demandent pas, nous donnons »

L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a placé l’Égypte sur la liste noire des pays violant le droit du travail depuis 1957. Cette date correspond au moment où le gouvernement égyptien avait décidé que le seul syndicat légal serait la Fédération Syndicale de l’Égypte (FSE), entièrement parrainé par l’État.

Le président Gamal Abdel Nasser avait d’ailleurs bien résumé cette tutelle forcée du régime des droits du travail lorsqu’il avait déclaré : « les travailleurs ne demandent pas, nous donnons ».

S’affranchir d’un syndicat sous la tutelle de l’État

En 1976, la loi régissant la formation des syndicats a été modifiée, et a obligé les travailleurs égyptiens de droite à avoir l’approbation de l’État pour former des syndicats. Ce qui a fourni une autorité suprême au FSE.

Le FSE est ainsi devenu l’outil de contrôle des travailleurs de Hosni Moubarak, mais aurait également servi à la corruption financière. En particulier sous l’ère de Hussein Megawer, une des figures dirigeantes du Parti.

Hussein Megawer est maintenant en instance de procès pour son implication présumée dans l’attaque des manifestants de la place Tahrir, le 2 Février 2011, qui a fait 13 morts et des centaines de blessés.
Les dirigeants du mouvement ouvrier ont souligné qu’en termes d’organisation du travail, la junte militaire a laissé le pays en friche, comme Hosni Moubarak l’avait abandonné.
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Selon un rapport de l’association de défense de droits de l’Homme, « Les Fils de la Terre », plus de 20 000 personnes ont été licenciées pour avoir protesté, tandis que trente se sont suicidées car elles ne pouvaient plus soutenir leur famille.

Depuis le début de l’année 2012, on recense 1 398 grèves dans le secteur public et privé. Enseignants, médecins, travailleurs des transports publics, postiers. Les Égyptiens de tous bords ont participé au mouvement.

Un bon nombre de ces grévistes ont adhéré à la Fédération Égyptienne des Syndicats Indépendants, qui compte désormais plus de 1,6 millions de travailleurs et est alignée avec 100 autres syndicats.

Une lutte de tous les instants

Le coordinateur Kamal Abbas, qui a été emprisonné de nombreuses fois sous le régime de Hosni Moubarak, a été condamné à une peine de six mois par en tribunal correctionnel égyptien en mars dernier. Son crime : avoir blâmé en chanson le chef du syndicat officiel lors d’un discours de l’OIT en juin 2011. « Cette attaque des antirévolutionnaires à l’encontre des militants syndicaux et politique montre la poursuite des pratiques d’un régime déchu » a dit Kamal Abbas.

Il a ajouté que « le travailleur moyen égyptien n’est pas conscient du fait qu’il ou elle représente la plus forte classe sociale et que cela peut affecter directement la politique du pays, si elle est correctement organisée. Le mouvement syndical ne peut pas encore comprendre que c’est le régime politique capitaliste qui doit être modifié, de sorte que ces revendications économiques soient remplies. »
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Fathy Magda, un avocat et membre de l’Alliance populaire du Parti Socialiste égyptien, a rappelé l’engagement de l’élite politique de gauche. Ces derniers avaient en effet protesté contre les lois de travail oppressives, devant les portes du Syndicat des journalistes.
« Les travailleurs à l’époque, et jusqu’à présent, ne sont pas conscients du fait que cette loi est la raison de leur souffrance. Je ne peux pas les blâmer, l’élite politique est également responsable de ne pas avoir assez informé la classe ouvrière », a expliqué Fathy Magda.

Il a aussi déclaré que « les espoirs sont grands, et que les candidats ayant des programmes favorisant le mouvement syndical doivent s’unir pour réaliser la justice sociale. »
« Nous essayons d’organiser nos efforts » a-t-il conclu.

La crainte d’une Constitution élitiste

Les principales revendications du mouvement ouvrier dans la nouvelle Constitution sont de deux ordres: dans un premier temps, accorder des subventions pour les libertés constitutionnelles du syndicat. Deuxièmement, octroyer des droits sociaux et économiques sans aucune restriction, comme le droit à l’éducation gratuite à tous les stades et les soins de santé.

Les défenseurs des travailleurs souhaitent que ces derniers puissent se syndiquer sans autorisation de l’État. Mais désirent aussi l’interdiction de dissoudre les syndicats indépendants. La vraie bataille s’organise donc autour des droits constitutionnels. En mai 2011, le gouvernement égyptien a entamé un dialogue avec les gros actionnaires, les responsables gouvernementaux, les hommes d’affaires et les travailleurs pour élaborer une loi définissant les libertés des syndicats du travail.
Le dialogue a également inclus un large éventail de représentants de toutes les forces politiques. La quasi-totalité d’entre elles a émis quelques réserves sur certaines lois. Mais selon Kamel Abbas, cela respectait les standards classiques en termes de droit du travail.

La surprise est venue du Parti des Frères Musulmans ajoute Kamel Abbas. Ils ont en effet présenté un projet de loi qui limite encore plus les libertés du travail qu’avant.

« Le projet des Frères musulmans stipule que les syndicats donne le pouvoir décisionnel aux membres les plus élevés de la direction de ce dernier. La parole de ceux du rang inférieur serait alors minorée » explique Kamel Abbas.

La loi empêche également les travailleurs de former plus d’un syndicat dans une seule industrie.

Khaled Azharin un membre du Parlement représentant les Frères musulmans a précisé que cette loi permettait d’éviter les redondances, sans limiter le droit de se syndiquer.
« Les syndicats de travailleurs ou autres doivent s’établir librement et ne pas se construire sur des bases religieuses » a-t–il déclaré dans un communiqué.

 Les Frères musulmans et leur leadership n’ont jamais eu une de très bonnes relations avec la classe ouvrière en Égypte, explique Joel Beinin, ancien directeur des études du Moyen-Orient à l’université américaine du Caire.
« Leur électorat s’est toujours composé de riches, ou du moins de la classe moyenne supérieure. Ce ne sont pas des gens qui sont personnellement concernés par les besoins des travailleurs. »

Global Post / Adaptation Henri Lahera / JOL Press

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